Il y a 133 ans, Ségou tombait sous les boulets des canons de Louis Archinard qui conduisait la colonne chargée d’investir la ville et Ségou Sikoro, la résidence des rois. Que reste-t-il de l’héritage ? Quel impact l’occupation coloniale française qui va durer 70 ans (1890-1960) a eu sur ce Royaume ?
Ségou était un Royaume qui s’était construit autour du génie d’un chef d’association, Biton Mamary Coulibaly, un Bamanan. Sachant bien qu’avant les Bamanans, le terroir était occupé par des Soninkés même si à l’époque ils n’avaient pas gardé leur langue soninké parmi eux, nous retenons Soro Toumou et Siramanba Koïta.
Selon Zoumana Kané, historien et chercheur, les dynasties bamanan se sont succédé avant la pénétration française. Biton Coulibaly et ses successeurs, ses enfants ont su mettre en place une armée de métier, les “Tondjons”, constituée d’alliés ou souvent même avec les vaincus.
“Il y a eu des successions comme Tônmassa Yoro Barry dit Kanoubagnouman à Pélengana, qui vient d’être immortalisé à travers un monument inauguré à Ségou le 6 février 2023. L’ordre d’accession au pouvoir était lié à l’ordre d’arrivée des alliés ou des Tondjons auprès de Biton. A un moment donné, cela a été âprement discuté et N’Golo Diarra parvient à avoir le dessus. La dynastie de N’Golo Diarra s’installe dans la durée, mais cela n’a pas été sans rixes, avec des coups bas, des révolutions de palais”, explique M. Kané.
La première colonisation de Ségou a été Toucouleur, avec El hadj Omar Tall, le porte-étendard de l’islam. Son arrivée à Ségou, en 1861, a bouleversé la situation, car même rivales, les dynasties Coulibaly et Diarra étaient dans les mêmes dispositions sociologiques, cultuelles et confessionnelles.
“Cette division a été le terreau favorable à la pénétration coloniale qui va commencer à l’ouest de notre pays Kayes qui continue progressivement, qui on peut même dire suivait la ligne d’invasion de tous ces explorateurs qui ont marché aussi sur les traces de la pénétration d’El hadj Omar qui aussi part de cette partie ouest du pays depuis le Fouta Djallon Dinguiraye et vient dans le Logo, dans la Khasso et continue dans le Kaarta à Nioro traverse le Bélédougou pour prendre pied sur la partie centrale du Royaume bambara de Ségou à partir de Niamina. Tout cela doit suivre le bief navigable du fleuve Niger parce que c’est ce fleuve-là qui a été l’élément fédérateur et qui a porté tous ces mouvements dans sa partie navigable”, l’historien-chercheur.
L’histoire note que l’itinéraire d’El hadj Omar est le même qui a été suivi par d’autres éclaireurs pour le colonisateur comme les missions Mage et Quintin, les missions Gallieni et autres. Après avoir emboité le pas aux représentants d’El hadj Omar en train de construire son Empire toucouleur, les colons français arrivèrent à Ségou par Niamina à 100 km en amont. La population du Royaume de Ségou n’était pas soudée. Ce qui a facilité la tâche aux colons français. Les alliés de Ségou, les Peuls de Ségou et toutes les populations ayant comme activité principale la pêche, les Somonos et les Bozos et même ceux qui étaient plus proches des Toucouleurs de façon cultuelle ou confessionnelle, ont aidé les impérialistes français.
Les effets des désunions locales
“Dans cette situation confuse, incertaine souvent qui cache certaines duplicités, il n’a pas été très difficile pour Louis Archinard de s’installer sur Ségou ce 6 avril 1890”, explique notre historien.
