Une « transition civile militairement assistée ». C’est sous ce prisme inédit que certains Maliens voient la transition qui s’ouvre dans le pays. Après des semaines de tractations et de rencontres, tant officielles que dans les dans les coulisses, le Comité national pour le Salut du peuple (CNSP) a fini par laisser entrevoir la tournure que va prendre la transition en dévoilant les noms et les visages de ceux qui seront en charge de présider aux destinées du Mali pendant les 18 prochains mois. Très rapidement s’est formé le trio dirigeant : un Président militaire à la retraite, un vice-président militaire en activité et un Premier ministre diplomate reconnu. Alors que ces trois personnalités se sont déjà mises à la tâche, la réussite de leur mission est inéluctablement liée à une étroite et franche collaboration entre elles. Coup de projecteur sur ce triptyque transitoire.
Le décret N°2020-0068/P-T du 27 septembre 2020, signé du Président de la transition et nommant Moctar Ouane Premier ministre a achevé la composition du trio dirigeant de la transition.
Les choses sont allées vite. Deux jours après sa prestation de serment avec son vice-président, le Colonel Assimi Goita, le colonel-major à la retraite Bah N’Daw a paraphé le décret portant nomination de l’ancien ministre des Affaires étrangères sous ATT, diplomate reconnu, Moctar Ouane. Il sera aux commandes du gouvernement pour les 18 prochains mois, durée de durer la transition. Un choix favorablement accueilli par une grande partie des citoyens, dont les espoirs et les prières vont grandissant pour une transition réussie et apaisée.
Si le nouveau Premier ministre s’était éloigné jusqu’à sa nomination du landerneau politique local, étant en poste depuis 2016 à Ouagadougou, à l’UEOMA, où il occupait le poste de délégué général à la paix et à la sécurité, il n’est pas pour autant en terrain inconnu dans les rouages de l’État malien.
Profils « complémentaires »
Le trio que forment désormais ces trois personnalités à la tête de la transition capte l’attention et des interrogations se posent concernant la collaboration harmonieuse entre elles dans la conduite des affaires. Des profils qui sans être trop éloignés les uns des autres, ne sont pas pour autant des plus proches.
Du haut de ses 1m 95, le Président N’Daw, « Le grand » comme l’appellent ses intimes, militaire à la retraite réputé pour son intransigeance et son intégrité, est un personnage respecté dans le milieu militaire qui a fait toute sa carrière dans l’armée de l’Air malienne depuis sa création, en 1976.
Diplômé de la prestigieuse École de guerre de Paris, il fut tour à tour chef d’état-major de l’aviation, directeur du Génie militaire et chef d’état-major adjoint de la Garde nationale, entre autres fonctions, avant de faire valoir ses droits à la retraite en 2012. Deux ans plus tard, en mai 2014, il est propulsé à la tête du ministère de la Défense par l’ancien Président Ibrahim Boubacar Keita, suite au revers cinglant subi par l’armée malienne à Kidal, dans le nord du pays. Bah N’Daw ne restera à ce poste que durant 8 mois.
« Je ne connais pas un seul porteur d’uniforme qui moralement dépasse cet homme. C’est un officier responsable, qui fait honneur à l’ensemble des porteurs d’uniforme. Il n’accepte pas n’importe quoi. Ses qualités et sa valeur intrinsèque n’ont échappé à personne au sein de l’armée », témoigne l’Inspecteur général de police à la retraite Yahaya Sangaré, qui a officié durant de longues années pendant la période d’activité de Bah N’daw. Les deux hommes se connaissent mutuellement, sans pour autant s’être vraiment fréquentés.
Le colonel Assimi Goita, 37 ans, que ses proches appellent « Asso », second du Président Bah N’daw dans l’organigramme de la transition, est un homme de terrain, officier de l’armée de Terre, spécialité armes blindées et cavalerie. Après avoir rejoint rejoint les Forces spéciales en 2014, il est nommé en 2018 à la tête des Forces spéciales maliennes et mène des opérations au nord et au centre du Mali. Il est décrit dans une biographie élaborée par le CNSP comme un homme tenace, rigoureux, prêt à relever les défis et apte au commandement.
Ancien conseiller diplomatique des Présidents Moussa Traoré et Amadou Toumani Touré, le nouveau Premier ministre, pour sa part, a exercé diverses fonctions au sommet de l’État, notamment en tant que conseiller chef de cabinet du Secrétariat général de la présidence, avant de prendre les rênes de la diplomatie malienne pendant 7 ans, de 2004 à 2011.
Daba Diawara, Président du PIDS, le connaît bien, pour avoir collaboré pendant de longues années avec lui. « C’est un cadre qui fait preuve de rigueur dans le travail et qui officie de manière honnête avec ses différents collaborateurs. Il respecte ses chefs et sait se faire respecter en retour ».
Pour lui, étant reconnu à l’international et avec un carnet d’adresses assez fourni, le nouveau Premier ministre possède là un important atout pour renouer avec la confiance des partenaires extérieurs du Mali. En outre, son poste de délégué général à la paix et à la sécurité de l’UEOMA lui a donné une expérience de la gestion des périodes de crise.
