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SwissLeaks : Modibo Keïta, le nabab du riz au Mali

Comme le premier président du Mali et l’actuel premier ministre, il s’appelle Modibo Keïta. Lui ne s’est pas engagé en politique. Ce Modibo Keïta là est avant tout un homme d’affaires, l’un des plus puissants et des plus riches du Mali. Autrefois simple marchand de riz à Bamako, il est devenu un nabab de la production et de l’importation de céréales, à la tête entre autres des Moulins modernes du Mali (M3), société créée en 2007 à Ségou, et de Grand Distributeur céréalier du Mali (GDCM).

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« Je n’ai jamais fait de politique, ce n’est pas mon travail. Je ne suis qu’un simple vendeur de riz qui travaille du matin au soir, et qui créé des emplois pour son pays. Mais bon… si certains hommes politique me sollicitent, on se voit et on discute », dit-il depuis Bamako.

Il s’esclaffe pour éviter de répondre à la question sur le chiffre d’affaires de son groupe : « Trop sensible ». Son nom figure dans les documents SwissLeaks auxquels a eu accès Le Monde Afrique, provenant de HSBC Private Bank à Genève. « J’ai un compte bancaire à Paris, mais je n’ai jamais eu de comptes chez HSBC », dit-il. Avant de se reprendre : « Il n’y a pas d’argent sur le compte en Suisse. »

Le roi du riz au Mali

L’ascension fulgurante de cet autodidacte de 47 ans, aujourd’hui milliardaire en francs CFA, est en partie due à son entregent politique. Les présidents du Mali et leurs premiers cercles, il les observe, les apprivoise et les côtoie de longue date. Moussa Traoré, puis Amadou Toumani Touré, jusqu’à l’actuel chef de l’Etat Ibrahim Boubacar Keïta, tous ont eu à faire à cet homme d’affaires qui tire sa force de grains de riz, aliment de base au Mali. « Si tu tiens le cours du riz, tu tiens le Mali », s’amuse un ancien ministre qui a bien connu Modibo Keïta.

Lui et Gérard Achcar, l’autre géant de l’agroalimentaire au Mali, se regardent en chien de faience. L’ironie veut que ces deux concurrents se retouvent sans le savoir réunis dans les livres de HSBC Private Bank à Genève.

Ses débuts, Modibo Keïta les fait aux côtés d’un autre importateur de riz et de sucre, Bakoré Sylla. Entre Mopti et Bamako, au début des années 1990, ce redoutable négociant soninké initie Modibo Keïta aux arcanes du business et de la politique. Sylla tire parti de son quasi-monopole sur le riz et, pour le préserver, consacre un pan de sa richesse à la subvention de campagnes électorales.

Selon plusieurs sources, Sylla fut le grand argentier de la campagne d’Alpha Oumar Konaré, élu président en juin 1992. Dix ans plus tard, il fera l’erreur de miser sur la candidature du « super-ministre d’Etat », Soumaïla Cissé, pour succéder à Konaré.

De son côté, Modibo Keïta se serait rapproché de Lobbo Traoré pour apporter son soutien à son époux, Amadou Toumani Touré (ATT), qui remportera la présidentielle en juin 2002. « C’est son meilleur coup politico-affairiste, car Modibo Keïta va casser le monopole de son parrain Sylla ,trop lié aux ennemis d’ATT, obtenir les marchés publics et s’imposer dans le paysage économique malien », estime un observateur.

 

Modibo Keïta livre une autre version : « J’avais un magasin de riz plus important que Bakoré Sylla avec qui j’ai collaboré d’égal à égal. Je ne connais par Lobbo Traoré. Quant à ATT, il m’est arrivé de lui livrer des informations sur l’état des récoltes, en tant que simple vendeur de riz. »

Les investissements de Kadhafi

Pourtant, plusieurs sources expliquent que grâce à ses liens étroits avec ATT, Modibo Keïta va jouir sans retenue des exonérations de taxe sur l’importation de riz, faisant fi de la contrepartie de le revendre à bas-prix. Pareil sur le blé. « Il a des membres influents des douanes avec lui, le système est trop bien huilé. Avec sa fortune, il peut acheter tout le Mali », soupire un fonctionnaire à Bamako. D’autres le soupçonnent d’exporter discrètement une partie de son riz importé ou produit sur ses terres.