Toujours aux dires de M. Kané, le Royaume toucouleur avait déjà affaibli les NGolossi. Archinard a rusé en évacuant les Toucouleurs. El hadj continua sur le Macina avec son fils Lambdo Djoulbé. Le commandeur des croyants, Amadou Sékou, lui aussi, étant parti pour Nioro, la population était au désarroi et facilement, ils se sont emparés de la capitale, Ségou, et toute la région a ressenti la chute de Ségou d’autant que les Bamanans étaient mal organisés et se dispersèrent tantôt sur la rive gauche du fleuve Niger, tantôt sur la rive droite tantôt vers le Baní.
“Ils étaient même à Tona, alliés avec les Peuls de Guégné-Kalahari. La pénétration coloniale n’a pas été sûrement seulement un fait d’armes, d’exploit militaire, du moment que les Français avaient pu infiltrer les populations locales, mettre dos à dos les communautés qui, déjà ne s’aimaient pas beaucoup à cause de tout ce qui a précédé”.
L’apport de la colonisation sur Ségou
Selon notre interlocuteur, la conquête de Ségou par le colon français avait à la fois un objectif administratif, culturel et économique.
“La France avait besoin de colonies pour son expansion, pour exporter ses valeurs et pour s’assurer des ressources, des matières premières indispensables à son économie”.
“L’héritage de la colonisation, ce sont d’abord les voies de la pénétration. Les routes ont d’abord été la forêt et les cours d’eau. Ça n’a pas été facile de construire des ponts, des lignes télégraphiques en même temps minimiser les risques de santé. Dans leurs équipes, il y avait des ingénieurs, des topographes, des télégraphistes, des médecins, des instituteurs… C’était un grand mouvement d’ensemble qui prévoit tout chaque fois qu’on gagne le terrain à un endroit donné. Il faut s’attendre à des épidémies, des maladies souvent violentes, à des résistances et à des situations que la nature même impose. Ils ont construit alors des lignes, des sentiers sommaires, ils ont construit par endroits des ponts. Le colon français va également installer une compagnie de transport fluviale, Les Messageries africaines. A l’indépendance, on va hériter de tout cela”.
Notre interlocuteur cite également un changement de mode de vie des populations locales. La population de Ségou, majoritairement bambara, avec des survivances de la religion importée par les Soninkés, l’islam voit s’installer une nouvelle religion, le christianisme qui va aussi cohabiter avec l’animisme. La mission catholique s’installe, va beaucoup contribuer au développement social avec les Sœurs qui ont ouvert des centres de tissages, de menuiserie. La mission a initié des métiers qu’on dit aujourd’hui modernes même s’il y avait une pratique traditionnelle de tissage de coton et de la laine. Il faut reconnaitre que vers les années 20 des tapis de Ségou confectionnés à Ségou ont remporté la médaille d’or à l’Exposition coloniale de Vincennes en France.
L’Office du Niger, un legs du colon est unique en son genre en Afrique au sud du Sahara. La France a mis en place l’Office du Niger pour la culture du coton. Comme c’était une culture de rente, et pour éviter la famine, on a mis à côté les cultures vivrières telle que le riz. Il fallait construire un ouvrage qui pouvait permettre la maitrise totale de l’eau du fleuve Niger. Ainsi, le barrage de Sansanding, verra le jour à… Markala.
Pour ses multiples réalisations le colonisateur a procédé à une véritable saignée. Cela est commun à toute la colonie : Sikasso, Mopti, Kayes, plateau Dogon… Partout, il y a eu des levées de troupes, des mobilisations soit pour aller au front, les deux guerres mondiales, soit pour les constructions d’ouvrages. La population a payé un lourd tribut en termes de pertes en vies humaines.
Les déportations des populations pour des travaux, même d’utilité publique ont été des drames. Ces chantiers et ouvrages continuent à servir aujourd’hui. L’Office du Niger est une fierté aujourd’hui pour Ségou et pour le Mali et les Maliens tirent le maximum de leur consommation en riz et au-delà la canne à sucre, les produits du maraichage et d’autres activités rurales, ceci a favorisé l’élevage sans compter la navigation.
