Entretien: Les derniers développements sur les questions liées au terrorisme convoquent la visite du Président français, Emmanuel Macron au Niger. Le triptyque sécurité, démocratie et développement a le vent en poupe dans les chancelleries occidentales. La France n’y échappe pas en donnant une date butoir, le premier semestre de 2018, pour l’éradication du djihadistes dans cette partie de l’Afrique. Dans cet entretien, l’enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis et coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique dissèque avec profondeur les menaces qui pèsent sur les pays de la région avec le danger qui germe au sud de la Libye tout en formulant des recommandations pour le Sénégal.
Que comprendre quand Emmanuel Macron, Président de la France en visite au Niger, soutient qu’il est indispensable « d’innover d’avantage » dans la lutte contre le terrorisme?
Il est sûr que la seule option militaire classique dans le cadre d’une guerre asymétrique a montré ses limites depuis longtemps comme l’ont montré les expériences américaine en Afghanistan et française au Nord-Mali malgré la brève victoire de Konna, une bataille gagnée qui n’a pas mis fin à la guerre. Je disais dans un récent article de le revue France Forum qu’il faudrait plus d’inventivité face à une nébuleuse qui s’adapte et dépasser la solution du strictement militaire qui, en plus d’être inefficace et non durable, peut même être contre-productive en provoquant de la radicalisation par frustration avec ses ratés et bavures. La surenchère militaire qui ne semble pas s’inverser mériterait au moins d’être nuancée par des solutions alternatives avec pour socle la prévention en amont et des solutions de sortie du djihadisme tel que le Niger l’a imaginé avec les repentis de Boko Haram dans les régions de Bosso, Nguigmi et surtout Diffa.
J’ose espérer que l’innovation dont parle Macron ira dans ce sens surtout que le sommet de Dakar sur l’éducation se prépare activement en février depuis l’appel du Président Sall, lors de la dernière Assemblée générale de l’ONU. Le choix est clair : soit prévenir aujourd’hui par l’éducation, la justice sociale et la résorption des inégalités criantes ou continuellement intervenir inefficacement, à risque et de manière plus coûteuse sachant que l’opération Barkhane absorberait 600 millions d’euros par année des caisses déjà largement déficitaires.
Cependant, certains évoquent la possibilité d’intervenir dans le Sud Libyen où la France semble ne pas vouloir agir directement. Certes, le triptyque « Sécurité, démocratie, développement » semble avoir le vent en poupe dans les cercles diplomatiques aussi bien en France que chez ses partenaires du Sahel. Et si on commençait par la fin ou inversait l’ordre ?
Pourquoi le combat contre le terrorisme au Sahel est-il « essentiel »?
Hannah Armstrong, chercheuse au New America’s International Security Program, estimait que 3 000 djihadistes étaient actifs au Sahel déjà en septembre 2014. Les fronts se multiplient dans ce Sahel et ses points stratégiques si l’on sait que déjà plus de 300 hommes d’Al-Mourabitoune et d’Aqmi sont déjà repérés dans le Sud de Libye qui est une véritable base arrière à partir de laquelle la circulation des armes s’organise depuis le Tibesti jusque dans les massifs de l’Aïr en passant par le plateau de Djado. Aboul Walid Al-Sahraoui ne serait pas non plus hors course dans ce jeu de positionnement qui viserait le Kwar nigérien.
D’ailleurs, le Niger et le Tchad en sont conscients et le débat secoue les Etats-majors français entre les partisans d’une intervention jusqu’en Libye et ceux qui redoutent les contrecoups ingérables d’une opération militaire de plus sans « service après-vente ».
Les Américains eux sont discrètement positionnés à Agadez et ailleurs sous forte crainte des développements imprévus en Algérie. Tous ces éléments font que la guerre qui se mène au Sahel est essentielle pour la sécurité des pays de la région mais aussi pour les intérêts stratégiques de la France qui n’intervient pas seulement au « secours de ses amis ».
Macron a bien dit dans le discours de Niamey que c’est au Sahel que se jouait en partie la sécurité de la France et une partie de son « avenir ». Mais pour nos pays, c’est là, aussi, où se joue notre sécurité de demain et déjà d’aujourd’hui. Aucun de nos pays ne pourrait échapper aux conséquences d’un second chaos libyen.
« Le premier semestre 2018 doit donner lieu à des victoires [militaires] claires contre les terroristes », affirme Emmanuel Macron. Quels sont les facteurs explicatifs d’une éventuelle situation, sinon quels en seront les problèmes auxquels il risque de se confronter sur le terrain?
Le Président Macron dit cela en parfaite conscience du danger imminent qui proviendra de la Libye dont le Sud est déjà refuge des groupes djihadistes. Je fais partie de ceux qui pensent que l’opérationalisation accélérée de la force conjointe du G5 Sahel entre dans le cadre de la stratégie qui se met en place pour étendre le champ d’intervention vers le Sud de la Libye. C’est seulement le modus operandi qui se discuterait encore. Serait-elle sous la forme d’une guerre préemptive à la Bush ou d’une suite d’incursions coordonnées entre les forces du G5 et celles de Barkhane ? Ou bien va-t-on vers une Otanisation (OTAN) de Barkhane tel que pourrait le suggérer l’invitation des autres militaires américains et allemands lors du discours de Macron au Niger ? Toutes ces questions se posent avec autant d’acuité si l’on prend en considération les alertes américaines sur les retours imminents de milliers de djihadistes africains du front syrien largement maîtrisé par la coalition internationale.
Dans un tel contexte qui se complexifie davantage pour notre défense et notre sécurité de manière générale, je ne peux que réitérer mon plaidoyer pour que notre pays, le Sénégal, se dote d’une stratégie nationale de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent et le terrorisme. Les premiers procès de présumés djihadistes sur notre sol avec tant de difficultés et de complexités juridiques qui vont surgir montrent à suffisance qu’il est temps de mettre en place une stratégie coordonnée et inclusive avec comme socle de véritables politiques préventives.
Source : 24 HEURES/ Timbuktu Institute