La seconde phase du Recensement administratif à vocation d’état-civil (Ravec), lancée à grands renforts médiatique et publicitaire par le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, le général Sada Samaké, le 1er octobre dernier dans la Cité du Kénédougou (Sikasso), connaît d’énormes difficultés de démarrage. Un mauvais présage pour l’atteinte des objectifs visés par cette opération, dont le budget dépasse les 13 milliards de F CFA.
De sources concordantes, en plus du retard accusé dans le démarrage effectif des opérations proprement dites, aucune disposition pratique ne serait aujourd’hui prise sur le terrain qui puisse assurer l’exécution correcte de cette phase complémentaire, à plus forte raison permettre le succès de l’opération.
Faut-il rappeler que la présente phase vise l’enrôlement de tous les omis ou exclus de la phase initiale ainsi que les citoyens ayant atteint entre-temps l’âge requis de 18 ans. Ils sont estimés à plus de 3 millions de personnes concernées. Le coût est évalué par le gouvernement à quelque 13 milliards de F CFA. Sauf report, sinon la fin des opérations d’enrôlement est initialement prévue pour le 30 octobre prochain.
Mais, selon un élu local de Kalabancoro (qui a requis l’anonymat), « en plus du démarrage tardif des opérations effectives d’enrôlement, dû essentiellement à l’étape de la formation des agents recenseurs, dans la plupart des cas, ceux-ci ne disposent pas souvent du strict minimum allant du simple Bic à d’autres petits matériels, sans lesquels le travail ne peut se faire ». Aussi, poursuit-il, « à la date d’aujourd’hui, il est difficile de répondre aux nombreuses interrogations que posent les administrés sur la méthodologie adoptée et qui puisse permettre de toucher le maximum de personnes ».
Pour cet autre élu de la région de Sikasso, « un problème majeur, non des moindres, est l’absence totale de logistiques (motos et véhicules pour le déplacement des agents sur le terrain) afin de rallier les villages à partir des centres urbains et semi-urbains où les agents recenseurs sont pour l’heure confinés. En plus, les agents recrutés n’ont, à ce jour, rien perçu en guise de frais de mise en route et ne savent rien du contenu du contrat qui les lie à l’administration en charge du Ravec ».
Les mêmes problèmes et questionnements subsisteraient un peu partout où l’opération a été déjà lancée par les autorités de tutelle. Le constat est alarmant. Une situation de confusion générale semble régner autour de ces opérations. Ce qui n’augure rien de bien probant en termes de résultats et le risque d’un autre fiasco se profile à l’horizon si des solutions idoines ne sont pas immédiatement apportées aux problèmes identifiés.
Récemment, le gouvernement a certes reçu un important lot de matériels et d’équipements du Pnud à ce sujet. Mais cet appui apparaît aujourd’hui comme une goutte d’eau dans les nombreux problèmes auxquels l’Etat doit faire face pour assurer le succès de l’opération.
Aussi bien le gouvernement que ses partenaires techniques et financiers, tous sont interpellés aujourd’hui face au risque d’échec encouru par cette ultime phase qui doit permettre à des millions de concitoyens de disposer non seulement de leurs cartes Nina, mais aussi et surtout de jouir et d’exercer pleinement leur droit d’électeurs lors des prochains scrutins que le pays va organiser. D’où l’importance que revêt cette phase du Ravec.
Selon un autre élu local du cercle de Yanfolila, « à ce jour, ils ne sont pas plus d’une centaine à avoir réussi à se faire enrôler là où étaient attendus plusieurs milliers ». Notre interlocuteur justifie cette situation « catastrophique » par le fait que les citoyens ont été surpris des nouvelles dispositions exigées désormais pour l’enrôlement.
En effet, le citoyen doit désormais présenter un extrait d’acte de naissance, contrairement à la fois précédente où la présentation d’une quelconque pièce d’identité, (carte nationale d’identité, permis de conduire, autre document tenant lieu) et/ou la présence de deux témoins suffisait pour se faire enrôler.
Pour lui, la période aussi, celle des grandes récoltes, n’est également pas la mieux indiquée pour une telle opération, surtout en zones rurales où les populations sont beaucoup plus préoccupées par le sort de leurs récoltes plutôt qu’autre chose. Autant de facteurs de blocage qui affectent à coup sûr le bon déroulement des opérations et l’engouement des citoyens.
De l’avis de notre interlocuteur du cercle de Yanfolila, « si l’Etat veut que les opérations produisent les résultats escomptés, il va falloir rapidement trouver des solutions à ces entraves et aussi envisager dès à présent un prolongation des délais d’enrôlement ».
Face à tant de facteurs alourdissant ou de blocages inutiles, certains observateurs n’hésitent pas à taxer le gouvernement d’intentions politiques inavouées pour entraver délibérément le bon déroulement, gage de succès et de réussite des opérations en cours afin d’influencer le vote dans certaines zones plus ou moins favorables au camp présidentiel.
Vrai ou faux, la suite des opérations permettra d’émettre, au besoin, un jugement de valeur sur les causes profondes de ces difficultés. Une évaluation, ne serait-ce qu’à mi-parcours, permettra certainement d’en déterminer tous les tenants et aboutissants.
Nul besoin de rappeler ici l’intérêt pour un pays comme le Mali, où une fraude organisée s’est instaurée autour de toutes les pièces d’état civil (carte d’identité, extrait d’acte de naissance, passeport, etc.), de disposer d’une base de données fiable en la matière. Pour y parvenir, le gouvernement a opté pour un recensement exhaustif de l’ensemble des citoyens, à travers notamment le Ravec dont la première phase s’est déroulée en 2009-2010.
Cependant, à l’issue de celle-ci, beaucoup d’insuffisances et de lacunes ont été constatées. Car, outre les problèmes techniques, ce sont des millions de compatriotes à avoir été spoliés de leur droit, soit pour avoir été omis lors de l’enrôlement, soit, bien qu’enrôlés, ils n’ont pas bénéficié du fameux sésame que représente la carte Nina. Une injustice à laquelle l’Etat se devait de corriger.
C’est pourquoi, le gouvernement a décidé d’organiser une phase complémentaire du Ravec avant la fin 2013. Lancée don à Sikasso le 1er octobre dernier, elle est aujourd’hui confrontée à de multiples difficultés qui, si rien n’est fait, tendent à en compromettre les résultats.
Au regard du coût élevé de ces opérations ainsi que l’importance qu’elles ont pour les populations dans le cadre du plein exercice de leur citoyenneté, le gouvernement et l’ensemble de ses partenaires doivent prendre toutes les dispositions adéquates pour ne pas en rajouter à un contexte déjà très tendu sur les plans social, politique et sécuritaire.
Bréhima Sidibé