Les relations ivoirio-maliennes traversent une véritable zone de turbulences depuis le 10 juillet 2022 où 49 soldats ivoiriens ont été arrêtés à l’aéroport de Bamako et considérés comme des mercenaires par les autorités maliennes. Le jeudi 15 septembre dernier, les autorités maliennes ont dénoncé la saisie de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) par la Côte d’Ivoire en vue d’aboutir à la libération des soldats ivoiriens détenus à Bamako.
Les relations entre Abidjan et Bamako ont rarement été aussi tendues.
Dans un communiqué, le gouvernement de la transition indique qu’il a suivi avec une très grande préoccupation et une profonde stupéfaction, le communiqué du Conseil National de Sécurité de la Côte d’Ivoire, tenu le mercredi 14 septembre 2022, au sujet des 49 soldats ivoiriens, arrêtés à l’Aéroport international Président Modibo KEITA de Bamako-Senou, le 10 juillet 2022 et contre lesquels la justice malienne a ouvert une procédure d’information judiciaire pour des faits graves touchant, entre autres, à la sécurité nationale et à la sureté extérieure de l’Etat. Le gouvernement de la transition a rappelé qu’il a « expliqué en détails, les conditions illégales dans lesquelles ces forces étrangères, dont une trentaine des forces spéciales, sont arrivées au Mali en possession d’armes et de minutions de guerre, sans ordre de mission, ni autorisation, tout en dissimulant les identités et leurs professions réelles de militaires ainsi que l’objet précis de leur présence sur le sol malien.»
Selon le gouvernement de la transition, contrairement à la déclaration des autorités ivoiriennes, la MINUSMA, officiellement saisie du statut de ces militaires par le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale avait clairement indiqué dans sa Note verbale référencée : MINUSMA/PROT/NV/226/2022 du 27 juillet 2022, que ces soldats ne faisaient pas partie des éléments nationaux de soutien. « Par conséquent, aucune base légale ne saurait, à présent, justifier, ni leur présence, encore moins leur mission au Mali», précise, dans son communiqué, le gouvernement.
« De même, le Directeur en charge des questions africaines au Ministère des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne, reçu en audience le lundi 07 août 2022, au Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, avait clairement indiqué qu’aucune Agence allemande, encore moins le Gouvernement, n’avait de lien contractuel avec les “éléments ivoiriens arrêtés à l’aéroport “. Par conséquent, son pays n’avait rien à y voir, ni de près ni de loin, avec les personnes arrêtées », explique le document. Pour le gouvernement de la transition, le gouvernement ivoirien avait reconnu sa responsabilité dans sa déclaration officielle lue par le Ministre Directeur de Cabinet du Président de la République de Côte d’Ivoire, Monsieur Fidèle SARASSORO, le 03 septembre 2022 à Lomé en ces termes : « la Côte d’Ivoire déplore que des manquements et des incompréhensions aient été à l’origine de cet évènement fortement regrettable. La Côte d’Ivoire, soucieuse de maintenir des relations de bon voisinage avec le Mali, s’engage à respecter les procédures des Nations Unies, ainsi que les nouvelles règles et dispositions maliennes édictées relatives au déploiement des forces militaires au Mali ». Un tel revirement grave de la part d’autorités étatiques, précise le communiqué, ne vise qu’à manipuler et à entraver la manifestation de la vérité. « Animé d’une volonté d’adversité, le Gouvernement ivoirien accuse le Mali d’avoir pris en otages les militaires ivoiriens, en faisant fi des conditions obscures et des manquements ayant entraîné l’inculpation par la justice malienne des 49 mercenaires ivoiriens. »
Selon le communiqué, c’est exclusivement en sa qualité de Président du Conseil Supérieur de la Magistrature que le Colonel Assimi Goïta, Président de la Transition, Chef de l’Etat, a indiqué à la partie ivoirienne, la nécessité de considérer la situation de certains Maliens, objet de mandats d’arrêts internationaux. « C’est cette attitude responsable du Président de la Transition qui a été malheureusement perçue par les autorités ivoiriennes comme une prise d’otages. »
Concernant la décision de la partie ivoirienne de saisir la CEDEAO, le Gouvernement de la Transition souligne qu’il n’est nullement concerné par cette procédure devant l’instance communautaire. « Aussi, il indique à la CEDEAO que l’affaire des 49 mercenaires ivoiriens est purement judiciaire et bilatérale. Il met en garde contre toute instrumentalisation de la CEDEAO par les autorités ivoiriennes pour se soustraire de leur responsabilité vis-à-vis du Mali. »
« Prise d’otages » et saisine de la CEDEAO
Le mercredi 14 septembre 2022, les autorités ivoiriennes se sont insurgées contre la demande des autorités maliennes d’échanger les soldats ivoiriens contre des personnalités politiques en exil en Côte d’Ivoire. « Cette demande confirme, une fois de plus, le fait que nos soldats ne sont, en aucun cas, des mercenaires mais plutôt des otages. Le Conseil National de Sécurité considère ce chantage comme inacceptable et exige la libération, sans délai, de nos 46 soldats.» Abidjan a aussi instruit officiellement la Ministre des Affaires étrangères de la Côte d’Ivoire afin qu’elle saisisse la CEDEAO pour que l’institution sous régionale organise, dans les plus brefs délais, une réunion extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement sur la crise entre la Côte d’Ivoire et le Mali.
