Le colonel Auguste Denise Barry est accusé d’avoir mis en place un mouvement insurrectionnel pour déstabiliser le régime actuel.
Après deux ans et demi d’ombre, le colonel Auguste Denise Barry revient dans la lumière, malgré lui. Le bras droit de Yacouba Isaac Zida, l’ancien premier ministre de la transition, a été, selon le parquet militaire, inculpé, jeudi 4 janvier, d’« atteinte à la sûreté de l’Etat » et écroué à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA).
L’ancien ministre de la sécurité avait été arrêté par la gendarmerie nationale à Ouagadougou le 29 décembre 2017. Selon l’acte d’instruction que Le Monde Afrique a pu consulter, il lui est reproché « de prévoir avec d’autres personnes la déstabilisation du régime en place par un mouvement insurrectionnel ».
« La tentative est claire et avérée, assure une source sécuritaire. Le colonel Barry voulait se baser sur les organisations de la société civile afin de monter des manifestations prévues pour le 30 décembre dans le but de déstabiliser le pays », poursuit notre source, qui évoque de fortes sommes données à ces associations. « Une importante somme d’argent a été saisie », a confirmé le parquet militaire dans un communiqué. En parallèle, le colonel Auguste Denise Barry aurait contacté des éléments des forces de défense et de sécurité afin de s’assurer de leur soutien. En vain. « L’un d’entre eux a parlé et divulgué son plan », ajoute notre source.
Soupçons de coup d’Etat
Entendu jeudi, le colonel Barry rejette en bloc ces accusations. « Il attend qu’on lui présente ce qu’on lui reproche exactement », affirme un connaisseur du dossier, précisant qu’aucun élément précis et factuel sur le chef d’accusation d’atteinte à la sûreté de l’Etat n’a pour l’instant été présenté à l’intéressé.
Ministre de la sécurité éphémère sous l’ancien régime du président Blaise Compaoré, en 2011, le colonel Barry avait continué au même poste sous la transition, avant d’être remercié, en juillet 2015, suite à ce que les Burkinabés surnomment la « troisième crise du RSP ». Le Régiment de sécurité présidentielle (RSP), la garde rapprochée de M. Compaoré, dissoute après le putsch manqué de septembre 2015, était en conflit ouvert depuis des mois avec le premier ministre de la transition, Yacouba Isaac Zida.
En juin 2015, des militaires de l’ex-RSP ont été accusés de fomenter un coup d’Etat et même un complot visant à abattre l’avion du premier ministre. Fantasme ou réalité, le président de la transition, Michel Kafando, trouva sa solution : déboulonner Auguste Denise Barry, proche de M. Zida, à qui la hiérarchie militaire reprochait d’instrumentaliser des organisations de la société civile afin de demander une réforme de l’armée et la dissolution du RSP.
Règlement de comptes
Depuis juillet 2015, le colonel était resté discret, profitant de son éloignement du pouvoir pour créer son institut, le Centre d’études stratégiques en défense et sécurité (CESDS), en septembre 2016. A Ouagadougou, une partie de l’opinion lie son arrestation aux contradictions qui l’opposent à la hiérarchie militaire depuis la création de ce centre, qui s’apprêtait à publierune étude sur l’état des forces de défense et de sécurité au Burkina Faso. De source proche du dossier, un règlement de comptes n’est pas à exclure dans la mesure où « le colonel se savait surveillé depuis quelques temps ».
Tentative de putsch avérée ou bagarre politique… Ce n’est en tout cas pas la première tentative de déstabilisation des institutions annoncée par les autorités depuis leur arrivée au pouvoir, fin 2015. En janvier 2016, des éléments de l’ex-RSP avaient été accusés,, après l’attaque de la poudrière de Yimdi, de fomenter un complot militaire. Huit mois plus tard, Simon Compaoré, le ministre de la sécurité, avait cette fois annoncé avoir déjoué une tentative de déstabilisation des institutions orchestrée, là encore, par l’ancienne garde prétorienne de Blaise Compaoré.
Inculpé, le colonel Auguste Denise Barry devra donc prolonger son séjour à la MACA . Et continuer à en partager les couloirs décrépis avec l’ancien chef du RSP, le général Gilbert Diendéré, et ses hommes, qui y sont écroués depuis leur coup d’Etat de septembre 2015, lui aussi avorté.
Par Morgane Le Cam (Ouagadougou, correspondance)
LE MONDE