Pas seulement les Maliens, mais le monde entier sait que le Mali est dans des épreuves douloureuses. Cependant, ce sont surtout les réjouissances populaires qui rythment le quotidien au Mali. Est-ce que c’est parce que les Maliens sont moralement mieux armés et psychologiquement blindés contre les douleurs que les fêtes sont d’une banalité jouissive dans leur pays abonné aux deuils?
La question n’a rien de cynique, mais elle renvoie au cynisme ambiant qui est la trame
de la gouvernance en cours. En effet, les discours que tiennent les officiels maliens et
les programmes de divertissement sur les deux chaînes de la télévision nationale
donnent plutôt à penser que tout va bien comme dans le meilleur des mondes, que les
Maliens se portent mieux comme ils ne le furent jamais et que leur avenir est des plus
prometteurs. Images d’Épinal et communication grandiloquente présentent
merveilleusement un pays de cocagne avec une vie super édénique. En champion de
l’auto-congratulation, le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, est toujours
le premier à user du cynisme avec un talent expressif inégalé : Le Mali avance! »
Exclamation abusive, trompeuse et mensongère qui balaie d’un revers de main les
souffrances indicibles de ses concitoyens et l’énorme angoisse dans laquelle le pays est
plongé. L’État, insouciant et inconscient jusqu’à la moelle des os de ceux qui le
gouvernent, se complaît à voir se développer les spectacles festifs comme pour conjurer
son incapacité à apporter du bonheur au peuple. L’insécurité est partout, dans les villes
comme dans les campagnes. Kolongo, Dioura, Sobane Dah, Boulekessy, Mondoro,
Sokolo, encore et encore, n’ont pas que provoqué des deuils chez les populations civiles
et militaires, ces tristes massacres et nombreuses tragédies ont fait du pays un cimetière
à ciel ouvert. Là où le drapeau national devrait désormais être mis en berne, le président
de la République se gargarise de son « Le Mali avance! » dans une fête de rentrée
agricole alors que les larmes des veuves, des orphelins, des frères, soeurs, mères et
pères, coulaient encore chaudement. Que dire alors que IBK est le porte-drapeau de la
culture au nom de l’Union africaine ? Mais si la décence avait eu le dessus sur le
cynisme, un tel honneur, au regard des siens, constamment fauchés, aurait dû être
décliné. Le cynisme tient bien le Mali dans ses pièges. L’Ortm organise avec faste son
édition « Miss Ortm ». Et lorsque quelques citoyens expriment leur désapprobation de
l’évènement dans une situation de douloureuses épreuves, l’on a vite sorti des chapeaux
de magiciens un argument massue dont chaque lettre transpire de cynisme : les recettes
seront utilisées pour soulager un peu les familles de nos soldats tombés en mission! Et
voilà que la gendarmerie régionale de Ségou signale un regroupement de terroristes à
Kabalabougou en vue d’en prendre au Festival sur le Niger. Réactions : la culture
étant plus forte que le terrorisme, le Festival sur le Niger va se tenir, pour montrer à tous
les terroristes qu’on a pas peur d’eux! N’empêche que le « Miss Ortm » et le « Festival » sur le
Niger ne seront rien d’autre que des amusements en plein coeur de la désolation des
deuils et de l’école en panne. Que dire dire aussi de la corruption gangrenante? De la
justice qui s’amuse avec ruse et astuce? Voilà qui est révélateur de la mentalité des
dirigeants et des citoyens loin des théâtres où se jouent les malheurs du pays. Une
gouvernance qui se dit vertueuse, par des hommes d’excellence! Mon oeil!
Mody Traoré Enseignant
Le Combat