Pour célébrer la Journée de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Mali organise, depuis le 10 décembre 1994, l’Espace d’interpellation démocratique (EID) qui est un cadre d’échanges au cours duquel les ministres sont interpellés par des citoyens sur des questions qui relèvent de la bonne gouvernance en matière de droit et libertés publiques. Les dossiers traités au cours de l’édition de cette année (la 21e) avaient trait aux conflits fonciers, aux réclamations pécuniaires et à la non-exécution des décisions de justice. La cérémonie s’est tenue au Palais des sports (peu rempli) en présence du Premier ministre Modibo Kéïta accompagné de membres du gouvernement dont certains étaient interpellés. Il y avait aussi les médiateurs du Niger et du Togo.
Dans son allocution d’ouverture, le Médiateur de la République, Baba Hakim Haïdara, a salué l’adoption par l’Assemblée nationale et la promulgation par le président de la République de la Loi n° 2016-036 du 7 juillet portant création de la nouvelle Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh). Il a renouvelé sa gratitude aux partenaires techniques et financiers, notamment le Pnud, la Minusma, le PDH pour l’intérêt et l’appui constant qu’ils apportent à l’EID. Il a réaffirmé sa reconnaissance aux organisations de la société civile pour leur engagement dans la défense et la promotion des droits et libertés et leurs nombreuses contributions en faveur de l’EID.
Pour l’édition de cette année, le jury d’honneur présidé par le ministre guinéen de l’Unité nationale et de la Citoyenneté, Diaby Khalifa Gassama, a reçu 234 dossiers dont la plupart avaient trait aux conflits fonciers, aux réclamations pécuniaires, à la non-exécution des décisions de justice. Certains de ces dossiers avaient été satisfaits ou étaient en cours de traitement par des ministères. Ce qui fait que sur les 234 dossiers reçus, seuls 22 ont été lus devant le jury d’honneur dont le dossier relatif à “l’Opération Taxi” initiée par l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi (Anpe) en faveur de l’Association des chauffeurs de taxi. Le ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle a promis que solution sera trouvée à cette affaire qui traîne depuis 2014.
Deux dossiers pathétiques
Le dossier de Madou Koné (réparateur de radio à San) a fait marrer la salle. En effet, le 11 novembre 2014, Madou Koné, un grand parieur du Pari mutuel urbain (Pmu) a pris un ticket Pmu en jouant les 5 chevaux suivants : 13-6-8-9-3 à 1 000 Fcfa. Les 5 chevaux de Madou Koné arrivèrent dans l’ordre avec un gain de 3 800 000 Fcfa. Aux dires de l’intéressé, c’était la fête dans sa famille. Et était envahi par des doléances de ses enfants. Et l’argent fut vite programmé pour ces dépenses. Mais la déception sera grande quand Madou Koné alla au guichet pour prendre “ses millions”. Il fut informé que son ticket était parmi les “omissions”. C’est-à-dire, au lieu de 1 000 Fcfa comme prix du ticket des 5 chevaux, le revendeur avait fait l’erreur d’écrire 200 Fcfa qui correspond au prix de 3 chevaux. “A l’annonce de ces informations, j’allais piquer une crise. Et j’ai crié au détournement de mon billet. J’ai porté plainte. Mais aucune solution ne fut trouvée. C’est comme ça que je suis à l’EID “, a-t-il révélé. Dans sa réponse sur cette interpellation, le ministre de l’Economie et des Finances, Boubou Cissé, dira que c’est la confusion dans le prix du ticket qui a fait que Madou Koné ne pouvait pas être payé.
L’autre affaire qui a fait pleurer la salle est celle de Mme Sangaré Maïmouna Bamba, épouse du préfet de Bourem tué en 2012 par les rebelles. En effet, cette dame a expliqué les conditions dans lesquelles son mari et un de ses enfants ont été tués par les rebelles vers Boni. Blessée, elle put s’échapper pour aller chercher secours à Gao. C’est ainsi que Didier Dakouo (qu’elle a chaleureusement remercié) avait organisé une patrouille pour aller récupérer les corps. Mais aux dires de Mme Sangaré, depuis cet événement malheureux jusqu’à aujourd’hui, elle n’a bénéficié d’aucune solidarité de la part de l’Etat qui était l’employeur de son défunt mari. Elle est seule à se débrouiller pour faire face aux dépenses de sa famille. C’est ainsi qu’elle a interpellé le ministère de l’Administration territoriale. Et le Jury a souligné l’urgence pour l’Etat de porter un secours conséquent à l’ensemble des victimes et de porter une attention particulière aux veufs, veuves et orphelins des agents tués dans l’exercice de leurs fonctions.
Après l’écoute des interpellateurs et des différents ministres interpellés, le jury d’honneur a fait des recommandations. Après avoir déploré les lenteurs à donner des éléments de réponses, voire le défaut de réponses de certains ministères aux questions posées par les citoyens (qui est contraire à l’esprit de l’EID), le jury a recommandé l’inventaire de toutes les recommandations restées sans suite depuis l’institution de l’EID afin d’évaluer son efficacité et mener une réflexion sur les moyens de corriger les éventuelles insuffisances.
Pour des solutions sur les conflits fonciers qui se dénouent devant les tribunaux et face aux difficultés pour les justiciables à obtenir une décision de justice et leur exécution, le Jury d’honneur recommande que tous les agents de l’Administration soient systématiquement formés aux principes des droits de l’Homme et aux principes démocratiques afin de leur rappeler qu’ils ont l’obligation de respecter et appliquer les décisions de justice et en particulier celles concernant les débiteurs d’obligation et les débiteurs de droits. Aussi, le Jury propose la limitation des acteurs intervenant dans le foncier ; l’application stricte des dispositions légales et règlementaires en matière domaniale et foncière ; le respect des schémas d’urbanisme ; la mise en œuvre diligente du cadastre ; l’exécution des décisions de justice. Concernant la situation générale du Mali, le jury a souligné la nécessité de poursuivre la lutte contre l’impunité au Mali. Il s’est alarmé de la persistance des périls et autres actes récurrents de terrorisme et de banditisme qui pèsent sur les populations maliennes. Face aux défaillances de l’Administration malienne dans sa mission de service public et dans ses relations avec les citoyens, le Jury a invité l’Etat à développer chez ses agents la culture du professionnalisme et de la redevabilité. Sur les interpellations se rapportant au travail et à l’emploi, le Jury invite instamment le gouvernement à diligenter le paiement des dossiers en souffrance.
Enfin, le Jury d’honneur a formulé son appréciation positive de la proactivité démontrée par des membres du Gouvernement dans la recherche de solutions aux dossiers qui leur ont été soumis. Il a souhaité voir cette tendance se confirmer et se consolider lors des prochaines éditions de l’EID.
En clôturant la cérémonie, le Premier ministre Modibo Kéita dira que l’EID a franchi des étapes importantes grâce à la Médiature. “L’EID est une tribune et non un tribunal où se tient le débat et non le combat. Il s’agit à l’EID de trouver une harmonie entre les gouvernants et les gouvernés. Donc, nous gouvernants, nous devons être ouverts à toutes les critiques que nous devons accepter volontiers pour bien faire notre travail. Tout peut s’obtenir au bout du dialogue, de l’échange qui est promoteur. Au Mali, nous avons choisi de nous sauver ensemble avec la solidarité internationale”, a-t-il laissé entendre. Siaka Doumbia