De nombreux articles et émissions radio et télévision ont parlé en longueur, en largeur et pour certains en profondeur des effets dévastateurs du Franc CFA sur le développement des pays africains qui l’utilisent.
Certains chefs d’Etats africains à l’instar d’Idriss Deby du Tchad, de Patrice Talon du Benin et même du très accommodant Alpha Condé de la Guinée ont exprimé le désir de sortir du joug de la France qui siphonne 440 milliards d’Euros par an aux pays africains. Et si les leaders africains francophones n’ont pas encore pris la décision collective ou individuelle de sortir de cette monnaie, c’est à cause des répercussions personnelles et nationales supposées qu’eux et leurs pays pourraient encourir.
En effet, la France qui dépend du Franc CFA et de l’exploitation des ressources naturelles des pays africains pour garder son rang de puissance mondiale et maintenir son niveau de vie ne va pas se croiser les bras. Elle va exercer comme elle l’avait déjà fait contre la Guinée de Sékou Touré, une formidable pression économique, financière, diplomatique et peut-être même militaire contre les pays qui décideraient de
la mettre à la touche c’est-à-dire en faillite.
S’il est possible de résister à un embargo économique, financier ou même à une pression diplomatique de la France à travers la multipolarité croissante du monde et des multiples partenaires économiques dont dispose un pays comme le Cameroun, il semble par contre que l’issue d’un conflit militaire entre la France et ce pays ne soit pas claire. Ce sujet que nous allons examiner est d’autant plus important qu’il semble être la menace (en association avec les répercussions personnelles sur les Chefs d’Etat africains) qui bloque le processus de sortie du Franc CFA.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est important de se rappeler que comme la plupart d’Etats qui se disent puissants, la France base ses victoires militaires sur 4 points, sans lesquels elle ne s’engagerait pas dans un conflit :
– Une guerre de courte durée.
– Le mythe de l’invincibilité soutenu par une supériorité militaire et la peur qu’elle crée chez l’adversaire potentiel.
– Un faible coût financier et humain d’un conflit.
– Le contrôle de l’information
Or, aucun de ces 4 éléments n’est garanti dans un conflit armé total contre le Cameroun. En fait, nous n’avons même pas besoin d’une démonstration pour affirmer que la France ne peut gagner une guerre frontale face à l’armée camerounaise dans sa totalité soutenue par l’ensemble de sa population. Elle ne se risquerait pas dans une aventure pareille qui n’offre aucune possibilité de rentabilisation sur le plan politique. Aucune nation ne se risquerait d’ailleurs à une pareille aventure.
Faisons donc notre analyse sur la base d’un scenario plausible : A la suite d’un incident provoqué par des forces extérieures ayant entrainé la mort de nombreux civils, la sortie brutale du Cameroun du franc CFA ou une situation d’instabilité faisant suite à des élections contestées, la France obtient de façon fallacieuse comme cela est souvent le cas, le mandat des Nations Unies pour rétablir l’ordre et installer un nouveau régime, un régime qui convienne à ses ambitions prédatrices sur le Cameroun et soutenu par la « communauté internationale ».
Pourrait-elle reproduire le scenario ivoirien ? Difficilement. En effet, l’une des différences entre la crise ivoirienne et un hypothétique conflit entre la France et le Cameroun est que dans la première situation, la France n’était pas encore révélée aux yeux de tous les ivoiriens comme ennemie alors que les Camerounais pour la grande majorité connaissent la sinistre et méchante nature de cet Etat. De plus, dans le cas du Cameroun, la France ne peut compter sur un pays limitrophe qui se ferait une base-arrière pour une importante force rebelle comme le Burkina Faso l’a fait dans le cadre de la crise ivoirienne ou ni sur un leader politique comme Alassane Ouattara.
Après avoir échoué à sous-traiter la déstabilisation du Cameroun à des groupes armés étrangers, en occurrence, la Seleka et Boko Haram, l’on peut penser que dans le cadre d’un conflit avec le Cameroun, elle essayera de s’assurer la participation d’un groupe de « rebelles » d’origine camerounaise. La seule option viable qui lui reste maintenant ne peut être que les rebelles de l’Ambazonie. Mais pour cela soit efficace, il lui faut la participation du Nigeria. Peut-être est-ce un accord de ce genre que le président Français essaye d’obtenir avec le Nigeria par l’intermédiaire du président américain Donald Trump qui a reçu les présidents des 2 pays à quelques jours d’écart ? Cette question est sérieuse, car dans les relations internationales, il faut éviter de croire aux coïncidences. Pour le moment étant donné le soutien du Nigeria à l’Etat du Cameroun, de la difficulté de trouver un politicien camerounais crédible pour prendre le leadership des séparatistes, et des ambitions politiques et territoriales limitées des « ambazoniens », il est logique de penser que cette option n’est pas viable.
