La crise au nord du Mali aurait-elle inspiré les populations du centre du pays ? En effet, rappelons que du début de la crise en 2012 jusqu’en 2016, les zones du centre du Mali semblaient ne pas être concernées par les mesures de règlement mises en œuvre par l’Etat et ses partenaires, y compris par l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger.
Apparemment, toute l’attention était focalisée sur le nord du pays. Ce n’est donc vraisemblablement qu’à partir de 2016 que les troubles suivis d’attaques et d’affrontements inter et intracommunautaires ont pris de l’ampleur dans le centre du pays et alerté les autorités maliennes que le regard des autorités publiques nationales et des partenaires s’est porté sur le «Centre». C’est comme si les communautés du Centre avaient compris, à travers tout ce qui se passait au nord, qu’il faudrait prendre les armes pour être considéré et que l’Etat s’intéresse à leurs problèmes.
Par conséquent, pour elles, «la situation de crise généralisée qui prévalait dans le pays était la meilleure occasion pour régler les problèmes de gestion des espaces dont souffraient les communautés», analyse Ousmane Kornio, l’auteur de l’étude intitulée «Conflits intercommunautaires au Centre du Mali : Pourquoi la batterie de solutions ne fonctionne pas ?».
Malheureusement, les problèmes ont pris une tournure plus compliquée que prévue, toutes les communautés se sont retrouvées impliquées, chacune à sa façon, dans les violences entrainant des affrontements inter et même intracommunautaires sur tout l’espace du Centre (zone inondée comme exondée).
Selon le consultant Ousmane Kornio, «la force des enjeux et la diversité des acteurs déterminent la complexité de la crise au centre». Son étude consacre une large part aux «facteurs souterrains» (endogènes et exogènes) qui sont des enjeux non négligeables de la crise car ayant contribué à l’explosion de la région.
C’est le cas par exemple des effets des changements climatiques qui ont perturbé les modes d’exploitation de l’espace (les circuits de transhumance des Peulhs majoritairement éleveurs et les exploitations des terres et eaux pour les agriculteurs et les pêcheurs). Certains espaces ont complètement changé de vocation comme ces mares qui ont par exemple séché et qui ne peuvent plus servir la pêche et l’élevage.
Pourquoi les solutions préconisées sont-elles inefficaces ?
Un autre facteur exogène, le principal facteur aggravant de la crise et du pourrissement des relations entre les acteurs, est l’arrivée des djihadistes du nord qui ont infiltré les communautés et instrumentalisé les rapports sociaux… Tout comme la prolifération des armes légères a modifié les modes de règlement des conflits au sein et entre les communautés par l’usage des armes (un fusil-mitrailleur se monnaye à environ 200 000 FCFA au marché noir de Mopti).
Comment en est on arrivé là dans les trois zones en dépit des mécanismes communautaires de règlement des conflits visiblement dépassés par l’ampleur des tensions ? «La question est tout à fait pertinente car depuis le début de la crise, aucune action n’a été entreprise ni par les autorités politiques et administratives, ni par les leaders associatifs des ressortissants de ces zones ou de ces communautés (Tabital Pulaku et Gina Dogon) et qui a porté fruit», déplore Ousmane Kornio.
En réalité, précise-t-il, «depuis les temps immémoriaux, avec l’arrivée de l’islam dans ces zones (avec l’empire Peulh du Macina et l’empire Toucouleur de El hadj Oumar), les communautés du centre ont en quelque sorte délaissé leurs valeurs socioculturelles traditionnelles de gestion communautaire au profit des principes religieux musulmans». Ainsi, poursuit l’étude, «le problème qui se pose aujourd’hui dans le centre est que les communautés se reconnaissent dans ces principes religieux islamiques, mais les mêmes principes sont aujourd’hui remis en cause par les soi-disant djihadistes qui ont infiltré et instrumentalisé certains groupes communautaires».
Autrement, comment comprendre que, dans des villages du Delta (composés de Peulhs, Bambaras, Markas et Bozos) qui ont adopté et qui pratiquent l’Islam depuis des siècles, des groupes djihadistes passent pour prêcher dans les mosquées ou demander le paiement de la zakat sur les troupeaux des éleveurs et les récoltes des paysans agriculteurs ?
La gravité des affrontements amène aujourd’hui chaque communauté à s’interroger sur la sincérité des autres communautés avec lesquelles elle a toujours vécu et partagé les principes et valeurs religieux de l’islam. C’est d’ailleurs un des motifs de l’hypothèse que «les assaillants sont des éléments extérieurs de la société».
Penser ainsi, rappelle Ousmane Kornio, «c’est oublier jusqu’à quel point le désespoir et la lutte pour la survie peuvent conduire l’homme à se retrancher dans ses plus mauvais états, surtout si les ficelles sont tirées par des acteurs invisibles dont les intérêts sont menacés». La situation du centre profite bien à certaines personnes dont des bandits de grands chemins qui enlèvent et volent du bétail pour le revendre, mais aussi à des hommes politiques et cadres ressortissants de ces zones qui utilisent la situation pour assurer leur promotion (sociale, professionnelle) en se faisant passer pour des défenseurs des communautés.
Moussa Bolly
LE MATIN