Les effets de l’insécurité dans les zones de conflits et ceux des inondations, sécheresses et urgences sanitaires continuent d’affecter les civils tant au niveau de leur protection que de leur accès aux services sociaux de base, leur sécurité alimentaire et nutritionnelle et leur capacité de résilience. L’analyse des besoins des clusters révèle que cette année, environ 4,3 millions de personnes -dont 75 pour cent de femmes et d’enfants- ont besoin d’assistance humanitaire dans le pays. Ce chiffre est en augmentation de 1,1 million de personnes par rapport à janvier 2019, selon le rapport du bureau de la Coordination des affaires humanitaire (Ocha).
Cette hausse se justifie par un surplus de personnes dans le besoin dans 6 secteurs sur 7 en raison de la persistance des conflits dans le Nord et de leur extension dans de nouvelles zones au Centre du pays accroissant ainsi les besoins dans les secteurs des abris, de l’eau, l’hygiène et l’assainissement, de l’éducation, de la nutrition, de la protection et de la santé. « Cependant, il est à préciser que dans le secteur de la sécurité alimentaire, l’évolution du nombre de personnes dans le besoin doit être comprise au niveau qualitatif (c’est-à-dire par rapport au nombre de personnes touchées par l’insécurité alimentaire sévère). Si la population dans le besoin est légèrement en baisse dans ce secteur, il se révèle une hausse de 800 000 personnes en besoins immédiats d’assistance alimentaire (population en phases 3 et 4 du CH). En effet, en janvier 2019, environ 415 800 personnes (cadre harmonisé novembre 2018) avaient besoin d’une assistance immédiate contre 1,1 million de personnes à la même période en 2020 (cadre harmonisé novembre 2019) », indique le rapport de l’Ocha. Avant de précisé que plus de 78% des personnes dans le besoin en 2020 vivent dans les régions de Mopti (1,5 million de personnes ou 55% de la population régionale), de Tombouctou (692 000 personnes ou 74% de la population régionale), de Gao (685 000 personnes ou 91% de la population régionale) et de Ségou (500 000 personnes ou 15% de la population régionale) toutes situées au nord ou au centre du pays. Les 10% de personnes restantes vivent dans les régions de Kayes, Koulikoro, Sikasso, Kidal et dans le district de Bamako : « Le plan de réponse humanitaire en cours de finalisation indiquera le nombre de personnes qui seront ciblées par les partenaires humanitaires et le budget requis pour cette année… ».
1,1 million de personnes seront à risque d’insécurité alimentaire sévère…
Selon le bureau de la Coordination des affaires humanitaires (Ocha), la situation alimentaire du Mali s’est détériorée par rapport à l’année dernière selon les résultats de l’analyse du Cadre Harmonisé (CH) de novembre 2019. « Entre octobre et décembre 2019, environ 3,6 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire, dont près de 650 000 en insécurité alimentaire sévère et avaient besoin d’une assistance alimentaire d’urgence. A titre comparatif, 185 000 personnes étaient en insécurité alimentaire sévère à la même période en 2018. En effet, le CH prévoit que durant la période de soudure de juin à août 2020, près de 4,9 millions de personnes seront en situation de risque ou d’insécurité alimentaire dont 1,1 million en phase sévère. Ces chiffres représentent le niveau le plus élevé enregistré au cours des cinq dernières années. La région de Mopti est la plus affectée par l’insécurité alimentaire. Durant la période de soudure, les prévisions révèlent que deux personnes touchées par l’insécurité alimentaire sévère sur cinq (soit 456 000 sur 1,1 million de personnes affectées) seront dans cette région si aucune action de renforcement de l’assistance n’est prise maintenant pour inverser cette tendance », précise le rapport. Le contexte opérationnel marqué par les conflits constitue la cause principale de l’insécurité alimentaire dans les régions du Nord et du Centre du Mali où les surfaces cultivées ont diminué. Dans les zones affectées par les conflits comme dans la région Mopti où près de 20% des villages n’ont pas ou ont peu cultivé en 2019, la période de soudure s’étend sur presque toute l’année. Le besoin d’assistance alimentaire est continu dans ces zones : « Par ailleurs, des milliers de personnes sont forcées au déplacement et n’ont pas accès à leurs champs ou à leurs autres activités génératrices de revenus. Selon les données de la Commission Mouvement de Populations publiées, au novembre, le pays comptait plus de 201 000 personnes déplacées internes dont plus de 100 000 nouvelles personnes déplacées enregistrées en 2019. Ces déplacements ont eu pour conséquence, une baisse significative de la production agricole et la perte du bétail. De plus, le confinement de certaines communautés vivant dans les zones de conflit limite leur accès aux marchés et aux moyens de subsistance ». D’autres facteurs ont contribué indirectement à la détérioration de la situation alimentaire. Il s’agit du dysfonctionnement des marchés du fait de l’insécurité et des inondations des mois de juillet et août 2019. Elles ont fait 90 000 sinistrés et entraîné des dégâts matériels dans plusieurs régions du pays. En 2019, les partenaires humanitaires, en coordination avec le gouvernement du Mali, ont fourni une assistance dans le secteur de la sécurité alimentaire à plus de 960 000 personnes. Il s’agit des personnes en phase 3 ‘’crise’’ et en phase 4 ‘’urgence’’.