La grande saignée
Avant la colonisation française, l’éducation traditionnelle était assurée par les sociétés initiatiques, comme le N’Domo ou le Korê. A côté, il y avait quelques écoles coraniques. La colonisation française a introduit une forme d’éducation formelle française selon des programmes conçus outre-Atlantique. Des écoles ont été ouvertes même si les enrôlements n’étaient pas libres. En effet, l’école était l’école des “fils d’otages”. Le choix n’était pas laissé aux autochtones.
En tout état de cause, la colonisation française a apporté l’instruction, l’accès à une autre forme d’éducation. Des génies sont sortis de ces écoles-là. Le génie a cessé d’être exclusif. Grâce à la colonisation française, nous avons des médecins, des ingénieurs, des journalistes, des professeurs, de bons artisans…
Sans compter qu’on connaissait de grandes épidémies telles que la variole qui ont été éradiquées. De même l’habitat s’est modernisé avec des matériaux beaucoup plus consistants extraits des carrières. Les techniques de construction, même si elles ont été inspirées du style soudano-sahélien, ont été améliorées.
Nous avions un commerce traditionnel pas loin du troc. La monnaie fiduciaire a remplacé les cauris. L’argent a facilité les échanges entre vendeurs et acheteurs. Tout cela fait que la colonisation a changé la physionomie de l’ensemble des activités, non seulement anciennement menées par nos populations, mais introduit de nouvelles activités qui ont facilité le quotidien des populations.
Pour Yamoussa Coulibaly, professeur d’histoire et traditionnaliste, “le général De Gaulle lui-même a dit que si la colonisation a été un mal, c’était un mal nécessaire. Sans la colonisation, le développement de l’Europe n’allait jamais se faire. Mais, elle a été négative pour les pays colonisés”.
Yamoussa Coulibaly justifie ces propos par le fait que la colonisation a entrainé la liquidation de notre société traditionnelle au profit de celle occidentale. “La civilisation occidentale qui remplace les civilisations traditionnelles, c’est là l’un des retards de l’Afrique”. Sur le plan matériel, quelques dégâts ont été causés par la colonisation, tous les gros travaux réalisés sous la colonisation, l’ont été par la contrainte. A Ségou, la place des Martyrs, face à la mairie de la Commune urbaine, est une illustration des séquelles visibles de la colonisation. Archinard a réussi grâce à la collaboration des Bamanans, qui étaient dans la résistance avec la conquête d’El hadj Omar.
Ce 6 avril…
Le 6 avril, trois colonnes ont convergé sur Ségou. La colonne d’Archinard par Niamina, la colonne de Marakabougou N’dôn venue du côté de Sansanding et celle venue dans le sens de Tounan dirigée par Mary Diarra II. En guise de récompense, Archinard a intronisé Mary Diarra II, roi de Ségou.
Pour mieux se fixer, Archinard a convoqué tous les notables et tous ceux qui se sont présentés sont passés par le fil de l’épée et mis dans une tombe commune à la place des Martyrs à Ségou. Les chiffres varient entre 13 et 23. Il y a aussi la fosse latéritique de Pélengana qui est aussi le fruit du travail forcé. Avec la fin de la conquête, la mise en valeur a commencé. Le barrage de Markala est aussi un témoin du travail forcé bien que ce soit actuellement rentable pour le Mali.
La pire des colonisations, la colonisation des esprits continue
La colonisation n’a pas accepté les résistances. Tous nos héros ont été assassinés. Ce que les gens ignorent, c’est qu’à la signature de l’indépendance, un pacte a lié la France aux anciens pays colonisés. Aux termes de ce pacte, on continue à payer l’effort que la France a consenti pour notre développement. Partant de là, nous ne pouvons pas affirmer que la colonisation a été positive pour les pays colonisés. Le retard de l’Afrique aujourd’hui, s’explique en grande partie par trois siècles de traite et un siècle de colonisation, d’exploitation de tous nos biens.
Dossier réalisé par
Diéni Albert Kalambry
Source : Mali Tribune