Aujourd’hui, les processus les plus élémentaires aux plus complexes de notre quotidien dépendent fortement des outils du numérique. Qu’il s’agisse de communiquer avec ses proches, d’effectuer des transactions bancaires, de se former, de socialiser, de prendre des rendez-vous, de se faire soigner ou encore de faire ses courses, etc. rares sont les mécanismes qui n’impliquent pas le numérique.
Les Technologies de l’information et de la communication (TIC) ouvrent la voie à des opportunités encore inespérées, atteignant des degrés qui dépassent l’entendement.Founder and CEO Tuwindi
Les femmes sous représentées dans le domaine du numérique
Avec toutes les opportunités qu’offre le numérique, la sous-représentation des femmes dans ce domaine persiste. Toutes professions confondues, elles ne représentent que 30% des effectifs du secteur. Dans certains cas, ce pourcentage est même descendu en dessous de 20 %. Bien qu’elles représentent près de la moitié de la population mondiale, 37% des femmes n’utilisent pas Internet. La situation est encore plus grave en Afrique.
Cette sous-représentation est également vérifiée au niveau hiérarchique. Selon une étude menée par l’organisation AnitaB.org en 2019, seulement 18,5% des managers sont des femmes.
Dans la Silicon Valley, la capitale technologique mondiale, seulement 13 % des femmes entrent dans les entreprises technologiques pour occuper des postes de direction. Et dans ce lot, les femmes entrepreneures ne représentent qu’environ 7%.
Les femmes dans l’histoire du numérique
Cette situation accablante ne devrait pas être le cas vu qu’historiquement, depuis le XIXe siècle, les femmes ont joué un rôle central pour l’émergence du numérique. Ce secteur a même été quasiment paritaire dans les années 50.Pour rappel, énumérons le travail de plusieurs femmes qui ont été pionnières du domaine et dont les travaux contribuent largement au développement de notre époque.
La mathématicienne et informaticienne britannique, Augusta Ada Lovelace, a créé le premier programme informatique en 1843. Elle a rédigé les premières ébauches d’un écrit formel qui instruisait un moteur d’analyse dans l’exécution des tâches spécifiques.
Hedy Lamarr, actrice, productrice et inventrice autrichienne naturalisée américaine, a également une carrière créative. En 1941, en pleine seconde guerre mondiale, elle dépose, avec George Antheil, un brevet pour la sécurité des systèmes de télécommunication. Cette technologie est toujours utilisée dans les connexions wifiet Bluetooth.
En 1945, Kay McNulty, Betty Jenning, Betty Snyder, Marlyn Meltzer, Fran Bilas, Ruth Lichterman, surnommées les « ENIAC six », furent les premières à programmer l’ElectronicNumericalIntegrator And Computer (ENIAC), qui fut l’un des premiers ordinateurs dans l’histoire.
Grace Murray Hopper, informaticienne américaine et Rearadmiral (lowerhalf) de la marine américaine, est à l’origine du concept du « compilateur ». Elle a été la première à créer un modèle d’ordinateur en 1952. En conséquence, elle a mis en place le premier compilateur, un programme capable d’associer un langage de code source au code et de créer un système plus accessible aux développeurs.
Mary Kenneth Keller, américaine, a participé au développement de BASIC et a obtenu son doctorat en 1965, la première thèse en informatique.
Margaret Heafield Hamilton, informaticienne américaine à qui l’on doit le terme de « génie logiciel », a conçu les systèmes embarqués pour le programme spatial de la mission Apollo 11, au cours de laquelle les humains ont atterri pour la première fois sur la lune le 21 juillet 1969.
Dans les années 1950, la moitié de la main-d’œuvre informatique était des femmes. Dans les années 1980, 40% des diplômes en informatique en Europe et aux États-Unis étaient décernés à des femmes.
Au niveau du Mali
Par ailleurs, il est important de présenter aux plus jeunes des modèles de réussite tels que les pionnières citées ci-dessus, mais aussi leurs cadettes contemporaines. À ce propos, je tiens à citer quelques-unes des femmes maliennes qui sont de véritables références pour les générations futures.
