La parade militaire russe célébrant le 70e anniversaire de la capitulation allemande s’annonce d’une ampleur sans équivalent. Vladimir Poutine veut ainsi afficher la puissance retrouvée de sa Russie où «la grande guerre patriotique» fait désormais figure d’idéologie officielle autant qu’à l’époque soviétique, voire encore plus. Mais sur la tribune officielle, il n’y aura aucun dirigeant occidental de premier plan. A la différence de 2005 où, de Jacques Chirac à George Bush, ils étaient tous là pour rappeler le rôle clef joué par l’armée rouge dans la défaite du nazisme et les immenses sacrifices des peuples de l’Union soviétique.

Ce choix est assumé aussi bien à Washington que dans la plupart des capitales européennes, afin de protester contre l’annexion de la Crimée au printemps 2014 et le soutien militaire, financier et politique de Moscou aux combattants séparatistes de l’est de l’Ukraine. Leur présence face aux chars défilant sur la place Rouge serait aussi une manière de se prêter à l’instrumentalisation de l’histoire par le régime dont la propagande présente systématiquement les autorités ukrainiennes élues comme des «fascistes» clamant que les batailles d’aujourd’hui dans le Donbass sont la continuation de celles de la deuxième guerre mondiale.

L’homme fort du Kremlin peut certes se prévaloir de la présence du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, du président chinois, Xi Jinping, du premier ministre indien, Narendra Modi, du chef de l’Etat égyptien, Abdel Fatah al Sissi, de clients sud-américain comme le cubain Raul Castro ou le vénézuélien Nicola Maduro, ainsi que que de ses vassaux de l’ex-espace soviétique, mais la fête n’en est pas moins un peu gâchée, montrant l’isolement croissant de Moscou sur la scène internationale.

Protestation en demi-teinte

Les Européens restent, comme à l’accoutumée, divisés dans leur attitude face au Kremlin. Le président du conseil européen, le Polonais Donald Tusk, n’a pas voulu être là «main dans la main avec les agresseurs d’aujourd’hui», et les autorités de Varsovie organisent à Gdansk, ville où furent tirés les premiers coups de feu de la Deuxième Guerre mondiale, une cérémonie pour rappeler qu’après la libération du nazisme en 1945 commença pour une moitié de l’Europe une autre occupation.

Directement impliqués dans les négociations de paix russo-ukrainiennes, Paris comme Berlin ont décidé à l’unisson une protestation en demi-teinte. Le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, sera à Moscou, mais pas le président François Hollande ; et la chancelière Angela Merkel arrivera le lendemain du défilé. D’autres chefs d’Etat, comme le président tchèque Milos Zeman, seront dans la capitale russe mais n’assisteront pas à la parade militaire.

Regrets

Ces diverses prises de position font regretter qu’il n’y ait pas eu de la part des «28» une position commune à la fois ferme tout en reconnaissant, à la hauteur de son coût humain de 22 millions de morts, le rôle du peuple soviétique dans l’écrasement du nazisme. Un bilan terrible dont Staline porte aussi la responsabilité. Il avait affaibli et désorganisé l’armée rouge par des purges massives, éliminant ses plus brillants généraux, et il n’avait pas préparé le pays à une guerre inévitable, passant avec Hitler un pacte honteux pour le dépeçage de la Pologne. D’où l’ampleur des pertes soviétiques dans les premiers mois de la guerre et celle des sacrifices en homme consentis ensuite pour chasser l’envahisseur.

Cette réalité, beaucoup de jeunes Européens l’ignorent aujourd’hui, comme en témoigne un récent sondage du Financial Times affirmant qu’à peine 13 % d’entre eux connaissent le rôle de l’URSS dans la victoire. En ce sens, la présence des dirigeants occidentaux à Moscou aurait été un symbole utile – mais en la conditionnant à des engagements précis de Moscou sur le dossier ukrainien. L’an dernier, pour les commémorations du débarquement du 6 juin 1944, les autorités françaises n’avaient finalement invité Poutine que s’il s’engageait à serrer la main de son homologue ukrainien à peine élu, Petro Porochenko, et à entamer des discussions.

Ce 9 mai, les Européens auraient pu ainsi décider en commun d’être présents à Moscou tout en boycottant la parade militaire pour rappeler en un autre lieu symbolique de la capitale russe le prix payé par ce peuple pour la liberté de l’Europe. C’est ce que fera Angela Merkel le 10 mai en déposant une gerbe devant la flamme du soldat soviétique inconnu.

Marc SEMO
Source: Liberation