Les bandits armés qui écument la région de Tombouctou, particulièrement le cercle de Goundam, n’oublieront pas de sitôt ce qui leur est arrivé la semaine dernière dans la localité de Bintagoungou
En quelques jours, la cote de popularité de la Minusma a d’abord grimpé puis baissé à Gao pendant que des affrontements sanglants opposent groupes armés rebelles et mouvements d’autodéfense, tous violant allégrement les différents accords dont ceux de Ouagadougou et le cessez-le-feu. Comment en est-on arrivé là ?
Après le vote de la résolution 2164 par le conseil de sécurité de l’ONU sous le chapitre VII de la charte des nations unies renouvelant le mandat de la mission multidimensionnelle intégrée des nations unies pour la stabilisation du Mali (Minusma) et les récents accrochages à N’tillit, Tabancort, Almoustarat, Anéfis entre forces de la plateforme (Gatia, MAA et Cmfpr) et celles de la coordination des mouvements de l’Azawad, la cote de popularité des casques bleus avait grimpé dans le cœur des populations de la région de Gao, au point où, le vendredi 23 janvier dernier, près de deux mille personnes se sont réunies sur « la place de l’indépendance » de Gao pour une marche de soutien à la Minusma, suite à l’agression de ses éléments quarante-huit heures plus tôt à Kidal. Une des rares manifestations à laquelle les mouvements de résistance des jeunes et les membres des communautés touareg, arabe, et noire ont scandé ensemble l’hymne national et condamné les mouvements de l’Azawad, qu’ils qualifient de terroristes. Les paisibles marcheurs qui ne réclamaient que paix et sécurité dans un Mali indivisible ignoraient qu’au même moment, le général Thibaut du commandement des forces onusiennes et Mohamed Ag Najim de la coordination des mouvements de l’Azawad apposaient leur signature au bas d’un document dit « Accord pour l’Etablissement d’une Zone Temporaire de Sécurité(ZTS)»
Le désamour mortel
Le document en question, daté du 24 janvier, stipule que « les parties sont d’accord pour établir une zone temporaire de sécurité….située sur l’axe Anéfis-Almoustarat à 10 km de chaque côté ». En outre, le port des armes est interdit ainsi que « toutes les opérations militaires » à l’intérieur de cette zone « placée sous le contrôle exclusif de la Minusma qui en garantit la sécurité et assure la libre circulation des personnes et de leurs biens.»
Une réunion urgente est convoquée à Gao pour réagir contre cet accord passé sans le gouvernement du Mali, encore moins des autres forces armées présentes dans la zone. Une marche de protestation fut aussitôt décidée pour le lundi 26 janvier. Elle a drainé plus de cinq mille manifestants de « la place de l’indépendance » au siège de la Minusma, soit près de trois kms. Les marcheurs, encadrés par les forces de sécurité maliennes, ont décrié la ZTS et demandé l’annulation de l’accord. Une déclaration dite des populations de Gao est remise à la Minusma. Elle fustige l’attitude de soldats onusiens accusés de partialité dans l’accomplissement de leur mission.
Un bras de fer s’engage entre les populations qui se sentent trahies et délaissées par la Minusma censée les protéger. Le ton monte et le lendemain mardi, après un regroupement à la même place de l’indépendance, les marcheurs prennent le chemin du siège de la Minusma. Décidés à faire entendre leur voix, quitte à faire déguerpir les forces onusiennes et à les envoyer créer leur zone temporaire à Kidal qui en a besoin.
La foule aboutit à la Minusma, très nombreuse, avec des slogans hostiles à des casques bleus qui n’hésitent pas à lancer des grenades lacrymogènes que les jeunes gens leur retournaient immédiatement. Aussitôt, des corps ensanglantés tombent. Huit personnes sont abattues en présence de policiers et gendarmes maliens venus pour la sécurisation de la manifestation.
Les éléments de la protection civile, alertés, arrivent sur les lieux et évacuent les corps des victimes à l’hôpital de Gao. Une marche tragique dont le bilan s’élève à 3 morts par balle et 16 blessés dont 4 par balle.
Réactions
Sitôt le constat de cette tragédie fait, les populations affluèrent vers l’hôpital. Des pourparlers s’engagent immédiatement entre les responsables de la Minusma, les autorités régionales, les notables et chefs coutumiers et les autres acteurs des forces vives de Gao. Pour, d’abord, calmer les ardeurs et éviter que la situation ne s’embrase davantage, car pour les populations de Gao, rien ne justifiait les jets de grenades lacrymogènes, a fortiori des tirs d’armes de guerre sur des manifestants armés de bâtons et de cailloux.