Pour la démonstration, prenons comme hypothèse l’idée que la France puisse se créer une petite force locale pro-française pour l’aider dans sa potentiellement humiliante aventure camerounaise. Ne prenez pas cette assertion pour argent comptant et examinons ensemble nos arguments.
La France moderne n’a gagné aucune guerre
Une revue de l’histoire des conflits du 20eme siècle qu’a mené la France montre clairement qu’elle n’a gagné aucune des guerres de grande envergure dans lesquelles elle s’est impliquée. Elle a été défaite par l’Empire Austro-allemand à la première mondiale et par l’Allemagne à la deuxième guerre mondiale. Elle ne doit le privilège de s’asseoir à la table des vainqueurs que par l’association des groupes de résistance aux puissances alliées dans le conflit, et aussi et surtout à l’héroïsme des soldats Africains. Elle s’est faite humilier au Vietnam et s’est fait expulser d’Algérie.
Les conflits dans lesquels elle a prévalu, notamment au temps des indépendances au Cameroun et dans les autres pays d’Afrique francophone se caractérisent par la sous-traitance de la guerre aux jeunes armées dites nationales qu’elle structurait pour soutenir les régimes néocoloniaux qu’elle mettait en place. C’est toujours de cette façon qu’elle opère en ce moment au Mali, en Côte d’Ivoire et en République Centrafricaine. Dans ces derniers cas, dans un cynisme qui caractérise ce pays et ses semblables, elle utilise l’armée régulière servile et soumise à une force rebelle qu’elle a créée pendant qu’elle joue les arbitres, selon la formule consacrée du « diviser pour régner ». Si la France donne l’impression d’avoir récemment gagné ses guerres, c’est parce qu’elle n’a pas encore rencontré une armée prête dans sa totalité à lui résister, comme ce sera le cas dans un conflit contre le Cameroun.
Même lorsqu’il y a avait une force rebelle alliée sur le terrain, la France est une puissance militaire moyenne n’a pas osé attaquer la Libye ou la Syrie seule, en dehors du cadre de l’Otan, simplement parce qu’elle n’en était pas capable. Les balbutiements de sa diplomatie en Syrie dictés par la modestie de ses moyens, l’échec et la capture de 8 de ses hommes par les forces de défense camerounaise pendant l’opération Boko Haram ainsi que son incapacité à renverser certains présidents africains qui lui déplaisaient ont grandement entamé le mythe de son invincibilité en Afrique. L’argument historique comme on peut le constater n’est pas en faveur de la France.
La France n’a plus le monopole de l’information en Afrique
Avant même que le premier coup de feu ne soit tiré, la guerre est d’abord gagnée dans la tête des gens à travers le contrôle de la pensée qu’exercent les medias. Le but de la campagne médiatique préalable est de :
– Justifier l’intervention auprès des opinions nationales et internationales.
– Créer la peur dans le camp ennemi par la projection d’images des troupes en préparation, le déplacement des navires et porte-avions et du matériel militaire.
– Désactiver les populations que l’on va agresser en se présentant comme libérateurs.
Si la France pourrait, avec timidité atteindre les 2 premiers objectifs, elle aura du mal avec le troisième. C’est bien fini le temps où les parachutistes français sautaient sur une capitale africaine et enlevaient le président de ce pays sous le regard effrayée, approbateur ou indifférent des populations. Ceci était possible lorsque la France exerçait un contrôle quasi-total de l’information et sur la pensée du public à travers RFI, France 24, Jeune Afrique et autres outils de propagande.
