Des milliers de jeunes convergent vers les sites d’orpaillage à la recherche d’un lendemain doré. Mais hélas…
Le soleil se lève sur la grosse bourgade de Kéniéba. Le vent frais du petit matin emporte les premières vagues de poussière de la journée. Les mines ne sont pas loin et la longue journée de travail commence bientôt. Ceux qui y sont employés savent que le retard n’est pas toléré. Comme à l’école, les chefs d’équipe font l’appel avant de rappeler les objectifs de la journée. Avant le regroupement des miniers, les habitants du quartier de Lafiabougou s’activent après une courte nuit dans les bras de Morphée. Ils sortent un à un de leurs logements. On dirait que chaque habitant possède une moto. Les habits déjà couverts de poussière. Le travail est rude dans les mines. Si le salaire est attractif, il faut bien le mériter. Le temps passe vite. Il faut se hâter à avaler le petit-déjeuner.
Abdoul Aziz, moniteur d’engins lourds, vient d’opter pour le pain à la mayonnaise, accompagné d’un café au lait. Dans le quartier, les uns cherchent de quoi réveiller l’estomac, les autres courent rejoindre leurs postes de travail. Les bus et minibus passent et repassent. Des hommes en tenue de chantier y grimpent à chaque arrêt. «Mon car est arrivé, je dois y aller. Au revoir monsieur le journaliste», lâche Abdoul qui ferme derrière lui la porte coulissante du bus surmonté d’un gyrophare. Un morceau de tissu jaune flotte au bout d’une tige fixée sur le pare-choc avant du véhicule.
Ce jeudi matin de janvier, il fait légèrement froid. Un vent de poussière continue à fouetter les visages. Avant 6 heures du matin, tous doivent être au poste. Les sociétés minières mettent le paquet pour gagner le maximum. C’est la règle du jeu. Karamoko, lui, s’est dirigé tout droit chez un autre vendeur de café au lait. Comme tous les matins, il est au rendez-vous. Même heure, même menu. C’est son rituel. «On n’a pas le choix», lance le chargé de maintenance avant de s’adresser au tenancier de la cafeteria. En peu de mots, il lance sa commande et quelques minutes plus tard, il savoure la miche de pain assaisonnée de mayonnaise avec un verre de café au lait bien chaud. La journée peut démarrer en toute sérénité.
Comme tous les camarades de sa génération, Karamoko possède une grosse moto de marque asiatique qu’il a achetée quelques mois plutôt. Plus qu’un moyen de déplacement, la moto est un signe de réussite sociale et individuelle. Généralement, l’argent des premiers grammes d’or, écoulés sur le marché noir, sert à acheter la moto et le téléphone portable à l’écran tactile. Le reste peut bien attendre. Ceux à qui l’or a davantage souri vont jusqu’à l’Apache, une moto réputée robuste et «bling bling». Son prix frôle le million.
Le jeune homme enfourche sa bécane et prend la direction de la broussaille. Nous l’accompagnons pour comprendre les techniques d’exploitation des sites d’orpaillage traditionnel. Deux systèmes existent dans notre pays : le dragage fluvial et les puits. Le premier se pratique dans les cours d’eau et le second sur la terre ferme.
Karamoko est une célébrité locale. À chaque virage, son nom sonne dans la bouche d’un passant. Kara, son surnom, est en effet d’un commerce agréable. Philosophe, il aime répéter que la vie n’est rien. «An be gnogon bolo», cette phrase populaire dans le milieu juvénile est devenu son leitmotiv. Kara pousse sa moto à la limite de ses capacités motrices. Derrières des buissons se cache l’industrie locale d’extraction d’or.
Les moyens sont rudimentaires, mais efficaces. Rudimentaires ? C’est peut-être trop dire. En vérité, les orpailleurs rivalisent d’ingéniosité pour aller plus vite et plus loin. Tout est pratiquement mécanisé. Ils utilisent des moteurs de type Mercedes pour remonter la boue qui sera traitée par une autre machine pour en extraire le métal jaune.
