Face à la polémique qui entoure le projet de révision de la Constitution, le député Adema élu à Yanfolila, Yaya Sangaré, nous a accordé une interview exclusive. Dans cette entrevue, il explique le bien-fondé de cette révision, tout en battant en brèche ce qu’il appelle les inventions des opposants qui tentent d’intoxiquer la population. Interview !
Le Prétoire: Les Maliens sont aujourd’hui divisés au sujet de la révision constitutionnelle, quelle est votre position ?
Je pense que cela ne valait pas la peine. Parce qu’une constitution n’est ni un Coran ni une Bible. Face à l’épreuve du temps, il est tout à fait nécessaire qu’on puisse revisiter une Constitution, étant donné que la Constitution de 1992 clarifie les gens habilités à prendre l’initiative pour sa révision. Il s’agit du Président de la République et de l’Assemblée nationale. Après examen et analyse de la situation, ces autorités doivent voir si on peut aller à une révision constitutionnelle. C’est ce qui a été fait. Maintenant, la méthode peut être mise en cause, mais cela ne veut pas dire qu’il faut remettre tout en cause. Si une méthode n’a pas été bien élaborée en amont et que l’Assemblée nationale a pris en compte certaines préoccupations, je pense qu’en ce moment, les gens devraient essayer d’aller aux arguments et laisser la consultation populaire se faire. Parce que, quels que soient ce qui peut être fait en amont et les propositions du Président de la République ou même les amendements apportés par l’Assemblée nationale, il est dit qu’il faut aller en référendum pour que le peuple souverain du Mali se prononce par rapport à cela. Donc, je pensais en ce moment qu’on devrait profiter de notre démocratie, laisser le peuple malien s’exprimer librement. Parce que je ne vois pas dans cette Constitution ce qui peut entrainer tous ces mouvements d’humeur. On doit laisser le peuple s’exprimer dans les urnes au lieu de les amener dans les rues.
De plus en plus chaque camp se radicalise. D’un côté le Président de la République réaffirme sa détermination à poursuivre le processus, alors que de l’autre côté les partisans du ‘’Non’’ réclament le retrait pur et simple du projet. Comment imaginez-vous la suite du processus ?
Le Mali est un pays multiséculaire. Nous avons toujours des ressorts pour pouvoir surmonter les difficultés. Ce qui arrive aujourd’hui est vraiment déplorable. Car, il ne faudrait jamais rompre le pont de la discussion. Les gens devraient dialoguer. S’il s’agit du Mali et que nous nous battons tous pour le Mali, il n’y a pas de raison que les gens soient dans des positions radicales. Aujourd’hui, dire «An tè A Bana», pour moi c’est rompre le dialogue avec ceux qui ont initié le projet. «Antè A Bana » veut dire : je refuse, je ne veux même pas écouter les autres. Je pense qu’on ne doit pas être dans cette logique dans un pays de dialogue, dans une démocratie, dans une République. On peut contester, mais rejeter tout en bloc, cela n’est pas une bonne position pour les gens qui sont appelés à gérer ce pays un jour. Cette position radicale ne permet pas aux Maliens de comprendre les enjeux de cette révision. Alors que les enjeux sont importants. Il s’agit du confort de la démocratie et le respect des engagements internationaux pris par le pays. Nous devons aller dans ce sens en mettant l’accent sur les arguments. C’est pour dire qu’on ne doit pas être dans un « Oui » systématique ni dans un « Non » systématique. Chacun doit pouvoir développer des arguments pour parler du contenu du texte et non parler des choses qui n’existent pas dedans. Il ne faudrait pas continuer de raconter des contrevérités aux Maliens qui peuvent se retourner contre ceux qui le font aujourd’hui.
D’aucuns estiment que le projet fait la promotion du mariage homosexuelle, avez-vous la même compréhension du texte ?
Il y a des contrevérités que certains racontent aujourd’hui, desquelles il faut s’éloigner. La Constitution, c’est des grands principes. Il y a d’autres lois qui prennent en charge les questions de mariage. Une Constitution ne parle pas de mariage. Le Mali étant membre de beaucoup d’organisations internationales, nous devons souscrire à des instruments internationaux. Parmi ceux-ci il y a la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui parle des droits, des devoirs, et des libertés de chacun et de tous. Le Mali y a adhéré comme l’Egypte, la Tunisie, la Mauritanie, l’Algérie et même le Zimbabwe qui a aujourd’hui une position intransigeante par rapport à cette histoire d’homosexualité. Il ne faudrait pas que les gens fassent l’amalgame. Adhérer à la Charte africaine des droits de l’homme n’a rien à avoir avec le mariage homosexuel. Ce sont des dispositions des lois que nous allons prendre comme le Code des personnes et de la famille et le Code civil. Aujourd’hui, le Code civil est clair. Le mariage au Mali, c’est entre un homme et une femme. Certains évoquent l’adhésion du Mali à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Mais cette Cour est une justice qui n’a pas de police, qui ne peut pas avoir une décision contraignante pour le Mali. Le Mali a adhéré à cette Cour en 2015, c’était par rapport aux violences que nous avons connues en 2012. Mais cela n’a rien à voir avec le mariage homosexuel. Il faudra ajouter que cette même Charte existe dans la Constitution de 1992.
Est-ce à dire que ceux qui défendent mordicus cette thèse n’ont pas bien compris le texte ?
