La junte veut recruter 50 000 supplétifs civils pour épauler l’armée. Une initiative qui pourrait attiser l’engrenage des violences intercommunautaires.
Les candidats défilent dans les sites d’enrôlement des différentes régions du Burkina Faso depuis que la junte a appelé, fin octobre, au recrutement massif de « volontaires pour la défense de la patrie » (VDP) afin d’épauler l’armée face à la menace terroriste. « Il y a beaucoup de jeunes, des paysans, des orpailleurs, des commerçants », rapporte un chef koglweogo, un groupe d’autodéfense traditionnel, dans le centre-nord, qui assure avoir reçu plusieurs centaines de dossiers qu’il devra remettre aux autorités. Le temps presse et les objectifs sont ambitieux : le gouvernement espérait mobiliser, d’ici au 4 novembre, 15 000 supplétifs à travers le pays. Le délai de dépôt des dossiers a été prolongé jusqu’au 18 novembre.
Un mois après son putsch, le jeune capitaine Ibrahim Traoré dévoile peu à peu sa nouvelle stratégie pour tenter de reconquérir les vastes pans de territoire occupés par les groupes armés. L’officier de terrain de 34 ans veut « aller vite » et mise pour cela sur une « mobilisation patriotique et populaire » de l’ensemble des Burkinabés pour contrer les violences djihadistes, qui ont fait, en sept ans, plusieurs milliers de morts.
Les décrets sont presque terminés. Le colonel Boukaré Zoungrana, fraîchement nommé ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et de la sécurité, finit de peaufiner le nouveau « concept d’emploi » censé encadrer la montée en puissance des VDP, ces auxiliaires civils de l’armée qui existent au Burkina Faso depuis 2020. « Ce n’est ni à la France ni à Wagner [groupe paramilitaire russe] mais à nous, Burkinabés, de défendre notre pays pour sa survie », défend le ministre, également commandant de la Brigade de veille et de défense patriotique (BVDP), qui coordonne les volontaires.
Renforcer les rangs des militaires
L’idée est d’intégrer 15 000 civils au sein d’« unités de combat » qui pourront « se déporter » à tout moment dans le pays en appui, en cas d’attaque, ou pour participer aux « opérations militaires sur le théâtre national ». Il s’agit de renforcer les rangs des militaires, qui manquent de moyens humains et matériels face à la multiplication des fronts, dans le Nord, l’Est et l’Ouest. En sus, et à plus long terme, les autorités espèrent mobiliser 35 000 autres VDP, affectés à la protection des « populations » et des « biens » dans leur village ou commune d’origine, sous la supervision de membres des forces de l’ordre, « en activité ou à la retraite ». L’objectif est de former des « blocs défensifs » pour empêcher les incursions djihadistes. « On ne veut plus qu’ils puissent entrer pour brûler une école, tuer des habitants, mener des prêches », résume le colonel Boukaré Zoungrana.
Comme la loi le prévoyait déjà, le recrutement de ces supplétifs se fait sur la base du volontariat et nécessite l’approbation des villages, réunis en assemblée. Les candidats doivent être majeurs, de nationalité burkinabée, être « physiquement et psychologiquement » aptes et sont sélectionnés à l’issue d’une « enquête de moralité ». Une fois retenus, ils devront suivre une formation « de deux à quatre semaines » durant laquelle ils apprendront à manier une arme et seront sensibilisés au droit international humanitaire et aux règles d’engagement, avant d’être dotés d’un équipement spécifique, le plus souvent un fusil d’assaut AK-47.
L’initiative d’armer la population avait été lancée sous l’impulsion de l’ancien président Roch Marc Christian Kaboré – renversé par un premier putsch en janvier – pour tenter d’encadrer la multiplication de groupes d’autodéfense à travers le pays. Malgré l’adoption d’une loi définissant leur statut en janvier 2020, les autorités de l’époque s’étaient rapidement retrouvées dépassées par la prolifération des milices villageoises. Mal équipés et mal formés, parfois livrés à eux-mêmes, les VDP ont régulièrement été accusés d’exactions à l’encontre des communautés. Le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, l’ex-chef de la junte, avait entrepris de les restructurer en créant la Brigade de veille et de défense patriotique, rattachée au commandement des opérations du théâtre national.
