Voici le combat politique le plus logique du moment : la lutte contre l’achat de la conscience de l’électorat malien. En politique, les bonnes vieilles habitudes ne trahissent jamais. Dans un Mali toujours accro aux friandises offertes par les partis politiques, il ne faut pas s’étonner que les plus riches remportent les élections. Ce combat du plastique contre le béton qu’est l’éveil de la conscience de l’électorat malien, serait-il perdu d’avance ?
Acheter la conscience de l’électorat à travers des offrandes est tout simplement un phénomène pittoresque chez nous. Il est aussi l’application d’une autre valeur malienne : «Qui nous donne à manger, nous lui restons captifs à vie». En ce moment, on se bat sur plusieurs fronts pour captiver l’électorat. Du rapatriement des déplacés aux prises en charge alimentaires des plus démunis, les techniques d’apprivoisement des électeurs tractent à vue. A la place de projets de sociétés et des programmes, ce sont des biens (de peu de valeur d’ailleurs) et de l’argent (une somme modique) que les candidats présentent en échange du vote des électeurs. C’est ainsi qu’au Mali, le processus électoral est toujours piégé par des pratiques peu orthodoxes et indignes de la démocratie.
Bien que les candidats soient de plus en plus nombreux à se présenter aux élections, notamment à la présidentielle, on continue à constater que chaque résultat obtenu est le fruit de la largesse matérielle du prétendant au fauteuil de Koulouba. En effet, est présidentiable au Mali, le candidat qui sait distribuer des billets de banque ou distribuer du thé, du sucre, du riz, etc. Et c’est à partir de là que la Maliens ont acquis une mauvaise image des élections, d’où leur désintérêt réel par rapport à la chose politique, persuadé qu’ils sont que le processus de la compétition électorale est toujours faussé. Faute de choisir entre des personnes de valeur ou programmes, les électeurs maliens ont souvent été harponnés par des actions de mobilisations matérialistes.
Les partis politiques ont failli à leur mission
C’est tellement vrai que les campagnes électorales sont de véritables foires pour des groupes d’animation et des professionnels de la mobilisation qui servent tous les candidats de passage dans la localité, en échanges de quelques billets de banque craquants et des t-shirts portant l’effigie du candidat. Chacun des candidats, après avoir fini de se tromper lui-même avec cette fausse mobilisation, essaie d’embarquer le peuple dans cette manœuvre burlesque, en diffusant ces images à la télévision nationale pour donner l’impression qu’il a une vraie assise populaire en ce lieu. Question d’essayer aussi de tromper l’électorat en particulier, le peuple en général.
En voyant ce qui se passe au tour de nous, nous allons vite nous rendre compte qu’il est grand temps que la lutte contre l’achat de la conscience des électeurs soit une des grandes priorités dans le cadre de la construction de l’Etat démocratique que nous appelons de tous nos vœux. C’est l’occasion donc de rappeler que les partis politiques ont failli à leur mission de formation des militants. Il est d’ailleurs temps de se demander pourquoi continuer à fourguer l’argent du contribuable à ces mêmes partis politiques qui deviennent ainsi un lourd fardeau pour la nation. En effet, ces subventions appelées financements des partis politiques contribuent à doter ces formations d’un trésor de guerre utilisable en grande partie pour faire fonctionner la machine d’achat de conscience lors des scrutins. Le phénomène est tellement ancré dans notre pratique politique que des observateurs ont tendance à dire qu’il n’y a pas des partis politiques au Mali, mais des machines électorales. Comprenez tout ce qu’il y a de péjoratif dans cette assertion !
Pour les candidats dont les moyens sont limités, disons les plus pauvres, ils se résignent dans une position de riposte, en usant parfois d’une arme redoutable : l’appel de la population à la désobéissance civique. En effet, des appels pathétiques sont lancés sur les ondes de radios et autres médias, pour inviter le peuple à cette désobéissance civique par rapport aux élections.
Rappelons que le vote reste malgré tout un droit imprescriptible des individus dans une République. Droit sans lequel ils cessent d’être citoyens. Le droit de vote est la base de la démocratie. Il permet aux citoyens d’exprimer leur volonté ; de participer au changement. Ils peuvent ainsi élire leurs représentants (parlementaires) et leurs gouvernants (président de la République), et participer directement à la prise de décision politique lorsqu’un texte est présenté à leur approbation par la voie du référendum. Cela dit, quels que soient les résultats d’un vote, il ne reste pas moins un acte citoyen et/ou un devoir civique. Troquer son vote contre de l’argent ou du bien matériel doit être considéré comme une aliénation pure et simple de sa liberté et de sa citoyenneté.
C’est là où ceux qui parlent de bétail électoral, bien qu’ils y soient allés très forts dans la métaphore, ont su quand même trouver la bonne expression pour qualifier cette situation dans laquelle, justement, le citoyen qui se laisse prendre à ce jeu d’achat de conscience n’est pas loin d’être considéré comme un mouton que le propriétaire amène à brouter dans n’importe quel pré. Ou peut-être même à l’abattoir pour l’égorger sans autre forme de procès.
Rokia Diabaté