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Attaque d’In Amenas: «C’est comme si les terroristes étaient chez eux»

le complexe gazier In amenas

Il y a un an avait lieu l’attaque d’In Amenas, cet immense site gazier du sud-est algérien, où sont morts 40 employés, dont 39 expatriés et 29 membres du commando jihadiste de Mokhtar Belmokhtar. Un an après, on en sait un peu plus sur les failles qui ont permis aux terroristes de commettre ce massacre. Aux éditions de La Martinière, le journaliste français Walid Berrissoul co-signe In Amenas, histoire d’un piège en compagnie de Murielle Ravey, rescapée française de ce drame. Walid Berrissoul répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

 Votre livre s’ouvre par le témoignage de Murielle Ravey. C’est une infirmière française qui était la seule femme expatriée à travailler ce jour-là sur le site d’In Amenas. Elle a survécu parce qu’elle s’est cachée dans un bureau avec trois autres expatriés. Rester, fuir, pendant vingt-cinq heures, pendant toute une nuit, elle se dispute avec ses compagnons, elle est dans l’angoisse. C’est vraiment terrible.

Walid Berrissoul : Effectivement. Ce qui est terrible, c’est surtout le fait d’être face à un ennemi qui est invisible. Il est là théoriquement. Elle sait en plus que cet ennemi la cible, elle, particulièrement en tant qu’expatriée, mais surtout en tant que Française. On est cinq jours après le début de l’opération Serval au Mali et ça c’est quelque chose qu’elle a parfaitement à l’esprit. Et face à cet ennemi invisible, elle essaie de se cacher, elle essaie en fait d’agir et de ne jamais se mettre à se prostrer. On voit bien que certains des personnages ont, eux, beaucoup plus subi l’attaque.

Elle essaie de retrouver son téléphone portable pour communiquer avec l’extérieur parce que c’est essentiel…

Effectivement c’est essentiel, avec des dilemmes à certains moments. A un moment donné, elle essaie d’envoyer un mail et elle se dit, « non je ne vais pas le faire parce que peut-être qu’ils nous surveillent etc… »

Et peut-être que les terroristes peuvent nous repérer avec le mail que je vais envoyer…

Voilà. Les Algériens avec qui elle s’est retrouvée ont été d’un rôle absolument capital parce que c’est eux qui vont permettre justement cette évasion. Car c’est bien d’une évasion dont on parle.

Oui parce qu’en plus de ces quatre expatriés, il y a des Algériens qui ne sont pas aussi menacés par les terroristes puisqu’ils sont musulmans. Et grâce à ces Algériens, ils vont pouvoir s’extraire en groupe et aller au devant de l’armée avec un drapeau blanc pour ne pas être pris pour des terroristes et être tués eux-mêmes.

C’est d’ailleurs le moment le plus tendu pour elle. Le moment où elle s’est dit : « C’est quitte ou double ».

Ce qui est troublant dans votre livre, c’est qu’on y apprend que la sécurité du site était très défaillante ?

Effectivement, [une sécurité défaillante] alors que In Amenas est le troisième site de production gazier d’Algérie, que pour accéder au site, il faut l’équivalent d’un deuxième visa dans une zone qui est une zone militaire. Quand j’ai fait mon enquête, je me suis aperçu que pendant une période de plusieurs mois avant l’attaque, il y a eu une grève très dure qui a totalement dégradé le climat.

Une grève des employés algériens ?

Une grève des employés algériens pour des histoires de statut et de politique salariale de l’entreprise publique Sonatrach. Parmi ces grévistes, il y avait des Touaregs, des chauffeurs touaregs, donc des locaux, avec derrière cette revendication de la population locale qui aimerait avoir accès aux emplois générés par le pétrole et par le gaz.

Donc ces chauffeurs touaregs se mettent en grève, et en grève de la faim surtout. Il y a un épisode très précis qui révèle une lacune de sécurité. C’est le 27 novembre, on est un peu moins de deux mois avant l’attaque d’In Amenas, où les familles des grévistes de la faim viennent sur le site : des femmes, des enfants, des personnes âgées. A priori rien de dangereux sauf que pour les responsables de la sécurité d’In Amenas, c’est une brèche dans la sécurité puisqu’ils ne sont pas censés y entrer et que les gendarmes les y autorisent.