Pourquoi, se dit le citoyen lambda, les casques bleus ont osé « gazer » et tuer à Gao alors qu’à Kidal, il y a juste une semaine, ils ont fui devant l’agression d’une poignée de femmes et d’enfants manipulés ? Cette journée du mardi restera à jamais gravée dans la mémoire des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants, dont le seul tort est de manifester pour un Mali un et indivisible et qui a besoin de tous ses fils pour décider de leur sort.
Entre-temps, le téléphone n’a cessé de sonner, car les ressortissants de Gao ailleurs, paniqués, venaient aux nouvelles. De Bamako on apprend que les responsables de la Minusma ont tenu une conférence de presse pour donner leur version des faits. Le président de la République a mis fin à sa visite hors du pays. Une délégation du gouvernement est dépêchée à Gao pour présenter des condoléances aux familles endeuillées et pour témoigner de la matérialité des faits. Les populations de Gao, meurtries dans leur âme et dans leur chair, ont, elles, passées une des nuits les plus tristes depuis le départ des envahisseurs djihadistes. Mais elles en ont profité pour se concerter et se préparer à affronter la rude journée du mercredi qui s’annonce incertaine malgré l’implication de toutes les forces vives pour calmer la situation.
Condoléances du gouvernement, mise au point
Le ministre de l’administration territoriale et de le la décentralisation et son homologue de la sécurité intérieure arrivent à Gao le mercredi matin. Ils se rendent à l’hôpital pour voir les blessés auxquels ils ont souhaité prompt rétablissement et présenté leurs condoléances aux familles des disparus dont les corps reposent encore à la morgue. Ils s’entretiennent avec les autorités administratives de la région, échangent avec les responsables de la Minusma sur les douloureux évènements de Gao, et rencontrent les sages, les notables, les chefs coutumiers et religieux auxquels ils présentent les condoléances du gouvernement et promettent qu’une commission d’enquête sera constituée pour faire la lumière sur ces actes ignobles. Les émissaires du gouvernement qu’accompagnaient deux députés du cercle de Gao et un représentant du conseil national des jeunes ont ensuite rencontré les représentants des forces vives au siège de la coordination des patrouilleurs. Abdoulaye Idrissa Maïga et Sada Samaké, très émus, ont présenté les condoléances du gouvernement et remercié les femmes et les jeunes de Gao pour leur patriotisme et la résistance menée depuis mars 2012. Les deux ministres ont ensuite déploré les évènements de Gao, condamné l’accord de Kidal qu’ils ont qualifié « de démarche illégale de la Minusma » que les autorités maliennes ne sauraient tolérer, avant de promettre que la vérité sera dite sur cette affaire.
Les représentants des jeunes et des femmes ont ensuite pris la parole pour remercier les autorités maliennes, les chefs coutumiers et les sages de Gao pour tous les efforts abattus pour gérer cette crise. Ils exigent un dédommagement des familles des victimes, la prise en charge des blessés, la construction d’un carré des martyrs à Gao pour immortaliser tous ceux dont le sang a été versé pour la cause-Mali, la création d’une zone temporaire à Kidal, le déploiement des forces armées maliennes partout sur le territoire national (y compris Kidal), la mise en place d’une commission d’enquête dont ils seront membres, et l’implication des jeunes, des femmes et de tous les représentants des populations dans la prise des décisions les concernant.
La tension semble s’être calmée, et les populations de Gao, qui continuent de pleurer leurs morts, attendent les résultats de l’autopsie demandée avant de conduire leurs martyrs à leur dernière demeure. Les ministres Samaké et Maïga ont vu, entendu et promis de faire la lumière ; ils ont aussi donné deux millions de F Cfa pour assister les blessés et contribuer aux obsèques avant de regagner Bamako, sans savoir que le président IBK a annulé son agenda pour se rendre au chevet des blessés de Gao et compatir avec les familles endeuillées et toutes les populations meurtries de la Cité des Askia.
IBK à Gao
IBK arrive donc dans la Cité des Askia. Pour la première fois depuis qu’il est à la tête du pays. Avec lui, les deux émissaires du gouvernement, hôtes de Gao la veille. Le président IBK, après avoir visité les blessés, rencontre les forces vives de la Cité. Condoléances, compassion avec la population, notamment sa composante jeune et femme ; et Simbo, le Kankélintigui et aussi homme de culture, d’éplucher quelques pages de l’histoire des peuples du nord du Mali. En bref, toutes les valeurs qu’incarnaient Sonni, Askia, Firhoun…et Halidou Touré (Excellence). Le chef de l’état de rappeler enfin que « le Mali est membre de l’ONU » et ne peut aucunement considérer l’institution onusienne comme ennemie malgré cette « incompréhension» (dixit IBK) qui a fait mort d’hommes à Gao et que les ministres Samaké et Maïga ont qualifié de « démarche illégale de la Minusma ».