Des « comités de suivi et de contrôle »
L’ambition d’une supervision plus étroite est réaffirmée. « Au moindre acte contraire au code de conduite ou à la loi, nous suspendrons d’office leur contrat et, selon la gravité, procéderons à des poursuites judiciaires », insiste le commandant Boukaré Zoungrana. Ce dernier annonce la mise en place de « comités de suivi et de contrôle » composés de représentants des villages, pour éviter les dérapages, ainsi que le versement d’une nouvelle prime d’opération de 60 000 francs CFA (91 euros) par personne.
« L’objectif est de reconquérir au fur et à mesure les villages désertés avec l’aide des VDP qui resteront, une fois la zone nettoyée » – colonel Boukaré Zoungrana, ministre de l’administration territoriale
Les nouvelles autorités ne souhaitent pas communiquer officiellement sur le nombre de candidats, mais visent, à terme, le recrutement de cent volontaires par commune. Un plan ambitieux, alors qu’au Burkina Faso près d’un habitant sur dix a dû fuir son foyer à cause de l’insécurité et que certaines localités vivent sous le joug de la charia. « Pour le moment, nous n’atteindrons pas 50 000 volontaires. L’objectif est de reconquérir au fur et à mesure les villages désertés avec l’aide des VDP qui resteront, une fois la zone nettoyée, pour permettre le retour des populations », précise le ministre, qui dit espérer des résultats « d’ici quelques mois ».
Le projet est ensuite d’intégrer au fur et à mesure ces supplétifs au sein de l’armée. « Ils connaissent mieux le terrain et sont plus proches des habitants, ils obtiennent du renseignement plus facilement », assure un ancien élu d’Arbinda, une ville du nord encerclée par les groupes armés et qui fait office de dernier bastion dans la région du Sahel. Dès 2019, assure-t-il, des jeunes ont commencé à s’organiser, avec « quelques fusils », pour défendre la commune. Depuis, des groupes de volontaires participent régulièrement à des missions de patrouille et à des opérations conjointes avec les militaires.
Particulièrement ciblés par les terroristes
Mais de nombreuses interrogations persistent. D’abord celle de savoir combien de civils choisiront de s’enrôler, alors que l’armée manque déjà d’équipements et que les VDP sont particulièrement ciblés par les terroristes. « Ils sont prêts à mourir. Beaucoup ont tout perdu en fuyant, ils se disent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de se battre s’ils veulent essayer de récupérer leurs terres », rétorque la source d’Arbinda, où sont réfugiés plus de 27 000 déplacés des environs.
Surtout, la « milicianisation » de la lutte risque d’attiser l’engrenage des violences intercommunautaires et d’entraver les initiatives de dialogue avec les groupes armés, amorcées par l’ancienne junte. A Djibo, une ville du Nord placée sous blocus djihadiste depuis neuf mois, les pourparlers sont au point mort depuis la mise en place de volontaires. Les convois escortés par l’armée qui tentent d’approvisionner la commune sont régulièrement attaqués. Certains s’inquiètent également d’un déploiement de ces auxiliaires à l’échelle nationale, alors qu’ils devaient jusqu’ici s’astreindre à défendre leur zone de résidence.
« Quand on voit les appels aux meurtres qui se multiplient contre certaines communautés et la faible réponse de l’Etat, cela risque de donner les moyens à ceux qui cherchent à se venger. Et les représailles des groupes contre les villages enrôlés vont s’aggraver », s’inquiète un défenseur des droits humains, à Fada N’Gourma, dans l’Est. Ce dernier craint aussi que cette approche du « tout-sécuritaire » ne pousse d’autres personnes à chercher la protection dans les rangs djihadistes.