Les medias français n’ont plus le monopole de l’info. Par exemple, la CRTV, la chaine publique nationale reste le medium le plus suivi sur le territoire national selon un organe de sondage français. Aujourd’hui, en association avec d’autres radios et chaines de télévision, la chaine panafricaine Afrique Media(AM) a pris le contrôle de l’information sur l’ensemble du continent. Cette dernière est en train de monter en puissance et grâce à elle, de plus en plus de gens rejettent l’histoire officielle servie pendant longtemps par la presse dominante pour embrasser la version d’abord incroyable des événements tels que les décrit AM. Cette chaine sera par conséquent l’une des cibles principales des frappes aériennes. Il sera donc très difficile aux medias Occidentaux de vendre aux Camerounais et Africains la traditionnelle version de l’intervention humanitaire. Ils sauront tous que c’est un hold-up politique, économique et financier
D’autres organes de presse tels que Press TV (Iran), CCCT (Chine) et surtout Russia Today (RT), qui ont une certaine audience en Occident contribueront à jeter le doute dans l’opinion Occidentale. RT est devenue tellement populaire et donc gênante que les gouvernements Français, Britanniques et américain veulent la fermer sur leurs territoires sur la base de faux prétextes.
Dans le contexte d’un conflit avec le Cameroun, même les medias pro-français opérant au Cameroun comme l’œil du Sahel ou le véritable point de relais de l’Agence France Presse qu’est devenue Cameroun-info et la plupart des chaines de télévision du bouquet de Canal Plus auront du mal à faire de la propagande française.
Elle n’a pas les moyens militaires suffisants pour un conflit de grande envergure
La première chose à retenir dans le scenario envisagé ici est que contrairement aux guerres d’indépendance, la France n’aura pas de troupes pré-positionnées. Elle n’aura pas de bases militaires comme en République Centrafricaine et il lui faudra conquérir la moindre parcelle de terrain dès le départ. Il est évident qu’avant que l’on arrive à un véritable conflit que leurs unités de logistique installées dans nos bases auront été évacuées. Les compagnies françaises ayant la main sur le moindre domaine stratégique (téléphone, port, chemin de fer etc..) auront été fermées et les Français vivant au Cameroun, renvoyés chez eux.
Dans le but de se faire un point d’encrage, s’assurer une victoire rapide et créer un effet de choc, la France va prendre le contrôle des airs (en supposant que l’armée camerounaise n’ait pas de défense anti-aérienne capable de rendre les cieux dangereux pour les aéronefs français) et de la mer et procéder à des bombardements intensifs des cibles militaires. Pendant ces bombardements, les troupes camerounaises n’auront qu’à se camoufler puis affronter les troupes françaises sur le terrain une fois passé le choc pour briser la « brietzkrieg » et infliger d’emblée d’importantes pertes humaines. Ces pertes devront avoir pour objectif d’ébranler la confiance des soldats français.
N’ayant qu’une petite troupe locale (selon notre hypothèse), elle devra déployer un grand contingent sur le terrain si elle veut vraiment changer les choses sur le plan social et politique. Ce grand corps expéditionnaire constituerait un mastodonte facile harceler et donnant l’opportunité aux unités de guérilla de l’armée camerounaise de lui infliger de lourdes pertes. La perte de 20 soldats français en un seul jour par exemple ferait du bruit à Paris.
Au Mali où la France domine l’Etat et fait face à une population pour la majorité indifférente et où elle combat des groupes rebelles qu’elle a contribué à créer sur une partie du territoire elle a déployé 3150 soldats. Il y a impliqué 12 avions de combat, 5 avions ravitailleurs C-135 FR et une vingtaine d’hélicoptères. En tenant compte du fait qu’il pourrait avoir des zones du territoire camerounais moins hostiles que d’autres, on peut extrapoler sans risques d’exagération que pour occuper le Cameroun, il lui faudrait déployer au minimum 50.000 hommes et une grande quantité de matériel. Ces soldats devront affronter toute l’armée camerounaise et plus d’un million d’hommes constitués en milices d’auto-défense soutenus par la très grande majorité de la population camerounaise et probablement par la Chine et la Russie. La France quant à elle aura évidemment le soutien logistique des autres pays Occidentaux.
L’armée française dispose en ce moment de 205.000 hommes (plus183.000 réservistes) dont 17.000 sont déployés dans des opérations extérieures. Un déploiement de 50.000 hommes sur le théâtre camerounais prendrait le quart de ses forces et les deux tiers de ses 77.000 hommes déployables, ce qui est insupportable pour une armée. Et parce que le conflit au Camerounais lui prendrait les deux tiers de sa capacité de déploiement, il est possible que cet engagement militaire expose sa vulnérabilité opérationnelle et suscite des rebellions à l’ordre français sur d’autres théâtres africains. Ce serait l’occasion du Niger où la France exploite l’Uranium de la bouter dehors, créant de façon instantanée une crise de l’énergie dans l’hexagone.
