Alors que la France réduit sa présence militaire dans le pays, Bamako envisage d’avoir recours à la société paramilitaire russe. La ministre des armées entend lui faire changer d’avis.
La rumeur de sa mort courait depuis l’été. Le chef du groupe djihadiste Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS), Adnan Abou Walid Al-Sahraoui, dit « Awas », a été tué par les forces françaises, a confirmé officiellement Emmanuel Macron sur Twitter dans la nuit de mercredi 15 à jeudi 16 septembre. « Il s’agit d’un nouveau succès majeur dans le combat que nous menons contre les groupes terroristes au Sahel », a ajouté le président français.
Le chef de l’EIGS « est mort à la suite d’une frappe de la force “Barkhane” », a tweeté de son côté la ministre des armées française, Florence Parly, en saluant également « un coup décisif contre ce groupe terroriste » qui constitue l’une des deux principales organisations djihadistes contre lesquelles la France et ses partenaires luttent au Sahel. « C’est une attaque qui a eu lieu il y a quelques semaines, et nous sommes aujourd’hui certains qu’il s’agit bien du numéro 1 de l’EIGS », a détaillé Mme Parly sur Radio France Internationale (RFI). L’EIGS, créé en 2015 par Adnan Abou Walid Al-Sahraoui, ancien membre du Front Polisario – le mouvement indépendantiste sahraoui – puis d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), avait été désigné comme « ennemi prioritaire » au Sahel, depuis 2020.
Solide réseau de combattants
Lahbib Abdi Said, de son vrai nom, est né dans les années 1970 au Sahara occidental. Membre de la grande tribu nomade des Reguibat, ce Sahraoui aurait rejoint la mouvance armée islamiste lors de la guerre civile algérienne, au début des années 1990. Membre du Front Polisario, Abou Walid Al-Sahraoui apparaît dans le nord du Mali aux alentours de 2010. Il participe alors à la fondation du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), un groupe islamiste proche d’Al-Qaida.
En 2012, Abou Walid Al-Sahraoui contribue à l’effort de guerre par une coalition de groupes armés djihadistes et indépendantistes dans le nord du Mali. En mars, quand le Mujao et son allié Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) entrent dans Gao, une des principales villes du nord du Mali, pour y planter leurs drapeaux noirs, il devient un des chefs régionaux et porte-parole du mouvement. Il rejoindra ensuite le groupe terroriste Al-Mourabitoune, autre groupuscule affilié à Al-Qaida, avant de prendre la tête de la branche malienne du mouvement fin 2014, après la mort de son chef de l’époque, Ahmed Al-Tilemsi, abattu lors d’une opération de « Barkhane ».
En mai 2015, celui qui s’est depuis constitué un solide réseau de combattants islamistes se présente, dans un enregistrement audio, comme l’émir d’Al-Mourabitoune et annonce le ralliement de son groupe à l’organisation Etat islamique. Un message qui, en interne, provoque des dissensions.
Mokhtar Belmokhtar, chef d’Al-Mourabitoune, ne tardera pas à démentir cette information qui, selon lui, « n’engage pas le groupe ». Abou Walid Al-Sahraoui continuera ainsi à faire cavalier seul au sein de son nouveau groupe, l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS). L’EIGS revendique alors ses premières attaques, au nom de la maison mère, l’organisation Etat islamique (EI), dont celle menée, en octobre 2016, contre la prison de Koutoukalé, au Niger. Ce mois-là, l’EI diffuse un message par ses canaux de propagande habituels pour confirmer l’allégeance de l’EIGS.
Des attaques particulièrement meurtrières
Depuis, Abou Walid Al-Sahraoui est considéré comme ayant été à la manœuvre de la plupart des attaques dans la région des « trois frontières », ce vaste espace à cheval entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, qui sert de base arrière aux groupes djihadistes au Sahel, et où la France a décidé de concentrer ses efforts ces dernières années. Plus sanguinaire encore que le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) – organisation rivale affiliée à Al-Qaida – qui cible davantage les militaires, l’EIGS n’hésite pas à frapper les civils pour s’imposer par la force. Le 2 mai 2021, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Ouatagouna (Mali), des membres de l’EIGS ont amputé, en public, la main droite et le pied gauche de trois voleurs présumés. Selon le ministère des armées, les campagnes de terreur de l’EIGS auraient coûtées la vie à près de 3000 civils au Sahel. Des victimes en majorité musulmanes.