L’accès humanitaire: un défi majeur dans certaines parties du pays
L’accès humanitaire reste complexe en raison de l’insécurité dans certaines localités au centre et au nord du pays et plus particulièrement dans les zones le long des frontières avec le Niger et le Burkina Faso (Liptako Gourma). Les principales contraintes d’accès sont dues aux hostilités entre les groupes armés, aux tensions inter-communautaires, à la présence d’engins explosifs improvisés et à la criminalité grandissante. Dans les zones à haut risque sécuritaire, l’accès des acteurs humanitaires aux populations affectées et des populations civiles aux services sociaux de base ainsi qu’aux moyens de subsistance est également rendu difficile par les contraintes sécuritaires précitées. Malgré les difficultés d’accès, les interventions humanitaires se poursuivent et sont parfois menées par les organisations locales et nationales qui travaillent en partenariat avec des ONG internationales et des agences des Nations Unies. C’est le cas, par exemple, dans les zones rurales de N’tilit, Tessit et Ouatagouna (région de Gao), Niafounké, Diré, et Gossi (région de Tombouctou) et toute la zone au Sud-Est de Ménaka y compris certaines zones de Douentza. Ces opérations humanitaires restent possibles grâce aux stratégies d’acceptation et de négociation de l’accès mises en œuvre par les acteurs humanitaires auprès des populations locales, des acteurs étatiques et des groupes armés non étatiques ainsi qu’à l’adaptation aux exigences des zones d’interventions dans le respect des principes humanitaires. Ces actions sont soutenues par OCHA et spécifiquement l’équipe chargée de la coordination civilo-militaire qui a organisé, en 2019, des formations sur le mandat des organisations humanitaires et les principes humanitaires au profit d’environ 450 partenaires (acteurs armés et membres de la société civile) dans le pays. Quelques chiffres sur les incidents sécuritaires affectant les civils y compris les acteurs humanitaires Il y a eu 180 cas d’actes de banditisme visant les ONG répertoriés en 2019 selon les données de l’INSO (International NGO Safety Organisation). « L’année dernière, 194 incidents liés aux engins explosifs improvisés (EEI) ont été notifiés. Ces incidents ont fait 216 victimes civiles dont 79 civils tués. La région de Mopti a enregistré 93% des victimes. S’agissant des incidents de protection, 1 882 cas ont été rapportés par le monitoring de protection en 2019 contre 1 025 en 201 ; soit une augmentation de 45% », souligne l’Ocha.
Ménaka : l’assistance humanitaire fortement compromise par la criminalité
Plusieurs ONG internationales – ACTED, CRS, IEDA Relief, IRC, Médecins du Monde et NRC – ont suspendu leurs activités dans la région de Ménaka depuis le 24 décembre 2019 pour une durée indéterminée à cause de la répétition et de la gravité des braquages et cambriolages affectant aussi bien les organisations humanitaires que les habitants de Ménaka. « Cette décision est survenue après que les ONG internationales actives à Ménaka ont prévenu que si l’insécurité et la violence se poursuivaient, elles seraient obligées de suspendre leurs opérations. Il est impératif que des mesures immédiates soient prises par les parties prenantes locales et nationales pour mettre un terme à l’insécurité et assurer la protection des populations civiles y compris les travailleurs humanitaires. Si cette situation perdure, les conditions de vie d’environ 148 000 personnes (estimation de la population dans le besoin à Ménaka selon l’aperçu des besoins humanitaires de 2020) ayant besoin d’assistance d’urgence pourraient gravement se détériorer ». Quelque 42 incidents sécuritaires ciblant les acteurs humanitaires ont été répertoriés à Ménaka en 2019 faisant de cette région celle où les ONG ont été le plus affecté par la criminalité au Mali l’an passé selon International NGO Safety Organisation (INSO*). Au total, neuf ONG internationales sont actives à Ménaka, en plus d’un certain nombre d’ONG locales et du CICR. Il s’agit d’une des plus faibles densités de présence humanitaire au Mali, avec cependant le plus fort taux d’incidents contre ces organisations, leur personnel et leurs biens. Les ONG de Ménaka, soutenues par l’équipe humanitaire pays et le forum des ONG internationales du Mali (FONGIM), mènent actuellement un plaidoyer auprès des autorités et de l’ensemble des acteurs locaux de Ménaka afin que des engagements concrets soient pris pour assurer les conditions de sécurité nécessaires à la reprise rapide de leurs opérations.