Grâce à Allah, la tempête s’est calmée, et le vendredi 30 janvier, les populations de Gao enterrent leurs morts et prient au stade «Kassé Keïta » pour le repos de leur âme, le retour de la paix, le pardon et la cohésion dans le cœur et l’esprit de chacun.
Exaspérées et se sentant délaissées par l’Etat du Mali, elles préconisent de prendre en main leur survie et de refuser toute forme d’assujettissement ou l’injustice. Pour Gao, plus rien ne sera comme avant.
Un week-end des plus sensibles que les leaders de l’opposition mettront à profit pour étayer les faiblesses et « incompétence » du régime en place.
Pendant ce temps et durant toute une semaine, la jeunesse , elle, n’a cessé de déplorer et de condamner vivement la Minusma, mais aussi les autorités de Bamako qu’elle qualifie de « laxistes » ; c’est ainsi qu’au cours d’une conférence de presse animée le samedi 31 janvier, le président de la CRJ demande le « renforcement du dispositif sécuritaire par les Fama dans » toutes les localités du nord, et déplore les évènements de Gao qui ont conduit à la mort d’hommes, à des pertes en vie humaine, suite à des explosions de mines, aux attaques perpétuelles contre les paisibles populations, aux nombreuses scènes de vol, de pillage et d’enlèvement de véhicules et d’animaux,.
Gao reçoit les chefs de l’opposition
Et Soumaïla Cissé, Tiébilé Dramé, Abdoulaye Amadou Diallo, Iba N’Diaye et Yaya Coulibaly de débarquer à Gao, le lundi 02 février, pour fustiger l’opinion internationale et essayer de gagner le cœur des populations de Gao. Après une visite de courtoisie au gouverneur de la région, ils se rendent au chevet des blessés et dans les familles endeuillées pour présenter leurs condoléances avant de rencontrer la société civile au domicile de Mr Ali Bady Maïga, président du cadre de concertation des sédentaires de la région. Comme IBK et les émissaires du gouvernement, ils condamnent les évènements douloureux de Gao, louent la bravoure des femmes et des jeunes de la Cité des Askia, rappellent les missions de la Minusma et promettent de s’investir pour faire la lumière et faire entendre le cri de cœur des populations du nord. Et les leaders de l’opposition malienne de mettre à nu toutes les incompétences du pouvoir en place et du laxisme dans la gestion de la crise sécuritaire au nord du Mali.
Enfin le Parlement se prononce
La représentation nationale, elle attend une semaine après la tuerie de Gao pour se rendre dans la cité des Askia. Une délégation parlementaire de 09 membres conduite par l’honorable Bajan Ag Hamatou (frère du regretté Aroudéni, maire d’Andéraboukane assassiné en janvier dernier par des bandits armés) et composée de députés de l’opposition parlementaire comme de la mouvance présidentielle dont Mme Haïdara Aïssata Cissé élue à Bourem et connue pour « sa position radicale » vis-à-vis de tout ce qui touche l’unicité du Mali. Ces députés, lors d’une rencontre avec les forces vives de Gao, compatissent, condamnent et promettent à leur tour lumière et justice.
En attendant, la Minusma se désengage de l’accord de Kidal et promet à son tour de faire la part des choses et surtout d’être à l’avenir plus impartiale.
Pour l’heure, on peut croire que la tempête est passée. Que les populations des régions du nord du Mali souffleront dans la même trompette que les casques bleus onusiens. Que les autorités maliennes prendront cette affaire à bras le corps, avec plus de sérieux et de responsabilité et que les mouvements dits de l’Azawad reviendront bientôt à de meilleurs sentiments pour le bonheur de tous les Maliens. En attendant, les combats font plus rage dans les zones de Kidal où l’opération Barkane nous apprend qu’elle a tué et neutralisé plusieurs djihadistes, et de Tabancort-Anéfis où combattants de la plateforme et de la coordination des mouvements de l’Azawad ne se font pas de cadeau.
En attendant le dernier round d’Alger prévu pour on ne sait plus quand, les populations restent vigilantes et les bandits plus imaginatifs
Mais d’ici là, Minusma Attention : les faux pas ne seront plus permis et les coups bas non plus. La population demande le « renforcement du dispositif sécuritaire par les Fama dans » toutes les localités du nord.
Modibo TANDINA,
Correspondant à Gao
source : Prétoire