Mais des militaires sont également pris pour cible par le groupe djihadiste, comme l’ont démontré l’attaque d’octobre 2017, à Tongo Tongo, près du Mali, dans le sud-ouest du Niger, au cours de laquelle quatre soldats américains et quatre soldats nigériens avaient été tués, et la série d’assauts menés à la fin de 2019 contre des bases militaires au Mali et au Niger. Le 9 août 2020, au Niger, l’EIGS avait par ailleurs revendiqué l’assassinat de six travailleurs humanitaires français et de leur guide et chauffeur nigériens, suscitant une vive émotion en France et au Niger. Les services français ont établi depuis qu’Abou Walid Al-Sahraoui en personne avait commandité leur mort, et que l’hypothèse d’une attaque d’opportunité, un temps envisagée, n’avait pas lieu d’être.
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Cette annonce de la mort du numéro un de l’EI au Sahel s’inscrit dans un contexte où l’organisation djihadiste était déjà en voie de fort affaiblissement en raison de la neutralisation de plusieurs de ses hauts cadres ces derniers mois, comme, en juin, Almahmoud Ag Baye alias Ikaray, un proche d’Abou Walid Al-Sahraoui. De nombreuses ressources logistiques avaient été saisies à cette occasion, selon le ministère des armées.
En juillet, les forces françaises avaient surtout eu raison de deux autres piliers de l’organisation. D’abord son coordinateur logistique et financier, actif depuis plusieurs années, un certain Issa Al-Sahraoui, qui recrutait et formait des djihadistes. Mais également Abou Abderahmane Al-Sahraoui, un homme chargé de prononcer les jugements de l’EIGS, et qui était connu pour ordonner les condamnations à mort. Il était actif au Mali depuis dix ans.
Lors d’une conférence de presse, jeudi 16 septembre, la ministre des armées Florence Parly, le nouveau chef d’Etat-major des armées Thierry Burkhard et le patron de la direction générale de la sécurité extérieure Bernard Emié, ont détaillé la façon dont « Awas » a été tué. Une longue série de neutralisations et de captures ont permis de le localiser dans une aire boisée du Liptako malien appelée la forêt d’Angarous, au sud d’Indelimane, dans la fameuse zone des « trois frontières ». Son sort a ensuite été scellé par une frappe de drone Reaper, le 17 août. Il circulait alors sur une moto comme passager et est décédé des suites de ses blessures, selon les constatations établies dans la foulée par un groupe commando d’une vingtaine de soldats.
Ce succès opérationnels sont une aubaine pour Paris et les militaires français, engagés dans un mouvement de retrait délicat depuis l’annonce, en juin, par le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, de sa volonté de réduire la présence militaire française au Sahel d’ici à la prochaine élection présidentielle, au printemps 2022. L’opération « Barkhane », quant à elle, est censée formellement prendre fin début 2022, en laissant place à un dispositif resserré, concentré sur les opérations de contre-terrorisme et d’accompagnement au combat des armées locales, autour d’une alliance internationale associant des Européens.
« La Nation pense ce soir à tous ses héros morts pour la France au Sahel dans les opérations “Serval” et “Barkhane”, aux familles endeuillées, à tous ses blessés. Leur sacrifice n’est pas vain. Avec nos partenaires africains, européens et américains, nous poursuivrons ce combat », a ajouté Emmanuel Macron dans un autre tweet.
Maintenant que le chef de l’EIGS a été neutralisé, les militaires français vont pouvoir se concentrer sur la traque d’Iyad Ag Ghali, le chef du GSIM, considéré depuis longtemps comme le véritable ennemi numéro un. Depuis des années, cette coalition de groupuscules terroristes liés à Al-Qaida mène une stratégie plus dangereuse et pernicieuse aux yeux de Paris. Dans le nord et le centre du Mali, le GSIM développe une forme d’administration des territoires qui, aux yeux de certains civils, est parfois mieux appréciée que celle d’un Etat malien tantôt absent, tantôt considéré comme prédateur.
Source : Le monde.fr