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Au Burkina, un dialogue politique national jugé peu inclusif et inopportun

Pour renforcer la cohésion sociale au Burkina, le Président Roch Kaboré a lancé le 15 juillet 2019 un dialogue politique qui réunit majorité et opposition. Dans le pays, la tenue de ce dialogue est loin de satisfaire tout le monde, comme l’attestent les commentaires recueillis par Sputnik.

«Je tiens à saluer la présence de chacune et de chacun des participants, expression de notre volonté commune de consolider le dialogue en vue de renforcer la paix, la cohésion sociale et la prospérité au Burkina Faso», a déclaré le lundi 15 juillet 2019 à Ouagadougou le Président Roch Marc Christian Kaboré.

Les travaux de ces discussions politiques, prévues pour se tenir du 15 au 22 juillet, sont co-présidés par le président de l’Alliance des Partis de la Majorité Présidentielle (APMP), Simon Compaoré, ainsi que par le chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré. Pour l’analyste politique, Siaka Coulibaly, interrogé par Sputnik, ce dialogue est l’expression d’une volonté politique générale, face aux problèmes que connait le Burkina.

«C’est un dialogue qui a été jugé nécessaire par plusieurs acteurs de la scène politique burkinabé en ce sens que l’ambiance politique qui prévaut influence la plupart des grandes questions de la vie de la nation à savoir la sécurité et la fronde sociale, qui en sont d’ailleurs les deux grands points», a expliqué au micro de Sputnik Siaka Coulibaly

Si ce dialogue vise à aborder des sujets d’intérêt national comme la sécurité et la fronde sociale, il a aussi pour but d’apaiser les vives tensions entre l’opposition et le gouvernement, notamment sur la question du code électoral et du vote de la diaspora, à l’approche des élections présidentielles et législatives de 2020.

L’opposition rejette le nouveau code électoral, adopté en juillet 2018 par la majorité présidentielle, qui institue la carte nationale d’identité et le passeport comme étant les seuls documents nécessaires pour l’inscription sur les listes électorales; et exclut de ce fait la carte consulaire dont l’usage est pourtant répandu chez la dizaine de millions de Burkinabés vivant à l’étranger, dont près de quatre millions en Côte d’Ivoire.

Dans son discours d’ouverture, Roch Kaboré a soutenu que «la question du pouvoir devient secondaire dans le contexte actuel où c’est l’existence même de notre État, de sa cohésion et de son unité qui sont posées».

Joints par Sputnik, Achille Tapsoba, premier vice-président chargé des questions politiques du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP, parti de l’ex-Président Blaise Compaoré), et Mahamoudou Dicko, président de la Nouvelle alliance du Faso (NAFA, parti fondé par Djibril Bassolé, ancien ministre des Affaires étrangères sous Blaise Compaoré, actuellement jugé dans le cadre du putsch manqué de 2015, ndlr), n’ont pas souhaité s’exprimer, les travaux du dialogue, étant confidentiels.

Mahamoudou Dicko a tout de même évoqué quelques attentes générales à l’issue du dialogue. Des attentes qui rejoignent celles de l’opposition toute entière.

«Nous sommes dans un pays qu’il faut continuer à construire. Si ce qui nous unit est plus important que ce qui nous divise, il faut que dans l’intérêt supérieur de la nation nous laissions nos égos, et que nous discutions discute pour trouver un minimum de consensus. Concernant la situation nationale, il y a des points importants tels que la sécurité et le vivre ensemble qu’il nous faut aborder. Au niveau du code électoral, il faut qu’on s’entende sur les règles du jeu pour qu’on accepte ensuite les résultats», a confié à Sputnik Mahamoudou Dicko.

De nombreux acteurs de la scène nationale (société civile, syndicats…) sont sceptiques quant à l’opportunité ou encore aux chances de réussite de ce dialogue auquel ne participe que la classe politique.

Pour Chrysogone Zougmoré, le président du Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP), la tenue d’un dialogue politique national dans un contexte sécuritaire alarmant, est loin d’être prioritaire.