Est-ce qu’on a la preuve aujourd’hui qu’il y avait des complices à l’intérieur de la place ?

Il y a eu au moins une arrestation, d’après l’enquête algérienne, à laquelle on a assez peu accès. Il y a eu au moins une arrestation d’un chauffeur-livreur, une personne qui aurait donné des informations à ce qui deviendra le commando d’In Amenas. Par ailleurs, les terroristes, c’est comme s’ils étaient chez eux. Ils arrivent et ils savent exactement où aller, ils savent exactement qui attraper. Ce jour-là, ils arrivent directement dans l’espace VIP où sont hébergés des hautes personnalités de BP ou de Statoil, l’entreprise norvégienne, qui viennent pour des visites d’affaires. Et c’est le premier bâtiment que les terroristes investissent.

Le lendemain de l’attaque terroriste, l’armée algérienne donne l’assaut et tire sur un convoi de plusieurs véhicules conduits par des jihadistes qui veulent déplacer les otages. Et là, c’est le bain de sang.

C’est l’épisode le plus meurtrier de cette crise des otages d’In Amenas, qui dure quatre jours. Sur comment les otages ont été tués, c’est toujours le flou le plus total un an après. Je me suis concentré sur la victime française qui s’appelle Yann Desjeux, qui était le numéro deux de la sécurité sur le site. Il est mort de neuf balles de kalachnikov dans le corps. La kalachnikov est l’arme qui était à la fois utilisée par les terroristes et par l’armée algérienne. Il était attaché poignet à poignet, menotté au chef du commando qui était la cible prioritaire des soldats algériens.

Le commando de terroristes appartenait au mouvement des « signataires par le sang » de Mokhtar Belmokhtar. Ces hommes voulaient mourir en donnant la mort. Est-ce que l’armée algérienne avait une autre solution que de donner l’assaut ?

Ils disent que non, il n’y avait pas d’autres solutions face à la détermination suicidaire de ce commando qui a vraiment été conçu comme ça. Son but, c’est de mener des actions kamikazes. On est dans quelque chose de beaucoup plus extrémiste. La ligne de l’armée algérienne, de toute façon,  c’est de ne pas négocier. A partir de là, on a du mal à imaginer quelle autre option malheureusement aurait pu s’offrir à eux.

Trois membres du commando terroriste ont survécu. Vont-ils être jugés en Algérie ? Et est-ce que les magistrats japonais, britanniques ou français pourront avoir accès aux dossiers des juges algériens ?

Sur les trois terroristes survivant du commando, d’après mes informations, le parquet français a pu obtenir les PV d’audition, ce qui est un élément suffisamment important pour qu’une enquête préliminaire se transforme en instruction. C’est le cas depuis quelques jours maintenant. Trois juges ont été désignés et c’est ce qui va permettre d’avancer.

Dont le juge Trévidic ?

Dont le juge Trévidic. Après ça n’a pas été une coopération directe avec l’Algérie, c’est-à-dire que l’Algérie avait ses [propres] pièces. Elle les a données au FBI américain qui par ailleurs enquête sur la mort de Christopher Stevens, l’ambassadeur en Libye. Il y avait sans doute un lien entre certains éléments d’In Amenas et ceux de Benghazi. Les Etats-Unis ont donc fait ce rapprochement et ont demandé à l’Algérie, qui a été plus coopérative qu’avec la France, afin d’avoir ces éléments. Et c’est comme ça que la France a pu les récupérer. Dans la relation directe entre la France et l’Algérie, pour le moment, il y a eu deux demandes d’entraide judiciaire qui sont restées sans réponse.

Est-ce que ce drame a servi de leçon en Algérie ? Est-ce que les sites gaziers et pétroliers sont maintenant mieux sécurisés ?

Il semble que oui. En tout cas, maintenant, ce qu’il manque, ce sont les expatriés sur ce site, qui a un défaut majeur, c’est qu’il est à 80 kilomètres de la frontière libyenne. On peut comprendre que ça fasse hésiter les compagnies étrangères.

rfi

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