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Trafic de drogue: «Les secrets des mafias ouest-africaines de la cocaïne»

Quelle est l’origine du phénomène des requérants d’asile d’Afrique de l’Ouest vendant de la cocaïne dans la rue? Quelles en sont les causes? Comment s’organise ce trafic? Levons le voile sur les secrets d’une organisation criminelle redoutablement efficace.

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Pour tout le monde en Suisse – y compris journalistes, politiques et policiers –, la vente de cocaïne dans la rue par des requérants d’asile d’Afrique de l’Ouest est un phénomène récent, lié aux mouvements migratoires du début du XXIe siècle. Alors que, en fait, il s’agit d’une situation dont les prémices remontent aux années 50.

Levons donc le voile sur les secrets des mafias ouest-africaines, une organisation criminelle à l’efficacité redoutable qui a su s’adapter et résister à toutes les formes de répressions.

Au milieu du siècle dernier, ce sont des trafiquants libanais, impliqués dans la contrebande d’héroïne vers les Etats-Unis, qui ont fait de l’Afrique de l’Ouest une plaque tournante du trafic de drogue. Servant à l’origine simplement de passeurs, les mafias africaines vont finir par prendre leur indépendance. Dans les années 60, des trafiquants nigérians et ghanéens entreprennent l’exportation de marijuana vers l’Europe. L’époque était au mouvement hippie et la demande ne cessait d’augmenter.

Ce trafic, alors mineur, ouvre la voie à un marché narcotique de plus grande échelle dans les années 80. Les mafias nigérianes prennent le contrôle d’une partie du transport de l’héroïne, se fournissant directement en Inde, au Pakistan et en Thaïlande. Elles y tissent des liens avec les organisations criminelles asiatiques du Triangle d’or et les triades chinoises, devenant ainsi des acteurs majeurs du trafic d’héroïne. En 1994, par exemple, 30% des saisies d’héroïne aux Etats-Unis concernaient des mules contrôlées par des trafiquants nigérians.

Mais il y a aussi des raisons géopolitiques et économiques à l’importante implication d’Africains de l’Ouest dans le trafic de drogue vers l’Europe. Après cinq siècles de colonisation, les pays de la région ont acquis leur indépendance entre 1960 et 1975. Au début des années 80, secoués par des conflits politiques et militaires, ils subissent une forte crise économique. Pour en sortir, ils sont pour la plupart[1] contraints d’emprunter au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale. Ces deux institutions mettent alors en place une procédure de libéralisation économique connue sous le nom d’ajustement structurel.

Ce plan de réajustement a notamment engendré de très fortes restrictions budgétaires, des coupes importantes dans les dépenses publiques et le licenciement d’employés des services publics. La population s’est dès lors retrouvée aux prises avec de très sévères difficultés financières. Pour survivre, tous les moyens, même illégaux, sont devenus bons.

C’est de cette époque que date l’expansion des réseaux nigérians dans le trafic d’héroïne et leur implication progressive dans l’importation de cocaïne. Des réseaux qui ont su saisir les nouvelles occasions criminelles offertes par la migration internationale inhérente à la mondialisation et les principes de la libre circulation et du libre-échange.

Mais comment sont-ils passés de l’héroïne à la cocaïne? Au début des années 90, les narcotrafiquants colombiens doivent revoir leur organisation. D’une part, les cartels mexicains ont établi un monopole du trafic de cocaïne vers les Etats-Unis, alors même que la demande est à la baisse. D’autre part, les Américains du Nord et les Européens renforcent les contrôles dans leurs ports et leurs aéroports. Le trafic devient donc de plus en plus risqué sur les routes traditionnelles qui passent par le golfe caribéen.

Les Colombiens décident donc de diversifier les routes et de prendre pour cible principale l’Europe, où la demande est en augmentation, y compris en Suisse. La fin du conflit entre le Kosovo et la Serbie ainsi que la guerre en Afghanistan ont provoqué une pénurie d’héroïne dès 1999, créant ainsi la demande pour une autre substance: la cocaïne.

En Amérique du Sud, les réseaux nigérians acquièrent une solide réputation de polyvalence en matière de trafic ainsi que d’habileté à évoluer, innover et se sophistiquer. Au début des années 2000, le transit de la cocaïne par l’Afrique de l’Ouest s’est donc imposé comme une solution idéale aux yeux des narcotrafiquants colombiens et nigérians.

