Réputé pour son franc-parler, celui-ci estime que le retrait du Mali du G5 Sahel, annoncé le 15 mai, a sabré les derniers espoirs de résurrection de la Force conjointe, créée en 2014 avec le Mali, le Tchad, le Niger, la Mauritanie et le Burkina Faso pour lutter contre les groupes terroristes sahéliens et booster le développement économique de la région.
Pour Mohamed Bazoum, l’attitude malienne, sans être une grande surprise, l’isole en Afrique et nous prive d’une stratégie concertée et coordonnée pour lutter contre le terrorisme ».
A cette capitulation politique, le Tchad a répondu, en fin de semaine dernière, par l’envoi d’une délégation à Bamako, chargée de sauver ce qui pouvait encore l’être de l’alliance et de faire revenir la junte malienne à la raison.
Le porte-parole du gouvernement tchadien Abderaman Koulamallah estime que tout peut encore revenir dans le bon ordre. Pour lui, le G5 Sahel, conçu sous la présidence du Mali, est toujours présent.
Les raisons du départ
Dans un de ces communiqués péremptoires dont il a désormais le secret, le gouvernement malien avait pourtant annoncé avec fracas, la semaine précédente, quitter l’instance de coopération sécuritaire.
Le gouvernement du Mali décide de se retirer de tous les organes et instances du G5 Sahel, y compris la Force conjointe antijihadiste, avait écrit le porte-parole du gouvernement, dénonçant une force instrumentalisée par l’extérieur. Le gouvernement malien n’aurait pas digéré l’opposition de certains États du G5 Sahel à son accession à la présidence tournante de la Force conjointe, qui devait avoir lieu en février 2022.
La passation a traîné en longueur, Bamako y voyant une manœuvre de certains États membres, motivée par des considérations sur la politique intérieure du Mali, d’après le porte-parole du gouvernement malien.
La junte du colonel malien Assimi Goïta, arrivée au pouvoir à la suite d’un coup d’État en 2020, puis à nouveau en août 2021, n’a en effet toujours pas respecté son engagement politique vis-à-vis de ses partenaires africains, en prolongeant de plusieurs mois, contre leur avis, la durée de la transition à des pouvoirs civils élus démocratiquement.
Mais pour le Mali, le comportement des États membres du G5 Sahel aurait surtout à voir avec les manœuvres d’un État extra-régional visant désespérément à l’isoler.
Une façon d’accuser, sans la citer, la France, avec qui les relations n’ont fait que se détériorer depuis les putschs de 2020 et 2021, le départ forcé de la force Barkhane sous la pression des autorités maliennes et leur rapprochement avec la société militaire privée Wagner.
En mars dernier, les autorités maliennes avaient recouru au même argumentaire contre la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), lorsque celle-ci avait adopté une série de sanctions économiques et financières très lourdes contre elles.
Au terme de son communiqué, Bamako justifie aussi sa décision de quitter le G5 Sahel en pointant le dysfonctionnement grave de ses organes.
Le G5 fonctionnait-il si mal ?
Sur ce dernier point, difficile d’opposer un contre-argument au gouvernement malien. Car en le quittant, le Mali désintègre un G5 Sahel qui n’affichait déjà pas un bilan impressionnant, et qui était de plus en plus assimilé à une coquille vide.
En 2017, à la suite de la première opération militaire en trois ans – véritable démonstration de force (et de communication) – le commandant de la Force de l’époque, le général malien Didier Dacko, avait déjà dressé un bilan plus que mitigé : Beaucoup de difficultés sont apparues, des difficultés de coordination, des moyens de communication et des délais de mise en place à parfaire encore, pour que les prochaines opérations soient mieux conduites ».
Mais il n’y plus d’opérations conjointes d’envergure les années suivantes.
