Le gouvernement nigérien, Issoufou Katambé, essaye d’enterrer un scandale de détournement de fonds au ministère de la Défense.
Après la rumeur insistante d’une enquête sur des détournements de fonds dans l’armée, la confirmation tonitruante est venue par la voix du ministre de la Défense lui-même, Issoufou Katambé, enregistré, apparemment à son insu, lors d’une causerie informelle avec des militants.
Dans des termes crus, le ministre a confirmé l’existence d’un audit mené à bien par son ministère et fait part de son indignation, réelle ou simulée. S’exprimant en haussa, il a confié l’origine de cet audit: «Sachez que quand le Président m’a appelé pour me dire qu’il allait me nommer Ministre de la défense, il m’a dit que de graves abus et malversations avaient été commis et il m’a dit: ‘je veux que tu m’enlèves les gars de là-bas’. Je lui ai dit que je prenais l’engagement de travailler selon ses instructions, mais j’ai posé une condition: me laisser faire un audit. Cet audit est en cours, les enquêtes sont en cours et, par la grâce de Dieu, si on suit bien ce que je recommande, tout ce celui qui a ‘mangé’, tout celui qui a bouffé l’argent des pauvres, il va le vomir. »
Des coupables en pâture
Le ministre, qui devrait être le dernier du 2ème mandat du président Mahamadou Issoufou, a été nommé, en septembre 2019. Craignait-il de devoir payer, seul, la facture de la mauvaise gestion du ministère de la Défense, de 2011 à 2019, après le départ du Président, son ami de longue date, l’année prochaine ? S’agit-il d’apaiser la colère croissante de l’opinion publique après les cuisantes défaites encaissées par l’armée nigérienne sur le front djihadiste de l’Ouest, en livrant en pâture des coupables ?
Le ministre, jurant à ses amis que le gouvernement avait mobilisé tous les moyens possibles pour appuyer les soldats, s’est indigné: «ces moyens ne sont jamais arrivés à destination! On a acheté des fusils et des munitions mais, sur le champ de bataille, certaines cartouches de mauvaise qualité ne détonnaient pas. Ce sont les soldats eux-mêmes qui me l’ont dit. Cela a été même dit à l’Assemblée nationale. L’ancien chef d’État-major l’a dit aux députés.»
«Si des militaires sont impliqués dans des malversations, je n’ai peur de personne, je le leur ai dit, si des gens sont impliqués dans cela, il faut qu’ils sortent l’argent, qu’ils payent.»
Le ministre a d’ailleurs ajouté, sur sa lancée, que s’il ne tenait qu’à lui, il les ferait bien passer par les armes. «Mais maintenant qu’on parle des droits de l’Homme, ça n’ira pas jusque là.»
De la Russie, à l’Ukraine, la Chine, Israël, les enquêteurs ont pu aller vérifier sur le terrain tous les marchés. «Tous les renseignements ont été obtenus. On sait ce que chacun a fait. On va amener le rapport au Président et c’est à lui de savoir ce qu’il va en faire.»
Mais sa conviction est faite, cependant: «si les militaires entendent ce qu’il y a dans ce rapport, s’ils découvrent qui a fait ça, moi, je pense qu’il se trouvera un militaire qui prendra les armes et tirera. Même les parents qui ont perdu leurs enfants (à la guerre), ils sont susceptibles de tuer ceux ont commis ces malversations.»
A la suite de la diffusion de cette incroyable intervention, le gouvernement a finalement publié un communiqué en forme de litote, le 26 février, qui a déclenché une nouvelle vague d’indignation.
Dans ce communiqué, qui ne précise pas les chiffres des détournements mis au jour, de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliards de francs CFA selon les sources, le gouvernement traduit à la fois son embarras et la stratégie adoptée pour enterrer le dossier. «Jamais les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) de notre pays n’ont été aussi bien équipées», dit le communiqué, qui invoque, pour preuve de l’engagement des autorités en faveur des FDS, la création récente d’un fonds en faveur des veuves et orphelins et la réception de deux (02) nouveaux hélicoptères de combat. «Une part substantielle du budget de l’Ètat est consacrée à cet effort», réaffirme le gouvernement, qui veille «à ce que les ressources budgétaires allouées aux Forces de Défense et de Sécurité soient utilisées de manière optimale.»
Ordonné par le Président de la République pour «améliorer l’efficacité de la dépense», l’audit a «relevé des insuffisances dans les procédures de passation des marchés ainsi que dans le suivi de leur exécution.»
Les auteurs de ces détournements devront donc rembourser les «montants indûment perçus soit en raison de surfacturation, soit au titre des paiements de services et livraisons non effectués ou partiellement effectués.» Les fournisseurs qui refuseraient de s’exécuter seront déférés devant les tribunaux compétents. Les agents publics incriminés feront, pour leur part, l’objet de «sanctions administratives appropriées». On n’y dit mot des responsables politiques.
Évidemment, cette promesse d’assainissement n’engage que ceux qui y croient, faute de contrôle public, désormais, de la suite de la procédure. La justice se retrouve, de facto, écartée de l’enquête et de la poursuite.
Des suites judiciaires possibles
La Commission nationale des Droits de l’Homme a aussitôt pressé les autorités de revenir sur leur position pour donner une suite judiciaire à l’audit. Le Syndicat autonome des magistrats du Niger (SAMAN) s’est, lui, insurgé contre la violation des «principes de séparation des pouvoirs, d’égalité des citoyens devant la loi et d’indépendance de la justice, lesquels principes constituent pourtant le socle de l’État de droit et de la démocratie.»
Le puissant syndicat y voit la consécration d’une «nouvelle catégorie de citoyens, justiciables de la très indulgente juridiction gouvernementale, auxquels on donne le choix de rembourser les colossaux montants des deniers publics qu’ils sont soupçonnés d’avoir détournés, à l’opposé du commun des mortels qu’on peut faire arrêter et poursuivre pour toute atteinte aux biens et deniers publics.»
Quant à l’opposition politique nigérienne, elle a «exigé la transmission sans délai du rapport d’inspection aux juridictions compétentes» et promis «de veiller sur le traitement de ce dossier par un gouvernement passé maître dans l’injustice et le traitement sélectif.» Elle tiendra «le Chef de l’État, Chef suprême des armées, pour seul et unique responsable de la tragédie que vivent nos FDS et le peuple nigérien.»
Nous sommes encore loin de la norme l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui voudrait que l’homme puisse disposer «d’au moins vingt (20) litres d’eau par personne et par jour à partir d’une eau salubre dans un rayon d’un kilomètre». Que dire de l’accès à l’énergie dont la demande de consommation primaire va doubler d’ici 2050 ?
Source: Mondafrique