« Une solution durable à l’opposé d’une solution à sens unique »
Assimi Goïta, le président de la Transition du Mali, a conditionné, le vendredi 9 septembre dernier, la libération des « soldats» ivoiriens à l’extradition de « certaines personnalités maliennes » en exil en Côte d’Ivoire et faisant l’objet de mandats d’arrêt internationaux émis par la justice malienne. « Au même moment où la Côte d’Ivoire demande la libération de ses « soldats », elle continue de servir d’asile politique pour certaines personnalités maliennes faisant l’objet de mandats d’arrêt internationaux émis par la justice », a déclaré le Président de la Transition. Malheureusement, précise Assimi Goïta, ces mêmes personnalités bénéficient de la protection de la Côte d’Ivoire pour déstabiliser le Mali. « D’où la nécessité d’une solution durable à l’opposé d’une solution à sens unique qui consisterait à accéder à la demande ivoirienne sans contrepartie pour le Mali », selon le Président de la Transition.
Les personnalités politiques maliennes qui sont en exil en Côte d’Ivoire et qui font l’objet de mandats d’arrêt internationaux émis par la justice malienne sont : Karim Keïta, ancien Président de la Commission de sécurité et de défense de l’Assemblée nationale et non moins fils de l’ancien Président Ibrahim Boubacar Kéïta, et Tiéman Hubert Coulibaly, ancien Ministre de la Défense et des anciens combattants du Mali.
Pour rappel, le samedi 3 septembre 2022, dans la soirée, les trois femmes du groupe des 49 militaires ivoiriens arrêtés au Mali, le 10 juillet dernier, ont été officiellement libérées et remises aux autorités ivoiriennes. « La République de Côte d’Ivoire déplore que des manquements et des incompréhensions aient été à l’origine de cet événement fortement regrettable. La Côte d’Ivoire, soucieuse d’entretenir des relations de bon voisinage avec le Mali, s’engage à respecter les procédures des Nations Unies, ainsi que les nouvelles règles et dispositions maliennes, édictées, relatives au déploiement des forces militaires au Mali», avait laissé entendre, après leur libération, Fidèle Sarassoro, le Ministre directeur de cabinet du président de la Côte d’Ivoire.
A signaler que le 10 août dernier, les autorités judiciaires maliennes ont inculpé et placé sous mandat de dépôt, les 49 militaires ivoiriens pour « des faits de crimes d’association de malfaiteurs, d’attentat et complot contre le gouvernement, d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat, de détention, port et transport d’armes de guerre et de complicité de ces crimes ». Le 10 juillet 2022, les 49 soldats ivoiriens ont été arrêtés à l’aéroport de Bamako et considérés comme des mercenaires par les autorités maliennes. Une accusation qu’avait rejeté Abidjan et qui demandait « sans délai », leur libération, soutenant que ce sont des éléments de soutien à la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation du Mali), même si selon le porte-parole adjoint de l’ONU (Organisation des Nations Unies) Farhan Haq, les éléments interpellés « ne faisaient pas formellement partie de la Minusma ».
Madiassa Kaba Diakité
Source: Le Républicain