Ils ont bien compris, ce sont des grands intellectuels. Mais ils sont en train de faire un faux procès. Ils jouent sur la fibre religieuse des Maliens pour révolter la population. Parce qu’ils n’ont pas d’argument contre le texte en soi. Donc, il faut inventer des choses, jouer avec les mots et les expressions pour révolter les Maliens. Ce qui n’est pas responsable.
Des opposants au référendum estiment que la loi modificative viole l’article 118 de la Constitution en vigueur et qu’elle renforce les pouvoirs du Président de la République. Quel commentaire en faites-vous ?
L’article 118 de la Constitution stipule qu’aucune procédure de révision Constitutionnelle ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’une partie du territoire est occupée. L’article 94 de la même Constitution dit que la Cour constitutionnelle doit statuer sur la constitutionnalité du texte. Ses décisions sont sans appel. Pour autant, la Cour constitutionnelle a tranché, affirmant que l’intégrité n’est pas atteinte. En ce moment, pour moi le débat est clos à ce niveau. Si on doit respecter la Constitution, on la respecte dans son intégralité. A moins qu’on dise que la Cour constitutionnelle n’ait pas dit le droit. Je dirais en ce moment que c’est ouvrir une boîte à pandore. Parce que c’est cette Cour qui fait que le Président de la République est installé et qui a validé l’élection des députés. Si on va dans ce sens, on va considérer que toutes les décisions prises au Mali depuis 2014 sont nulles et de nul effet. Je ne suis pas juriste, mais il faudra mettre ces deux articles face à face. A partir du moment où la Cour constitutionnelle a tranché, je pense que le débat est clos pour tout républicain et pour tout démocrate. Je n’ai pas d’avis à donner après celui de la Cour constitutionnelle.
Face à une opposition virulente avec une certaine capacité de mobilisation, nous constatons en face une majorité timide. Est-ce à dire que vous manquez d’arguments pour convaincre le peuple ?
On n’utilise pas les mêmes méthodes de se faire entendre. L’opposition est dans son rôle en prenant la rue pour protester. La majorité doit-elle aussi prendre la rue pour s’expliquer, dans la mesure où elle est déjà au pouvoir. Nous n’avons pas la même méthode de combat. L’opposition, sa méthode, c’est la rue, les meetings et les envolées lyriques. Mais la majorité, en tant que responsable, doit pouvoir expliquer de façon sereine au peuple l’opportunité du projet. C’est ce que nous avons entrepris. Nous sommes en train d’expliquer à la population, catégorie socioprofessionnelle par catégorie socioprofessionnelle. Nous avons rencontré une partie de la société civile déjà. Nous sommes en train de rencontrer les partis politiques, de plus en plus, nous passons sur les radios pour une large explication. Mais nous n’allons pas aller dans une forme de démonstration de force. Comme quelqu’un l’a dit : l’heure n’est pas de se compter, mais de se rassembler pour aller à l’essentiel. Et l’essentiel c’est de pouvoir donner au peuple malien une Constitution pour faire face à la crise. Egalement, conforter les institutions de la République. Nous allons au rassemblement, quel que soit ce que cela va coûter, en expliquant qu’il s’agit du confort de la démocratie et la résolution de la crise.
Y a-t-il, selon vous, un lien entre le présent projet et les élections de 2018, notamment la présidentielle ?
Les gens commencent à comprendre cela. Quand on regarde ce qui se passe surtout l’opposition politique qui cherche à récupérer le mouvement de ceux qui n’ont pas compris le projet. Et ce qu’on est en train de dire n’a rien à avoir avec le contenu du texte. L’opposition affirme qu’on est en train de renforcer le pouvoir du Président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta. Or, s’il est avéré que la gestion du pouvoir est désastreuse comme l’indiquent les opposants, normalement la fin du mandat d’IBK, c’est dans un an. Si on renforce le pouvoir de quelqu’un, c’est celui de l’opposant qui viendra au pouvoir. En réalité, ils se battent aujourd’hui, pensant que si le ‘’OUI’’ emporte le référendum, c’est comme si IBK avait gagné la présidentielle de 2018. Estimant que les Maliens qui voteront ‘’OUI’’ sont du côté du chef de l’Etat. Chacun est en train de se battre pour son camp. Il faudrait quand même attendre 2018 pour faire ce combat. En 2017, on doit travailler sur la révision de la Constitution qui n’est pas pour le Président de la République encore moins pour un parti politique, mais pour l’ensemble des Maliens.
Un appel aux Maliens ?
Le Mali doit être au dessus de tout. Les politiques doivent avoir pitié de ce peuple et donner la vraie information. Il s’agit d’expliquer clairement les questions telles que posées. Ne pas penser que le peuple n’est pas mûr. Il ne faut pas que les gens se trompent. A ceux qui sont opposés et ceux qui sont pour, je voudrais que chaque camp puisse privilégier le dialogue et qu’on arrive à un consensus. Parce qu’une constitution est un consensus. C’est l’adhésion de la majorité. Il n’est pas dit que c’est l’unanimisme. Raison pour laquelle le référendum a été prévu. Je voudrais que argument contre argument, les gens abandonnent les épreuves de force dans les rues et qu’ils aillent sur le terrain expliquer le contenu exact de ce texte. Afin que nous allions à un référendum organisé dans les meilleures conditions, où tous les Maliens auront la possibilité de s’exprimer librement entre le OUI et le NON. C’est cela la démocratie que nous avons choisie en 1991.
Réalisée par Oumar KONATE
Par Le Prétoire