Début 2022, plusieurs pays se sont dit en faveur de sanctions contre le Mali. La Cédéao, Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, a placé le pays sous embargo, une mesure qui sanctionnait la promesse non tenue des colonels d’organiser le 27 février des élections présidentielle et législatives. Le 11 janvier, Emmanuel Macron a déclaré que la France et l’Union européenne soutenaient ces “sanctions inédites”.
Le lendemain, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a accusé les mercenaires de la milice russe Wagner de “soutenir” la junte sous couvert de lutte antijihadiste. Le groupe Wagner est une société militaire privée russe à la réputation sulfureuse qui a recours au mercenariat et qui est active dans plusieurs zones de guerre dont celle du Dombass, en Ukraine, et au Mali.
Le 27 janvier, Jean-Yves Le Drian a dénoncé un comportement “irresponsable” de la junte, qui a demandé le retrait des forces danoises du Mali, et avertit qu’il va falloir en “tirer des conséquences”.
• Que signifie le renvoi de l’ambassadeur français?
Il s’agit du point d’orgue des tensions entre le Mali et la France. Lundi à la télévision d’État, la junte militaire a ordonné à l’ambassadeur de France de quitter le pays sous 72 heures. Bamako a justifié cette décision par les récentes déclarations “hostiles” de responsables français à son encontre.
Paris a dit “prendre note” de cette décision, rappelant sa solidarité à l’égard de ses partenaires européens et son engagement à poursuivre la lutte antiterroriste. La France a aussi exprimé “sa solidarité vis-à-vis de ses partenaires européens, en particulier du Danemark”, dont le contingent arrivé dans le cadre de l’opération internationale antijihadiste Takuba vient d’être expulsé par la junte au pouvoir à Bamako “sur la base de motifs infondés”.
Le communiqué rappelle aussi la “solidarité” de Paris à l’égard de la Cédéao, dont le représentant au Mali a lui aussi été expulsé, ainsi que “son engagement en faveur de la stabilisation et du développement du Sahel, aux côtés de ses partenaires de la Coalition pour le Sahel”.
• Quel avenir pour la France au Mali?
Face à cette situation extrêmement tendue, la France s’est donnée deux semaines pour envisager son avenir au Mali, après neuf ans de lutte antijihadiste à laquelle elle avait fini par réussir à associer des partenaires européens.
Les pays partenaires du groupement européen de forces spéciales Takuba, créé en 2020 à l’initiative de la France pour partager le fardeau, vont travailler “d’ici la mi-février” pour “prévoir une adaptation” de leur dispositif au Mali au regard de l'”isolement progressif” de ce pays, a annoncé mardi le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal.
“La situation ne peut pas rester en l’état. D’ici la mi-février, on va travailler avec nos partenaires pour voir quelle est l’évolution de notre présence sur place” et “pour prévoir une adaptation”, a-t-il déclaré sur Franceinfo au lendemain de l’annonce de l’expulsion de l’ambassadeur de France, en réaction aux récentes déclarations jugées “hostiles” de responsables français.
Pour l’heure, la France compte encore 4000 militaires au Sahel dont plus de la moitié au Mali, malgré un allègement du dispositif entamé à l’été 2021, compensé par l’arrivée de renforts européens. Interrogé pour savoir si les troupes françaises allaient se retirer du Mali, le porte-parole du gouvernement a fait remarquer que Paris a “progressivement réduit la voilure et on va continuer à le faire”.
De fait, les discussions entre Européens vont déjà bon train en coulisses depuis la récente décision de la junte d’exiger le retrait d’un contingent de forces spéciales danoises, venu grossir les rangs de la force Takuba, qui regroupe 800 militaires au Mali.
• Quelles seraient les conséquences d’un retrait de la France?
En pleine présidence française de l’Union européenne et à trois mois de l’élection présidentielle française à laquelle Emmanuel Macron va sans doute se représenter, un retrait forcé du Mali après neuf ans d’engagement au prix de 48 morts français (53 au Sahel) constituerait un revers cuisant. Mais l’attitude de la junte rend ce scénario de plus en plus difficile à éviter, d’après de nombreux observateurs.
“Un soldat français peut-il encore risquer sa vie pour la protection d’un pays failli qui expulse son ambassadeur?”, s’indignait mardi sur Twitter le colonel français en retraite Raphaël Bernard, auteur de l’ouvrage paru en novembre “Au coeur de Barkhane”, du nom de l’opération antijihadiste française au Sahel.
Une sortie du Mali ne se ferait toutefois pas sans difficultés. Le désengagement des militaires français, solidement implantés sur des bases à Gao, Ménaka et Gossi, prendrait de nombreux mois à organiser, selon l’état-major. En outre, la relocalisation de Takuba promet d’être un casse-tête: le Niger voisin a fait savoir qu’il n’accueillerait pas cette task force. Quant au Burkina Faso, il vient de connaître un coup d’Etat.
Le vide laissé par les troupes ne manquerait enfin pas de profiter aux mouvements jihadistes affiliés, selon les zones, à Al-Qaïda ou au groupe Etat islamique, qui ont conservé un fort pouvoir de nuisance malgré l’élimination de nombreux chefs. Alors que les violences se sont propagées au Burkina Faso et au Niger, ainsi que dans le nord de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Ghana, la France conserve en tout cas la ferme intention de maintenir sa présence dans la région sahélienne en y renforçant ses activités de coopération, selon des sources concordantes à l’AFP.