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Au Kenya, le vice-président William Ruto remporte la présidentielle sur le fil

Louée pour son professionnalisme tout au long du processus, la commission électorale s’est désintégrée. Quatre commissaires sur sept ont fait défection en dénonçant « l’opacité » dans la gestion des résultats.

 

Après six jours de décompte des bulletins, l’élection présidentielle a pris un tour chaotique, lundi 15 août, au Kenya. Au terme d’une journée marquée par la scission de la commission électorale, le vice-président sortant, William Ruto, a été déclaré vainqueur au premier tour du scrutin, avec 50,49 % des votes. Une consécration sur le fil, contestée par le camp adverse, qui envisage d’ores et déjà de déposer un recours auprès de la Cour suprême. L’écart est en effet mince : 233 000 voix séparent l’actuel numéro deux du gouvernement de son principal adversaire, Raila Odinga.

A 77 ans, ce dernier concourait pour la cinquième fois à l’élection présidentielle. Une candidature qui se solde par une nouvelle défaite : donné en avance dans les sondages et soutenu par le président sortant, Uhuru Kenyatta, le vétéran de la politique kényane ne recueille finalement que 48,85 % des voix. Muré dans le silence depuis l’annonce des résultats, il a sept jours pour contester les résultats auprès de la Cour suprême. « Tant que ce n’est pas fini, tout est encore possible », a déclaré sa colistière, Martha Karua, sur son compte Twitter.

En cas de recours, la plus haute instance judiciaire du Kenya dispose de quatorze jours pour rendre sa décision. S’il devait y avoir une annulation du scrutin, comme en 2017, une nouvelle élection devrait alors se tenir dans les soixante jours.

Echauffourées

Chantre de la « Hustler Nation » (la « nation des débrouillards »), William Ruto, âgé de 55 ans, devra donc sans doute encore patienter avant de succéder officiellement au Kikuyu Uhuru Kenyatta à la State House, et de devenir le cinquième président du pays. Mais l’actuel numéro deux du gouvernement peut déjà se prévaloir d’un parcours peu commun : celui d’un homme aux origines modestes, membre de l’ethnie kalenjin et fils d’un couple de fermiers de la vallée du Rift, qui a su gravir les échelons pour renverser les « dynasties » politiques kenyanes, comme il surnomme ces familles qui ont monopolisé le pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1963.

Les résultats préliminaires, égrainés tout au long de la semaine par les chaînes de télévision, ont donné jusqu’au bout les deux principaux candidats au coude à coude, Raila Odinga et William Ruto flirtant à tour de rôle avec la barre des 50 %. Louée pour son professionnalisme tout au long du processus, la commission électorale a fini par se désintégrer, lundi. Quatre commissaires sur sept ont fait défection à quelques heures de l’annonce des résultats. « Je ne peux pas reconnaître les résultats à cause de la façon opaque dont ils ont été gérés », a annoncé, lors d’une conférence de presse improvisée dans un hôtel de Nairobi, la vice-présidente de la commission électorale, Juliana Cherera, promettant des informations supplémentaires dans les jours à venir. Les quatre contestataires de la commission n’ont cependant pas le pouvoir d’annuler les résultats.

Des échauffourées avaient déjà éclaté pendant le week-end entre agents électoraux dans l’enceinte des Bomas, un centre culturel de Nairobi transformé pour l’occasion en quartier général de la commission électorale. Samedi 13 août, sentant que la balance commençait à pencher en faveur du camp adverse, le principal représentant de Raila Odinga, Saitabao Kanchory, s’était emparé du micro : « Je veux dire aux Kenyans que les Bomas sont une scène de crime », avait-il lancé, sans plus de détails sur d’éventuelles irrégularités.

« Pas de place pour la vengeance »

Lundi, le même homme s’en est pris physiquement à trois commissaires qui s’apprêtaient à annoncer les résultats finaux. La scène a viré au chaos généralisé. Deux commissaires ont été blessés et un pupitre jeté du haut du podium. Quelques minutes plus tard, Wafula Chebukati, le président de la commission électorale, est tant bien que mal parvenu à annoncer les résultats finaux : « Je me dois de me tenir devant vous malgré les intimidations », a-t-il dit, avant de déclarer William Ruto vainqueur.

Dans ce capharnaüm, il est bien difficile de prédire la tournure prochaine des événements. « A présent, nous demandons à tous les partis de travailler ensemble et en paix pour résoudre leurs désaccords à travers les mécanismes existants. Nous réclamons également que tous les leaders politiques continuent à inciter leurs partisans au calme et à renoncer à toute sorte de violence », a exhorté l’ambassade des Etats-Unis à Nairobi, dans un communiqué. Dans son discours de victoire, le président élu William Ruto a promis « qu’il n’y aurait pas de place pour la vengeance ».

Plusieurs observateurs craignent un possible embrasement du Kenya, comme ce fut le cas lors du scrutin de 2007, où plus de 1 100 personnes avaient trouvé la mort dans des affrontements post-électoraux. De fait, les soutiens de Raila Odinga, notamment issus de « sa » communauté, les Luo (12 % de la population), sont descendus dans des quartiers de la capitale, Nairobi, et de Kisumu, le principal fief de l’opposition, après l’annonce des résultats.

Risque d’une énième crise post-électorale

Dans l’immense bidonville de Kibera, dans le sud de Nairobi, des centaines d’hommes ont manifesté en attendant une déclaration de leur chef de file. Dallas Musa, présentateur d’une radio locale, prédit « un chaos à venir » dans ce quartier, où Raila Odinga a été député pendant vingt-quatre ans. « L’histoire se répète encore et encore. Raila a perdu. Encore une fois, il était trop confiant. Ses partisans vont de nouveau se battre pendant quelques jours. Ça arrive à chaque fois », déplore le journaliste.

Lundi, dans le quartier populaire voisin de Kawangware, toutes les boutiques avaient baissé le rideau. Quelques hommes se repassaient le film des élections sur le bord de la route. « Le processus n’est pas 100 % terminé, constatait, lassé, Martin, un taxi moto. Ce sera complètement fini quand j’aurai vu [William] Ruto prêter serment sur la Bible. Mais même les soutiens d’Odinga ne manifestent pas ici ce soir. Nous sommes fatigués de nous battre à chaque élection », explique-t-il.

Le Kenya, où 2 millions de personnes ont plongé dans la pauvreté depuis la pandémie de Covid-19, risque de s’enfoncer dans une énième crise post-électorale, malgré les appels au calme. La veille de l’annonce des résultats, les candidats se sont rendus simultanément à l’église et y ont tous les deux prêché la paix. Mais peut-on croire en la bonne foi de William Ruto et de Raila Odinga ? Anciens alliés lors de l’élection de 2007, les deux hommes avaient été au cœur de la pire crise qu’ait connue le Kenya indépendant.

Par Noé Hochet-Bodin(Nairobi, correspondance)

Source : Le Monde
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