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Au Liberia, le nouveau président Weah comptable d’un beau moment démocratique

Il revient à l’ancienne star du football, élu fin décembre 2017 à la tête du pays, de ne pas brader la confiance, ni les espoirs placés en lui par l’électorat.

L’élection de George Weah à la présidence du Liberia un lendemain de Noël est une bonne nouvelle pour le continent africain. Il ne s’agit pas ici d’un jugement de valeur anticipé porté sur l’aptitude d’une ancienne star du football à devenir un grand chef d’Etat qui remettrait sur pied ce petit pays d’Afrique de l’Ouest martyrisé par d’indicibles guerres civiles. Sur ce plan, George Weah doit faire ses preuves.

Si sa large victoire – 61,5 % des suffrages contre 38,5 % pour son adversaire, le vice-président sortant, Joseph Boakai (73 ans) – comporte des sources de satisfaction, c’est au regard des standards démocratiques. On a pu craindre le pire au lendemain du premier tour organisé dans une certaine confusion le 10 octobre 2017 et rapidement contesté par plusieurs candidats battus. On voyait alors se profiler le spectre de ces élections tronquées, de ces décisions biaisées rendues par des commissions électorales qui n’ont d’indépendantes que leur nom et dont l’objectif n’est autre que de perpétuer les régimes en place, soient-ils d’emblée frappés d’illégitimité.

Respect de la Constitution

L’histoire locale confortait les pessimistes. Jusqu’en 1951, date tardive de l’instauration du suffrage universel, seuls les « Congo » – surnom donné à Monrovia aux descendants des esclaves affranchis aux Etats-Unis qui fondèrent le Liberia en 1822 – avaient le droit de vote. En d’autres termes, 90 % de la population, les « natives », étaient exclus de la vie politique. Les années suivantes, la démocratie balbutia dans l’étreinte du parti unique, puis étouffa sous les coups d’Etat et les guerres civiles qui ensanglantèrent le pays de 1990 à 2003 (environ 250 000 morts pour 4 millions d’habitants).

Il fallut attendre l’arrivée à la présidence d’Ellen Johnson Sirleaf, en 2005, pour que le Liberia connaisse sa première élection démocratique et pluraliste. Première femme africaine à occuperun tel poste, la Prix Nobel de la paix a été réélue six ans plus tard, en 2011. Mais sa victoire était obscurcie par le boycottage de son principal opposant et de son colistier, George Weah, qui dénonçaient des fraudes.

Rien de tel cette fois-ci. En amont du scrutin, rappelons qu’Ellen Johnson Sirleaf, 79 ans, n’a jamais cherché à tripatouiller la Constitution – un sport continental – pour contourner la règle qui fixe à deux le nombre de mandats présidentiels qu’une même personne est autorisée à effectuer. Respect de la Constitution, donc.

Quant au scrutin proprement dit, les centaines d’observateurs nationaux et internationaux déployés dans tout le pays l’ont jugé libre, transparent et équitable. Seul bémol, une certaine désorganisation au premier tour qui ne relevait pas toutefois d’une volonté de biaiser le vote. Les recours déposés devant la commission électorale nationale et la Cour suprême ont d’ailleurs été examinés, puis retoqués avec pour seule conséquence un glissement du calendrier électoral de quelques semaines. Personne n’a contesté cette décision ni crié à la manipulation par des institutions aux ordres.

Immédiatement après l’annonce de la victoire de George Weah, son adversaire malheureux s’est d’ailleurs empressé de féliciter le vainqueur. « Je ne serai pas le capitaine du bateau, mais mon souhait le plus fervent est que le navire de l’Etat vogue toujours sans encombre. Mon amour pour le pays est plus profond que mon désir d’être président », a déclaré publiquement Joseph Boakai. Un fair-play respectueux du scrutin, des électeurs et des institutions qu’aucun politicien libérien n’avait eu avant lui.

Une forte légitimité

Une autre bonne nouvelle tient à la légitimité du nouveau président du Liberia. Certes le taux de participation a chuté de vingt points entre les deux tours (de 75 % à 55 %). Mais George Weah l’a emporté dans tous les comtés du pays, sauf un, celui d’où Joseph Boakai est originaire, à l’issue d’une campagne électorale paisible.

« Mister George », comme le surnomment les Libériens, est dorénavant comptable de ce beau moment démocratique. Il lui revient en effet de ne pas brader cet acquis, ni la confiance, ni les espoirs placés en lui par l’électorat. C’est là que l’ancien Ballon d’or – seul joueur africain à avoir obtenu cette distinction consacrant le meilleur joueur évoluant en Europe – jouera sa partie la plus difficile.

Car George Weah a beaucoup promis, notamment la gratuité de l’enseignement et de la santé, secteurs totalement sinistrés. Il a fait miroiter des emplois aux armées de jeunes désœuvrés (85 % des moins de 25 ans) et d’attirer des investisseurs étrangers alors que le pays manque d’infrastructures et d’énergie électrique.

Le Liberia ne s’est jamais vraiment relevé de ces terribles années de guerres civiles, ni, dans une moindre mesure, de l’épidémie d’Ebola de 2014-2015 (4 800 morts) qui a éreinté des hôpitaux déjà rares et moribonds et a fait détaler les quelques grosses entreprises minières présentes dans le pays. En 2016, le Programme des Nations unies pour le développement(PNUD) classait ainsi le Liberia à la 177e place, sur 188 pays, dans son index du développement humain basé sur l’espérance de vie, l’accès à l’éducation et le PIB par habitant.

Eradiquer de la corruption

A juste titre, George Weah s’indigne. Légitimement, il a aussi stigmatisé le bilan d’Ellen Johnson Sirleaf. La Prix Nobel de la paix a certes redoré l’image du pays à l’étranger, maintenu la paix ainsi que la sécurité et libéré le droit d’expression. Mais sa présidence a aussi été dominée par le népotisme et la corruption, en toute impunité pour leurs auteurs. Un exemple, cynique, criminel ? La Croix-Rouge internationale a révélé, en novembre 2017, que 5 millions d’euros attribués, à l’époque de l’épidémie, au Liberia pour la lutte contre le virus Ebola avaient été détournés alors que les hôpitaux manquaient de tout.

Evidemment, George Weah a aussi promis d’éradiquer la corruption. Mais à ce chapitre, comme aux autres, le candidat a oublié de dire comment il allait s’y prendre. Et avec qui ? Les ralliements massifs des autres candidats ou des caciques du précédent régime ont-ils été négociés au prix du statu quo et de l’impunité des voleurs en cols blancs ?

Les jeunes des quartiers populaires – la moitié de l’électorat a moins de 33 ans – ont massivement voté pour George Weah. L’ancien enfant des bidonvilles né en 1966 dans la fange de Clara Town, à Monrovia, devenu star, est perçu comme l’un des leurs, comme l’incarnation d’un rêve que la misère n’est pas une malédiction congénitale. A lui de ne pas les décevoir.

Par Christophe Châtelot

LE MONDE

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