Ses finances ne peuvent supporter le coup financier d’un long conflit
Des sources citées par RFI estiment le coût de la guerre du Mali à 1 million d’euros par jour. On peut donc extrapoler que le déploiement d’un corps expéditionnaire de 50.000 hommes avec leur matériel couterait près de 20 millions d’euros par jour pour des combats modérés (ce qui ne sera pas le cas dans le cas d’un conflit au Cameroun), soit environ 7.3 milliards d’euros par an. Ce montant représente environ 20 % du budget de la défense française qui est de 34.2 milliards d’euros en 2018. Aucun pays ne peut soutenir un taux de dépenses pareil sur son budget. Imaginez donc ce que cela coûterait sur de longues années. En effet, même si le contingent français prenait pied, il ne pourra pacifier le Cameroun avant de longues années. En réalité, même avec 100.000 hommes, la France ne peut pacifier un Cameroun armé et rebellé. Ce nombre d’hommes est insupportable économiquement pour ce pays. Pour commencer, elle aura du mal à les transporter sur le théâtre des opérations. Mais ne sortons pas de notre hypothèse.
Confrontée à une grave crise économique et à des malaises sociaux internes, la France aura du mal à supporter cet effort de guerre pendant des années. En plus de cela, elle devra financer la guerre totalement avec ses propres devises, en euros et non plus en Franc CFA comme lorsqu’elle fait de la sous-traitance des conflits aux forces armées africaines locales. Elle n’aura non plus la totalité des 440 milliards d’euros qu’elle extorque aux pays Africains à travers le Franc CFA qui pourrait s’effondrer dès que le Cameroun, en prélude à un conflit contre la France, quitte la zone Franc.
Le Cameroun a un avantage psychologique sur la France
Les Camerounais savent dans leur grande majorité que l’ennemi de leur pays est la France, le dragon qui leur mène la guerre depuis la naissance de leur Etat. Les mères dans les villages reculés savent que leurs enfants ne peuvent aller convenablement à l’école, que leurs proches qui meurent sur les routes de leur pays ou les faibles revenus de leur dur labeur sont en grande partie dus au Franc CFA. Si pour les soldats français la guerre au Cameroun est une intervention de plus, pour les Camerounais, ce sera la guerre d’indépendance que nous attendons tous, l’occasion de régler un vieux contentieux avec la France et de sortir de la captivité économique et financière. Nous avons sur la France l’avantage psychologique que les propriétaires ont sur les voleurs. Comme les soldats et peuples vietnamiens et Algériens, nous y mettrons tout ce que nous avons et nous vaincrons.
En effet, ce n’est pas la supériorité en armement ou en technologie qui détermine la victoire dans un conflit. Ils sont importants, nous ne le nions pas et ont le potentiel d’infliger des pertes dans notre camp mais au long terme, la victoire est déterminée par la motivation et l’endurance des forces sur le terrain. Nous avons ces deux éléments de notre côté. Les Français n’ont pas la combativité, l’endurance au travail ou la discipline nécessaires pour mener une vraie guerre, contrairement à des pays comme l’Allemagne ou les Etats-Unis qui chacun ont dominé le monde pendant un temps.
Si la France ne peut gagner contre le Cameroun, elle ne peut non plus battre le Tchad dans les circonstances similaires à celles que nous avons décrites ici. Que dire donc du scenario extrêmement plausible dans lequel ces 2 pays se mettraient ensemble ? Pour définitivement enlever à la France l’envie même de se lancer dans une aventure pareille, ces deux pays précités devraient entrer dans un partenariat de défense stratégique avec le Nigeria et l’Angola si cela n’est même pas déjà le cas.
Quant aux répercussions personnelles sur les chefs d’Etat africains qui décideraient de sortir du Franc CFA, nous encourageons la société civile africaine à commencer à étudier les moyens de représailles appropriées et ciblées, non pas contre les populations civiles innocentes mais contre les commanditaires de l’assassinat d’un dirigeant ou leader d’opinion africain et leurs intérêts.
Gabriel Makang pour le Sphinx Hebdo
Source: 237online