Il faut dire que cette région du monde a plusieurs atouts pour qui veut trafiquer de la drogue d’Amérique du Sud vers l’Europe. Idéalement situé entre les zones de production (Colombie, Bolivie et Pérou) et les marchés finaux (Europe de l’Ouest), le continent ouest-africain permet une bonne répartition des risques. Les trafiquants colombiens se chargent de quitter l’Amérique latine et de traverser l’Atlantique sud pour acheminer puis stocker la cocaïne en Afrique de l’Ouest.

Leurs partenaires ouest-africains, eux, s’occupent de la suite du voyage vers les consommateurs européens en passant majoritairement par les Pays-Bas ou l’Espagne. De plus, pour les narcotrafiquants colombiens, la route entre le sous-continent américain et l’Afrique est plus courte qu’entre l’Amérique du Sud et l’Europe.

Par ailleurs, l’Afrique de l’Ouest n’était pas encore suspectée à l’époque d’être une plaque tournante montante du trafic de cocaïne, la zone atlantique sud était moins surveillée que la zone nord et, ensuite, le transfert jusqu’en Europe était moins risqué. Forte d’expériences et de circuits forgés par le trafic de cannabis, de diamants, d’huile, d’or, de tabac ou encore d’alcool, l’Afrique de l’Ouest a de solides atouts pour réaliser une contrebande diversifiée.

Tout cela ne serait pas aussi évident sans deux autres facteurs qui font de cette partie du continent africain un point de passage plus qu’avantageux: la paupérisation des populations africaines à la suite du plan de réajustement structurel du FMI des années 80 et la corruption des autorités africaines. L’entreposage et la diffusion de la cocaïne aux niveaux local et européen profitent en effet à ces autorités.

Ce qui fait que les pays d’Afrique de l’Ouest sont mal cotés en matière de gouvernance et rencontrent de multiples conflits liés aux inégalités sociales. Cela a pour résultat la porosité des frontières et facilite largement le transit de la marchandise sur le continent africain. Cette fragilité gouvernementale entrave non seulement le développement économique des pays mais aussi l’accès à la santé et à l’éducation, et permet l’infiltration de l’appareil étatique par les narcotrafiquants.

En résumé, l’instabilité politique et sociale ainsi que la faiblesse économique ont créé une carence généralisée. Celle-ci se traduit par un environnement permissif pour le narcotrafic et fait de la contrebande une solution avantageuse pour une population en détresse. En sus, l’influence des règles coloniales a toujours orienté l’économie africaine vers ses colonisateurs occidentaux et a engendré une sorte de «diaspora idéologique», largement présente dans les mentalités ouest-africaines, axée sur la revanche et visant à redistribuer les richesses de ceux qui les leur ont volées durant la colonisation.


Les protagonistes et l’organisation du trafic de cocaïne

Trois structures complémentaires inter­agissent dans l’organisation du trafic de cocaïne dirigé par les mafias d’Afrique de l’Ouest.

1) Les opérateurs étrangers

Présents dans les pays producteurs d’Amérique du Sud, les opérateurs africains font transporter la cocaïne par paquebot (principalement) ou par avion. Depuis la Colombie, la marchandise passe par le Brésil ou le Venezuela avant de rejoindre les côtes ouest-africaines.

2) Les réseaux criminels ouest-africains

Les réseaux criminels ouest-africains, principalement nigérians et ghanéens[2], fournissent le soutien logistique (locaux, entreposage, impunité), souvent sous le couvert de sociétés légales (entreprise d’import-export, projet de développement, pêcheries, conserveries, etc.). Puis les trafiquants nigérians font parvenir la cocaïne en Europe selon une organisation en quatre niveaux:

  • Les «barons» financent l’achat de cocaïne et les opérations de diffusion. Ils ont de bons contacts avec les pays producteurs en raison de leur expérience reconnue dans le trafic.
  • Les «attaquants» sont des experts logistiques indépendants offrant leurs services à plusieurs barons. Leur tâche principale consiste à recruter les mules et à les accompagner au point de départ vers l’Europe. Le contrat est conclu sous forme de serment religieux ou de pacte mystique.
  • Les «mules» ont généralement un besoin désespéré d’argent et travaillent pour plusieurs attaquants. Elles transportent la cocaïne en Europe et leur taux d’arrestation est très élevé. Les mules sont de plus en plus européennes, les Blancs étant moins soupçonnés que les Africains de l’Ouest. Il s’agit à 90% d’hommes célibataires âgés entre 20 et 45 ans.
  • En bout de chaîne, il y a les «revendeurs de rue». Ce sont essentiellement des requérants d’asile, parfois sous le coup d’une décision de «non-entrée en matière». Leur statut précaire les met à la merci de ceux qui les ravitaillent. Les revendeurs de rue sont fortement actifs dans les scènes ouvertes de la vente de cocaïne, la partie visible de l’iceberg. Les immigrants en situation de séjour illégal étant dans l’impossibilité de trouver un emploi, ils sont souvent contraints de s’adonner à une activité illégale. Parmi celles-ci, la vente de cocaïne est devenue habituelle, bien rodée et, surtout, elle est la plus lucrative. Pour réduire les risques, les revendeurs de rue ne transportent que de petites quantités de cocaïne (généralement trop faibles pour justifier un maintien en détention ou une peine ferme), sous la forme de boulettes de 0,2 à 0,5 gramme, et se réapprovisionnent après quelques transactions. Interrogés par L’Hebdo (édition du 16 août 2012), deux revendeurs de rue ont confié avoir appris le trafic en arrivant en Suisse, dans les centres de requérants d’asile qu’ils appellent dorénavant «l’école du deal».

3) Les fournisseurs indépendants implantés en Europe

Les fournisseurs, très majoritairement nigérians ou ghanéens (mais aussi de quelques autres pays d’Afrique de l’Ouest anglophones), implantés en Europe disposent généralement d’un permis de résidence et entreposent la marchandise dans des appartements. Leur rôle consiste à accueillir puis décharger les mules et à réapprovisionner les revendeurs de rue, souvent par le biais d’intermédiaires, afin de réduire leurs propres risques.

Il s’agit donc de petites organisations indépendantes, fonctionnant par strates plutôt que de manière pyramidale. Chaque strate étant indépendante et ne possédant que peu d’information sur le reste de l’organisation, les enquêteurs ont beaucoup de peine à suivre leur piste. Et chaque fois qu’un des acteurs du trafic est inquiété par la police, il peut facilement être remplacé. La culture traditionnelle joue un rôle crucial dans l’organisation du trafic ouest-africain: l’importance de la confiance, de la famille, de la loyauté, de la magie et des liens ethniques est l’essence même du fonctionnement de ces organisations, tout à la fois étroitement imbriquées et autonomes.

Les pays ouest-africains, maltraités par le colonialisme, ont tendance à tenir l’Ouest pour responsable de leur déclin économique et de leur précarité. Il ressort d’interviews de trafiquants ouest-africains qu’ils considèrent le trafic illégal auquel ils s’adonnent comme un moyen de réduire l’inégalité de la répartition des richesses entre l’Occident et l’Afrique, de «redistribuer les richesses de ceux qui les leur ont volées»[3].

Aux yeux des trafiquants, leurs activités criminelles ne sont pas graves. Elles leur permettent simplement de subvenir aux besoins de la famille et des proches. La drogue est considérée comme un produit de luxe consommé par les pays riches. De plus, les trafiquants relèvent que les transactions se font sur la base d’un accord mutuel entre l’acheteur et le vendeur. Ainsi, la façon dont les trafiquants perçoivent le marché noir (comme une réappropriation du marché mondial) peut être assimilée à un processus de neutralisation ainsi qu’aux conséquences d’une période coloniale brutalisante, jugée injuste.

[1] Notamment le Bénin, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Mali, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, le Niger, le Sénégal et le Togo.
[2] Appuyés par le recrutement de partenaires issus de Sierra Leone, Guinée, Guinée-Bissau, Côte d’Ivoire, Gambie, Mauritanie, du Sénégal, Togo, Liberia et Bénin.
[3] Traduit de l’anglais: «… in order to redistribute wealth back from those who have stolen it.»

Source : hebdo

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