Le président russe était encore en train de parler lundi soir 21 février quand ont été signalés dans la nuit dans la région de Donetsk des colonnes entières de tanks, des camions de transport de troupes, des convois massifs, impressionnants, sur les principaux axes du territoire. Officiellement, les forces russes assument les fonctions de maintien de la paix, mais rien, ni calendrier, ni information sur l’ampleur du déploiement n’est communiqué.
En raison de l’heure tardive à laquelle Vladimir Poutine a signé les actes d’indépendance des républiques sécessionnistes, à Marioupol, la dernière grande ville de l’est ukrainien contrôlée par Kiev, à une vingtaine de kilomètres seulement de la ligne de front, c’est surtout sur les réseaux sociaux que les Ukrainiens ont fait part de leur émotion, de leur colère, voire de leur stupéfaction face à ce très long monologue du président russe en forme de charge contre leur pays. Comme il le fait toujours et cela depuis des années quand il parle de l’Ukraine, le président russe a fait un long développement historique pour nier son existence en tant qu’État, sa souveraineté. L’Ukraine et son gouvernemental actuel ont été dépeint dans des mots très durs comme « un pays corrompu », « livré à des terroristes, des radicaux qui ont organisé la terreur et commis des crimes ». Il a aussi repris la rhétorique régulièrement agitée sur un génocide en cours au Donbass et plus classique, il a évoqué les menaces qui pèseraient sur la Russie. Une frappe surprise, dit Vladimir Poutine.
« Marioupol, c’est l’Ukraine »
Un petit groupe de militants est quand même sorti aux alentours de minuit sur l’une des places centrales de la ville pour crier : « Marioupol, c’est l’Ukraine. » Car c’est bien l’inquiétude ici que les colonnes russes entrant dans le Donbass ne soient tentées d’aller au-delà des territoires séparatistes et qu’elles lancent un assaut pour gagner des localités encore sous administration ukrainienne. Dans cette ville, beaucoup se remémorent avec inquiétude ce bref moment où, au début de la guerre il y a presque huit ans, ce port industriel stratégique sur la mer d’Azov avait été entre les mains des séparatistes pro-russes.
Pour d’autres, le geste de Vladimir Poutine n’est que la confirmation d’un fait établi que la Russie occupe depuis le début ces territoires. La crainte est qu’avec cette sortie de facto des Accords de Minsk, Moscou ne soit plus tenue d’observer le régime du cessez-le-feu. D’autres enfin redoutent des provocations qui pourraient servir de prétexte à une guerre de grande ampleur contre l’Ukraine.
Multiplication des bombardements dans le Donbass
De Severodonetsk, dans le Donbass, non loin de la ligne de front, c’est aussi sur les réseaux sociaux que notre correspondant en Ukraine, Stéphane Siohan a pu recueillir, plutôt venues de Kiev, le sentiment des Ukrainiens après le discours du président russe. Un mélange de sidération devant la logorrhée historique révisionniste de Poutine. Les réactions sont très diverses : il y a de l’inquiétude bien sûr, mais surtout une rage froide, et chez certains une volonté affirmée de se préparer à en découdre. Le président Volodymyr Zelensky s’est adressé à ses compatriotes à 2h du matin, il les a appelé à garder leur sang-froid, en affirmant que les Ukrainiens ne devaient pas avoir peur et ne céderaient pas une parcelle de leur terre. Le président ukrainien en appelle encore à la paix et à l’action de la communauté internationale, mais en réalité, les forces armées ukrainiennes se préparent à l’éventualité d’une attaque russe. Dans le Donbass, la situation sécuritaire se dégrade à vue d’œil, les bombardements se multiplient sur la ligne de front, et lundi, deux soldats ukrainiens ont été tués et quatre blessés, tandis qu’un premier civil a perdu la vie. En réalité, le scénario qui est craint par beaucoup, c’est que les troupes russes qui rentrent en ce moment même dans les Républiques de Donetsk et de Lougansk, lancent un assaut meurtrier afin d’étendre les frontières de ces deux républiques dans le Donbass encore sous administration ukrainienne. Un tel développement pourrait conduire à des combats d’une intensité jamais vue en Ukraine, et dans ce contexte, dans le Donbass, déjà saigné par la guerre, la vie se fige.
Mais au-delà, à Kiev, dans tout le pays, les gens se préparent à un nouveau chapitre de leur vie : se mettre à l’abri et fuir pour certains, mais aussi pour beaucoup se mettre en résistance, voire prendre les armes. Vladimir Poutine qui ne sort presque plus du Kremlin s’est dit lui « confiant sur le soutien des Russes ». Rien n’est moins sûr. Avant son discours, le rouble a déjà chuté fortement, l’action de la principale banque russe a perdu 25%, et dans le pays, c’est le pouvoir d’achat en baisse, les difficultés dans la vie quotidienne qui sont depuis des mois en tête des préoccupations.
RFI