Depuis, hormis l’instauration du « droit de poursuite » en 2017 – qui autorise théoriquement les composantes armées de chaque État à traverser les frontières des autres pays membres pour traquer les groupes djihadistes – la suppression des visas à l’intérieur de la zone G5, ou encore la création d’une école de formation d’officiers à Nouakchott (Mauritanie) opérationnelle depuis 2018, la Force conjointe n’a pas pris l’envol espéré.
En dépit d’efforts sur la livraison de matériel (voir à la fin de l’article)* elle a été freinée par un niveau de financement bien en deçà des promesses de nombreux États, et a en plus subi une attaque de son quartier général à Sévaré (centre du Mali) en 2018, causant la mort de trois de ses personnels et son immobilisation pendant près d’un an.
À cette époque, l’Onu remarquait déjà que, cinq ans après le lancement du G5, les progrès n’étaient pas au rendez-vous. Seuls 75 % de la capacité opérationnelle prévue était déployée, et cela à cause d’un manque important de formation, de moyens et de matériel ».
La force sahélienne n’a jamais achevé sa mue pour se métamorphoser en armée transnationale opérationnelle de 5 000 puis 10 000 hommes, la plupart des bataillons nationaux agissant de leur côté, à défaut de pouvoir simplement communiquer entre eux sur le terrain.
Et maintenant ?
Tout au plus compterait-elle aujourd’hui 5 000 personnels, mais en août 2021, la décision du Tchad (qui possède l’armée la plus aguerrie du G5), de diviser par deux sa présence sur la zone des « trois frontières » (Mali, Burkina, Niger) – passant de 1 200 à 600 hommes – a encore diminué sa capacité opérationnelle où elle en avait le plus besoin, précisément dans ce Liptako-Gourma gangrené par le terrorisme.
En avril 2021, la mort du président Idriss Déby au front a également fragilisé l’État tchadien, pilier de la sécurité dans la région, très impliqué dans la Force conjointe.
Pour ne rien arranger, les coups d’État successifs – au Mali, en 2020 et 2021, au Burkina Faso, en janvier 2022 – ont privé le G5 d’interlocuteurs fiables sur la durée. Des autorités de transition leur ont été substituées, bien moins enclines au multilatéralisme, a fortiori au sein d’organes qu’elles estiment pilotés par l’Occident.
Un « G4 », voire un « G3 » demeurerait incapable d’assumer la lutte contre le djihadisme sur les 5 millions de km2 (10 fois la France) que représente la superficie des cinq pays.
L’appel du président nigérien
En réaction à l’isolement malien et en l’absence d’une vaste coopération strictement africaine, le président nigérien appelle aujourd’hui les Occidentaux à revoir totalement la stratégie sécuritaire dans le Sahel, en exhortant les Européens – la France en tête – à réinvestir la région.
On le voit avec la guerre en Ukraine : les Occidentaux ont beaucoup d’argent, dont ils peuvent mettre une partie significative dans le combat contre le terrorisme, dans la stabilisation de nos pays, estime le président nigérien, qui appelle de ses vœux une présence de Barkhane plus conséquente, des règles d’engagements différentes et plus d’équipements pour nos armées ».
Et d’appeler les Occidentaux à prendre plus de risques : Ils sont obnubilés par cette idée qu’il faut zéro perte pour réussir. Ils doivent consentir à un peu plus de sacrifices, prendre plus de risques et ne pas être hantés par les pertes.
Entre 2021 et 2022, le dispositif Barkhane, présent au Sahel depuis 2014, avait été forcé de précipiter son départ du Mali à la suite de demandes pressantes des autorités de transition maliennes.
Celles-ci ont depuis noué des engagements sécuritaires avec la société militaire privée russe Wagner, tout en dénonçant tous les accords de défense qui les liaient à la France.
Dans la foulée de ces événements, la France avait annoncé songer à redéployer une partie de son dispositif militaire dans un autre pays où il était déjà présent, évoquant notamment le Niger du président Mohamed Bazoum.
Pour autant, la présence d’un sentiment anti-français et de manifestations régulières contre la présence française en Afrique dans tous les pays du G5 Sahel rend ce redéploiement périlleux et imprévisible.