« C’est un atout important, qui lui permettra d’établir assez rapidement un calendrier et d’organiser dans de bonnes conditions des élections crédibles et transparentes à l’issue des 18 mois de la transition », confie M. Diawara.
« Je pense que c’est un bon choix et qu’il a les qualités nécessaires pour diriger le gouvernement de transition. Sur le plan interne, d’abord, au Mali il n’est pas un inconnu. C’est quelqu’un qui a une grande expertise de l’administration et qui connaît les différents acteurs et systèmes, ayant collaboré avec différents régimes ».
Retrouvailles N’Daw – Ouane
« Les deux textes que sont la Charte de la transition et la Constitution du 25 février 1992 doivent permettre en principe aux trois têtes de la transition de fonctionner de manière harmonieuse, chacune étant dans ses compétences et exerçant des pouvoirs bien précis », pense Daba Diawara.
De surcroît, dit-il, le Président Bah N’daw et le Premier ministre Moctar Ouane ont eu à travailler ensemble pendant quelques années, lorsque le second était conseiller diplomatique du Président Moussa Traoré et le premier son aide de camp.
« Ils ont eu à effectuer ensemble plusieurs missions avec le Président de la République d’alors. Ils se connaissent assez bien et cela va permettre certainement qu’ils collaborent de manière ouverte et sans soucis majeurs », relève celui qui a porté les couleurs du PIDS à la présidentielle de 2018.
« Pour être efficace, je pense que la collaboration entre ces trois hommes ne peut reposer que sur une feuille de route très claire. Si chacun reste attaché à cette feuille de route, cela éliminera beaucoup de tentations et permettra de mutualiser les efforts dans un même sens. Le président étant réputé pour être quelqu’un qui ne se laisse pas faire, il va certainement donner la voie à suivre », souligne également l’analyste politique Salia Samaké.
Dr. Ely Bréma Dicko, analyste, affirme lui aussi que le triptyque est complémentaire et que les trois devraient pouvoir travailler ensemble assez facilement. « Nous avons trouvé à travers ce trio un compromis entre le vœu des militaires de conserver le pouvoir, l’exigence de la CEDEAO, qui voulait une transition civile, et le souhait de certains Maliens de voir un civil à la tête de l’Exécutif », constate-t-il
« Bah N’Daw, après avoir servi deux présidents différents, un militaire et un civil, connaît un peu les enjeux du pouvoir et son âge lui permettra de prendre une certaine hauteur. Le vice-président étant quant à lui dans l’opérationnel, cela peut lui donner le rôle de levier nécessaire pour faire en sorte que les questions de la défense et de la sécurité nationales soient prises à bras le corps », poursuit-il, avant de relever que le Premier ministre rassurera pour sa part, par sa présence, les pays membres du Conseil de sécurité des Nations unies, ayant passé plusieurs années à représenter le Mali auprès de cette institution mondiale.
Bah N’Daw, seul commandant à bord ?
Si à priori le courant devrait passer entre le Président et son Premier ministre, certains craignent une certaine passivité du Président N’Daw vis-à-vis du colonel Goita et de son groupe de jeunes officiers auteurs du putsch du 18 août, même si le président de la transition a été choisi par un collège mis en en place par le CNSP et donc ayant son total aval.
Pour l’inspecteur Général Yahaya Sangaré, c’est purement une crainte infondée. « Bah N’Daw n’est pas quelqu’un qui accepterait un poste qui contrarierait sa vision morale des choses. Ce n’est pas un homme à composer avec les jeunes militaires pour quoi que ce soit qui aille à l’encontre de l’intérêt national. S’il n’était pas en mesure de faire respecter sa vison et sa conception des choses, il aurait refuser de les suivre et de les accompagner. Il ne va jamais hypothéquer sa personnalité », croit fermement celui qui nous révèle que les militaires du CNSP, bien avant de se rendre au sommet des chefs d’États de la CEDEAO à Accra, le 15 septembre 2020, sont allés voir Bah N’Daw pour lui proposer de diriger la transition et que ce dernier leur avait ce jour-là donné son accord.
À en croire Yahaya Sangaré, le colonel-major à la retraite Bah N’Daw est celui qui peut dire non à ces jeunes officiers pour certaines de leurs aspirations et les amener à céder, parce qu’il est l’un des grands officiers du pays, qui s’est « imposé en termes de respect et de grandeur ».
« Il ne servira jamais de faire-valoir, c’est quelqu’un qui sait ce qu’il veut. Durant son parcours, partout où il a été confronté à des situations de faire-valoir, il s’est déchargé purement et simplement », appuie Salia Samaké. « Ce n’est pas son genre et ce n’est aucunement le cas aujourd’hui ».
Pour Daba Diawara, le colonel Goita, ayant fait partie du collège qui a choisi le président de la transition et donc d’une manière ou d’une autre le Premier ministre également, a dû étudier les personnalités des deux hommes pour savoir si cela pouvait marcher ou non. « Je suis très optimiste pour la suite », glisse-t-il.
Germain Kenouvi
Journal du Mali