«Je pense que la priorité aujourd’hui devrait être la lutte contre l’insécurité au Burkina, avant même de parler d’un dialogue national. Actuellement, la région du Sahel dans le nord est pratiquement entre les mains des terroristes. Parler notamment lors d’un dialogue du code électoral et de la présidentielle, d’accord, mais comment faire pour arriver dans cette zone pour battre campagne, pour trouver les électeurs?», a déclaré au micro de Sputnik Chrysogone Zougmoré.

Depuis 2015, les attaques armées, attribuées à des groupes djihadistes par les autorités burkinabés, ont fait plus de 300 morts. Elles touchent essentiellement le nord et l’est du pays, et sont devenues particulièrement fréquentes et meurtrières à partir de 2018. Tant les forces de défense et de sécurité, les civils, que les communautés religieuses sont les cibles d’hommes armés, le plus souvent non identifiés.

Ces attaques et les menaces qui les accompagnent généralement, occasionnent des déplacements massifs de populations. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) estime à près de 220.000 le nombre de personnes déplacées au 8 juillet 2019.

Du côté de ceux qui dénoncent le caractère exclusif du dialogue figure Pascal Zaïda, coordonnateur du Cadre d’expression démocratique (CED). Interrogé par Sputnik, ce leader de la société estime qu’il est «dommage que ce dialogue ne soit pas inclusif car les questions importantes de la vie du Burkina vont au-delà des préoccupations des partis politiques».

«Les véritables problèmes du Burkina Faso vont au-delà des partis politiques. Ce ne sont pas seulement l’opposition et la majorité qui doivent s’asseoir pour discuter de l’état de la nation, mais tous les acteurs», a déclaré au micro de Sputnik Pascal Zaida, coordonnateur du CED.

Pascal Zaïda affirme ne pas croire en «la sincérité du Président Roch Kaboré qui a organisé ce dialogue pour voir dans quelle mesure il peut être réélu en 2020». Il espère tout de même qu’il résultera du dialogue des conclusions favorables pour les Burkinabè, notamment en ce qui concerne la révision du code électoral et le retour des exilés politiques de l’insurrection populaire d’octobre 2014, qui a mis fin aux 27 ans de pouvoir de Blaise Compaoré.

Siaka Coulibaly partage la critique de Pascal Zaïda sur le caractère exclusif du dialogue.

«Ce dialogue est uniquement réservé aux forces politiques à l’exclusion des forces sociales qui auraient pu y contribuer mais aussi s’approprier des conclusions du dialogue. Quand on prend les deux points de la sécurité et de la fronde sociale, on se demande ce que le gouvernement peut apporter de nouveau. Et surtout, on se demande ce que l’opposition peut prendre comme engagement en vue de résoudre ces deux grands problèmes», insiste l’analyste burkinabè.

Pour Siaka Coulibaly, l’opposition n’ayant aucun lien avec les groupes terroristes, il est manifeste qu’elle ne peut pas prendre d’engagement en leur nom. De même qu’elle ne peut pas s’engager pour les syndicats en terme d’acceptation de la trêve sociale proposée par le gouvernement.

«Quand on se penche sur les points de discussion retenus et la composition des participants au dialogue, on se rend compte qu’il y a une dichotomie entre ces points et les acteurs qui ont été sélectionnés. Cela laisse présager qu’au final, que les conclusions de ce dialogue seront probablement des vœux, des souhaits, des recommandations, et qu’il n’y aura peut-être pas de grandes décisions. Au mieux, ce dialogue peut aboutir à des accords politiques allant même jusqu’à un gouvernement d’ouverture», a-t-il encore déclaré.

Tout comme Siaka Coulibaly, de nombreux internautes, parmi eux des web activistes, pensent qu’il y a de fortes chances que les acteurs laissés en marge ne se sentent pas concernés par les conclusions du dialogue et donc que peu de choses ne changent au final.

Sputnik

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