« Deux millions de tonnes de riz ont été produites durant la saison 2012-2013. Or un million de tonnes suffit à couvrir les besoins du pays. Lui continue en plus d’importer du riz de Thaïlande. Où passe tout ce riz ? Officiellement, le Mali n’en exporte pas un grain », poursuit le fonctionnaire. « J’importe le riz de Thaïlande, du Vietnam ou d’Inde car sinon, on meurt de faim », balaie Modibo Keïta.

L’un de ses concurrents, Tomota Aliou, également très proche d’ATT en profite également. Lui aussi apparaît dans les documents SwissLeaks comme titulaire d’un compte à HSBC Genève. En notable habile, Modibo Keïta se montre à la grande mosquée de Bamako et rend visite aux familles de marabouts qui comptent.

L’argent n’est pas un souci. D’autant que jusqu’en 2011, la Libye de Mouammar Kadhafi – qui a contribué à financer la campagne d’ATT – déverse des millions de pétrodollars dans ce Mali cher au Guide libyen, dont la mère serait native de Tombouctou. Dans la « ville aux 333 saints », le colonel Kadhafi s’est fait bâtir un palais où il aime célébrer la fête du Mouloud, la naissance du Prophète.

Dans le cadre du projet Malibya, lancé en 2004, Kadhafi le bienfaiteur se voit octroyer 100 000 hectares de terres arables dans la zone de l’Office du Niger. Modibo Keïta, lui, obtient en 2010 un bail sur 7 400 hectares de cette même cette zone irriguée. Et cela sans l’étude d’impact social et environnemental pourtant nécessaire.

« En théorie, les opérateurs économiques qui avaient les moyens d’aménager un terrain devaient s’adresser à l’office du Niger. En pratique, le gouvernement gérait directement les gros contrats, notamment avec Modibo Keita et Kadhafi », confie un syndicaliste de la zone.

Epopée entrepreneuriale tous azimuts

Depuis la chute de Kadhafi en 2011, les terres de Malibya sont à prendre, et Modibo Keïta admet en avoir récupéré certaines. Il dit disposer aujourd’hui de 20 000 hectares dans la zone Office du Niger, où il fait pousser du riz, du blé, du maïs, des oignons et de la pomme de terre. La zone est stratégique. « 60% de la production agricole provient de l’Office du Niger, dont 40% de la production de riz », selon un consultant. Mais cela ne lui suffit pas. Il veut s’étendre sur des champs jusque-là cultivés par des villageois de Sanamadougou, lesquels, avec le soutien de certaines ONG, tentent de s’y opposer en déposant plainte. « La terre, ça ne leur appartient pas, c’est la propriété de l’Etat », lâche froidement Modibo Keïta.

« Je respecte son travail et il fait de bonnes choses au Mali, où il est un grand opérateur économique », estime aujourd’hui Cheikh Banny Kanté, l’ancien représentant du fonds d’investissement Libyan African Portfolio au Mali et conseiller spécial du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).

Modibo Keïta continue donc son épopée entrepreneuriale tous azimuts. Résidant de la commune 2 de Bamako (centre-ville), il s’est rapproché de son député, Karim Keïta, également président de la Commission de la défense de l’Assemblée et accessoirement fils du président. En bon stratège, il parie sur la prochaine génération de leaders. De Bamako à Genève en passant par Paris, Modibo Keïta gère sa fortune, ses affaires et ses précieux liens politiques.

Source: Le Monde

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