COMME À LA LOTERIE- Karamoko est à la tête d’une petite équipe de jeunes prêts à tout pour extraire l’or des entrailles de la terre. Volontiers, il explique comment ils s’y prennent. «Nous sommes très nombreux ici. Beaucoup d’entre nous sont venus depuis plus d’un mois. Il faut avoir deux éléments essentiels pour travailler : la machine de concassage et les produits chimiques. Certains possèdent des puits. Eux, ce sont les patrons. Ils font travailler des gens et ils sont payés au prorata des gains ». Interrogé sur ses gains, Kara se montre évasif. «Vous savez, dit-il, c’est Dieu qui donne. On peut gagner des centaines de grammes ou ne rien gagner du tout. C’est une question de chance».
En vérité, depuis quelques années, notre jeune orpailleur sillonne les sites sans jamais tomber sur un bon filon. Sa fiancée l’attend toujours au village. «Je continue à tout donner. Tout dépend de la volonté de Dieu», confie Kara.
Sur l’utilisation des produits prohibés, il est également peu bavard. Pourtant, il est quasiment impossible de tirer profit de cette activité sans utiliser le cyanure pour extraire l’or de la boue et le cannabis pour motiver les jeunes à se surpasser. Le service des douanes installé sur la route, à Kita, s’est fait un nom dans la saisie de ces produits interdits. Le cannabis se transporte par paquets de 2 kg. Sur le terrain, le paquet est décomposé en doses. Quant au cyanure, les convoyeurs le mettent dans des sacs et bien cachés dans les soutes des bus.
Selon un chimiste d’une mine croisé dans le célèbre restaurant d’un des deux hôtels de la ville, la cyanuration (ou cyanurisation de l’or) ou sa dissolution avec le cyanure est le procédé le plus couramment utilisé pour l’extraction de l’or.
Kara et ses hommes font peu de cas des dangers du cyanure. Après le traitement du minerai, c’est l’heure de la vérité. Au résultat, ce n’est pas un jour de chance. La teneur en or est très faible, voire nulle. Il doit se contenter de quelques soupçons d’or pour toute une journée de travail pénible. Les conditions de vie sont difficiles. Quand on cède à l’attrait de l’or et à la perspective de devenir riche illico, il faut savoir prendre des risques. Kara et ses camarades sont déterminés à ramener l’argent à la maison pour acheter une moto neuve, construire une maison et plus tard convoler en justes noces.
Que fait-il de l’or brut ? Notre orpailleur doit respecter le protocole préétabli en la matière. La clé de répartition est pour lui un secret professionnel. Pourtant, tout le monde sait que le chef du site empoche le 2/3 et le reste revient aux employés. Ceux-ci doivent payer la gargotière, le livreur d’eau et le commerçant ambulant.
L’environnement socio-économique de l’exploitation de l’or n’est pas des plus sains. Le préfet du Cercle a constaté que les bars et night-clubs poussent comme de mauvaises herbes. L’alcool y coule à flots. Un terreau pour la prostitution, la consommation du cannabis et les autres produits dopants. «L’herbe» se vend très bien dans ce milieu. La drogue aide à combattre la peur du noir lorsque les orpailleurs descendent dans la profondeur des puits. Avec un billet de 1000 Fcfa, on peut s’envoyer en l’air, planer. «C’est même devenu un effet de mode», regrette un habitant qui accuse les services de répression de laxisme.
Le médecin-chef du Centre de santé de référence de Kéniéba, Dr. Moussa Modibo Diarra, relève que plusieurs pathologies sont directement liées à l’exploitation de l’or. «Les accidents de travail sont très fréquents suite aux éboulements de mines. La promiscuité, analyse le patron du Centre de santé, crée également des conditions favorables à la prolifération des bactéries et des virus. Dans la région, nous avons le plus grand nombre de porteurs du VIH. Les cas cliniques les plus fréquents sont les infections respiratoires aiguës, le paludisme, les diarrhées, les accidents de la voie publique et les coups et blessures volontaires. »
Kara, pour écouler les quelques grammes d’or qu’il aura gagnés après des jours de dur labeur, ira au marché noir. Pour retrouver les commerçants, rien de plus facile. Ils ne sont jamais loin. Ils se promènent avec du cash pour acheter l’or brut à prix d’ami. Ils se chargeront de le nettoyer et le revendre à un autre niveau.
Envoyé spécial
Ahmadou CISSÉ
Source: Essor