Arrivée d’environ 1 000 ménages à Ménaka…
Au total, 491 ménages nigériens (estimés à 1 972 personnes) et 517 ménages maliens (estimés à 2 681 personnes) sont arrivés, selon les premières estimations des autorités locales et des partenaires de monitoring de protection du HCR, dans le cercle d’Andéramboukane, région de Ménaka, à la suite d’attaques perpétrées dans deux villages de la région de Tillabéry au Niger les 9 et 16 janvier 2020. Cette population est composée à 31% de femmes et à 47% d’enfants. Il est à noter que de groupes de personnes continuent de traverser la frontière nigéro-malienne pour se réfugier au Mali. Ces nouveaux arrivants s’ajoutent aux 1 024 réfugiés nigériens arrivés et enregistrés en 2018 par la Commission nationale chargée des réfugiés du Mali avec l’appui du HCR. Selon les informations préliminaires recueillies par le HCR auprès de ses partenaires, ces réfugiés et déplacés ont dans leur fuite abandonné leurs maisons et leurs biens. Leurs besoins les plus urgents incluent : la protection, l’eau, la nourriture, les abris, les soins de santé et l’éducation des enfants. Ils vivent dans des familles d’accueil ou dans des abris précaires et ont reçu des coupons alimentaires fournis par le Programme Alimentaire Mondial à travers la Direction régionale de Développement Social de Ménaka. Cette assistance couvre leurs besoins pour 15 jours. Les nouveaux arrivants ont un accès gratuit aux soins de santé dans les structures sanitaires locales. Cependant les partenaires ont signalé un risque de rupture d’intrants.
Certaines personnes ont subi un traumatisme qui requiert un suivi psychologique. Le HCR et l’UNICEF prévoient des interventions dans les secteurs de la protection et des abris. Le HCR, en coordination avec les autorités maliennes et d’autres partenaires humanitaires, prévoit de déployer une mission sur le terrain afin de vérifier les chiffres provisoires et de mieux cerner l’ampleur des besoins pour renforcer la réponse multisectorielle rapide. Bien que ces personnes soient confrontées à des risques de protection et que leurs besoins soient pressants, la situation sécuritaire dans le nord du Mali et plus précisément à Ménaka, pose un défi majeur en termes d’accès humanitaire. Cette situation conforte le plaidoyer en vue de l’amélioration de la protection des partenaires humanitaires dans cette région où des ONG internationales ont actuellement suspendu leurs activités pour des raisons liées à l’insécurité.
Le système éducatif continue d’être affecté par l’insécurité…
Selon l’Ocha, en 2019, l’année scolaire a été perturbée pour 333 900 élèves suite à la fermeture de 1 113 écoles (soit 12% des écoles des régions affectées par les conflits) consécutivement à l’insécurité. « Résultant de cette insécurité, les menaces contre les enseignants, les élèves, les parents et les leaders communautaires sont les raisons principales de cette fermeture. Grâce aux efforts conjugués de l’UNICEF et de ses partenaires, 218 de ces écoles ont rouvert sur la période octobre-décembre 2019. Ces efforts allient un plaidoyer de haut niveau ayant abouti à la déclaration sur la sécurité dans les écoles endossée par le gouvernement malien en février 2018 à des actions de dialogue et de mobilisation communautaires (le Dispositif Participatif Communautaire) », rapporte l’ONG.
Les régions les plus touchées par la fermeture des écoles sont celles de Ménaka (41% d’écoles non fonctionnelles), Kidal (33%), Mopti (30%), Tombouctou (21%) et Gao (18%). Toutefois, la situation la plus critique est observée dans trois cercles de la région de Mopti où les taux d’écoles non-fonctionnelles à la suite de cette insécurité sont les plus élevés notamment à Youwarou (84%), Douentza (64%) et Tenenkou (61%) : « Depuis le début de la nouvelle année scolaire en octobre 2019, le phénomène s’étend, affectant ainsi les régions de Ségou et de Koulikoro avec respectivement 60 écoles et 50 écoles devenues non-fonctionnelles. Les défis dans le secteur de l’éducation sont aggravés par la grève des enseignants du secteur public depuis plus d’un mois ».
Mohamed Sylla