“Nous avons documenté 15 000 incidents de VBG entre janvier et décembre 2023. Sur ces 15 000 cas, moins de 100 ont des suites judiciaires ou même se retrouvent sur la place publique, sur les réseaux sociaux. 90 % des cas sont gérés de façon confidentielle. Au niveau de la police, de la justice, des tribunaux, il y a toujours un point focal genre pour aider les victimes. Mais, ces points focaux sont évités par les victimes“, explique Aminata Touré, superviseure VBG à Marie Stopes.
Selon ONU-Femmes Afrique, en 2015, “le Mali a enregistré 1468 cas déclarés mais sans suite. Des violences physiques au déni de ressources, jusqu’aux violences psychologiques, les femmes maliennes font face à plus de 20 types de violences régulières”. Aminata Coulibaly, féministe analyse : “Ces crimes devraient susciter l’indignation générale, pousser à la réflexion publique sociétale et politique mais il n’en est rien”.
En effet, déplore Macky Sow, statisticien, “rares sont les procès qui aboutissent. Onfini toujours, en famille, à trouver des solutions, des compromis, à tout mettre sur le dos de la fatalité, du destin”.
La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), reconnaît que “la société malienne tolère les violences conjugales”. Le document de l’organisation internationale de défense de droits humains se fait l’écho des pressions sociétales, religieuses et politiques que subissent ces femmes lorsqu’elles dénoncent de telles violences. Dans ces conditions, l’obtention d’éventuels témoignages s’avèrent difficile.
Studio Tamani rapporte un témoignage de Rokiatou Konaté, une ancienne proche de l’APDF. “J’ai emmené une fille au foyer de l’APDF à l’ACI (siège de l’Association femmes battues à Bamako, Ndlr) parce que son mari la battait au fouet, elle était blessée tout près de l’œil. Mariée sous contrainte très jeune, 15 ans, à un cousin lointain, plus du double de son âge, classique. Je la croyais en sécurité. Mais non. L’APDF a appelé la maman qui a appelé le mari. Ils sont venus tous les deux récupérer la fille. Et le pire, c’est que l’APDF l’a laissée partir alors qu’on avait parlé ensemble d’une formation pour elle. Il faut avoir les nerfs solides. Depuis, je n’écoute plus les plaintes. Du n’importe quoi. Chaque fois qu’il se passe un événement anormal, telle la mort de cette fille à la présidence, les cours devraient s’arrêter dans tous les établissements et on devrait lancer la discussion. Il faut que les gens s’expriment. Il faut que les gars écoutent les filles, vice et versa”.
“Au Mali, les violences basées sur le genre prennent différentes formes insidieuses et souvent ignorées. Parmi ces cas oubliés figurent les mariages forcés, les mutilations génitales féminines, le harcèlement sexuel au travail, les violences conjugales et les violences perpétrées dans le cadre des conflits armés. Pis, nous avons eu des cas d’assassinat, qui, un mois après les faits, sont tombés dans les oublies“, explique Mme Solange Koné, responsable suivi évaluation de l’Association des femmes catholiques.
Pour elle, les conséquences de ces violences oubliées sont dévastatrices pour les victimes, tant sur le plan physique que psychologique. Elles entravent l’autonomie des femmes, limitent leur accès à l’éducation et à l’emploi, et compromettent leur participation à la vie sociale et politique.
Pour Aminata Touré, superviseure VBG à Marie Stopes, au niveau des associations, des groupements, des ONG nationales, internationales et des entités des Nations unies, il y a des mécanismes et des personnes spécialisées dans la gestion des cas de violence basée sur le genre.
Pour Mme Bouaré Sitan Founè, de Wildaf-Mali, “il y a des mécanismes qui sont en place pour accueillir les personnes survivantes du VBG à divers niveaux. Au niveau étatique, il y a les services techniques de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille, les services locaux, au niveau régional. D’autres mécanismes, comme les maisons des femmes, accueillent les survivantes de violences basées sur le genre“.
“Oui, malheureusement, des personnes survivant des VBG, sont vite les oubliées ou bien laissées pour compte après l’incident”, ajoute pour sa part, une dame, qui affirme avoir tenté de porter plainte plusieurs fois sans succès.
“Si, une victime veut aller à la police, voir les médecins ou autres, nous l’accompagnons. Nous ne prenons pas de décision à la place des victimes. Nous ne pouvons pas aller au-delà de son avis, de ses souhaits“, explique-t-on à Maties Stopes.
Pour eux, les victimes doivent se prendre en main. “Il faut que, de prime abord, elles-mêmes qui ont été victimes, arrivent à ne pas se laisser influencer par les dires ou bien par les propositions ou par les décisions d’une autre personne ou bien de son entourage. J’ai été victime de VBG, j’ai subi quelque chose qui va à l’encontre de ma personne, qui porte atteinte à ma dignité, c’est à moi d’aviser”.
Pour Mme Solange Koné, responsable suivi-évaluation de l’Association des femmes catholiques, “face à ces cas oubliés de violences basées sur le genre, il est impératif de renforcer les mécanismes de prévention, de protection et de prise en charge des victimes. Les autorités maliennes, la société civile et la communauté internationale doivent agir de manière concertée pour mettre fin à ces violences et garantir la sécurité et la dignité des femmes et des filles“.
Selon le nouveau Code civil et pénal, “la femme doit obéissance à son mari” et l’homme est consacré comme unique chef de famille (“puissance paternelle”). L’âge légal du mariage est de 18 ans pour l’homme et de 16 ans pour la femme. Par ailleurs, dans certains cas, le mariage peut être autorisé à partir de 15 ans et les revendications du Haut conseil islamique de reconnaitre le mariage religieux ont de surcroit été prises en compte.
La FIDH note que “le nouveau code viole gravement les obligations internationales du Mali, consacrées par la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedaw), ratifiée en 1985, et le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes, ratifié en 2005. Quelques mois après, à la veille des élections présidentielles, il semble que rien ne s’y fait et la question des droits de la femme reste d’une docilité affligeante aux consignes du pouvoir”.
Aminata Agaly Yattara
Cet article est publié avec le soutien de Journalistes pour les droits humains, JDH et NED