Au Mali, Mme Berthé Hawa DIAKITE est une informaticienne. Parmi les pionnières du domaine au Mali, elle a joué un rôle central dans la gestion du NIC Mali (le .ml). Elle a aussi participé à la promotion, à l’accès à l’internet et est à ce jour une actrice majeure ayant formé et incité des jeunes filles à aller vers les métiers du numérique. Par ailleurs, elle a assumé de hautes fonctions dans la vie associative, notamment comme présidente du chapitre malien de Internet Society en plus d’être l’une des leaders de l’entreprise DataTech Mali.
Jacqueline KONATE est Docteure en informatique et enseignante à l’Université des sciences, des techniques et des technologies de Bamako (USTTB). Elle forme des centaines de jeunes filles et garçons qui deviennent d’excellents cadres par la suite dans les entreprises maliennes.
Fanta Coumba KAREMBE est une ingénieure en télécommunication. Elle assure la direction du Service de Certification et de Signature Électronique. Ce service joue un rôle central dans la sécurisation des communications numériques et la construction de la confiance numérique au Mali.
Porcho Marguerite SOGOBA est ingénieure en informatique et fondatrice de Musodev, une structure engagée à mieux aider les femmes et jeunes filles à faire carrière dans les TIC.
Hawa BANE est ingénieure informaticienne, orientée sur l’intelligence artificielle et Cheffe du département recherche et innovation de Tuwindi. Sous son leadership, son département produit des technologies de pointe dans les domaines de la gouvernance et des élections, de la lutte contre la désinformation, de la santé et de l’agriculture.
Fatouma Harber est enseignante, activiste blogueuse et fondatrice de SankoréLab à Tombouctou. Elle fait partie des militantes sur Internet au Mali qui forment et mobilisent les jeunes de leur région, afin qu’ils utilisent Internet et les réseaux sociaux comme outils de lutte contre les violations des droits humains.
Ma tendre épouse, feue TOGOLA Hawa SEMEGA, journaliste, est une pionnière en matière de WebTV et de journalisme dans son pays. En plus de former des jeunes avec un accompagnement particulier pour les filles, elle a inspiré des centaines dont certains qui ont pu aujourd’hui lancer leur propre webTV.
La sous-représentation des femmes dans le secteur du numérique, quelles conséquences sur la société ?
Avec tous ces exemples cités, il est clair que la question de l’incompétence ne se pose pas. Les femmes ont des capacités en technologie qu’elles peuvent mettre au service de l’humanité. Leur exclusion est néfaste car elle les prive d’opportunités d’emploi dans des secteurs à forte croissance où elles sont plus sûres et où elles ont la perspective d’une bonne carrière.
Leur sous-représentation dans la sphère numérique représente un recul social qui entraîne des inégalités, avec des coûts économiques importants. L’industrie numérique est l’un des moteurs phares de l’économie et les entreprises connaissent une croissance ainsi qu’une mutation sociale importante. C’est le secteur qui créera les plus de nouveaux emplois dans les années à venir. D’ici 2050, 75% des emplois seront directement liés aux domaines scientifiques et technologiques.
Faire du domaine des technologies un secteur non austère aux femmes
Les stéréotypes de genre et les préjugés sociaux et culturels sont profondément ancrés dans nos sociétés. Ils affectent les filles dès leur plus jeune âge, même lorsqu’elles choisissent leur orientation scolaire et universitaire.
Il est donc crucial d’effectuer un travail sur cet aspect en encourageant les jeunes femmes à poursuivre des études scientifiques dès le lycée et à s’orienter vers des études d’ingénierie dans une perspective numérique, en particulier l’ingénierie en technologie.
Il faudrait vraiment veiller à faire du domaine des technologies un secteur non austère aux femmes. En effet, le rapport du Women’s Forum a déclaré que le domaine de la technologie était considéré comme hostile aux femmes : plus de la moitié des femmes qui sont entrées dans le domaine au début de leur carrière l’ont finalement abandonné, contre seulement un tiers des hommes qui ont fait de même. Le manque de soutien managérial, le manque d’opportunités de carrière et le manque d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée dissuadent de nombreuses femmes de rester dans l’organisation tout au long de leur carrière professionnelle.
Plus que jamais, tenir compte des capacités des femmes et mettre en place des approches nécessaires pour leur forte insertion dans le numérique est capital. En effet, l’histoire l’a prouvé, tout comme les hommes, elles peuvent beaucoup apporter.