Une décision du ministre de la Jeunesse et des Sports, chargé de l’Instruction civique et de la Construction citoyenne, rendue publique le 21 juin dernier, interdit les événements artistiques et culturels dans les enceintes sportives jusqu’à nouvel ordre. Elle est intervenue après une visite du ministre dans les stades pour s’enquérir de l’état d’avancement des travaux pour les préparatifs des compétitions internationales.
Le monde de la culture, particulièrement les artistes et les opérateurs culturels, s’inquiète aujourd’hui des conséquences de cette décision. Déjà, nombre d’entre eux ont renoncé à leurs activités. D’autres tentent de trouver des solutions alternatives.
Il faut dire que cette interdiction a surpris tout le monde, aussi bien les organisateurs de spectacles que les administrations des infrastructures sportives. La surprise vient du fait que la décision du ministre est entrée immédiatement en vigueur alors que beaucoup de spectacles étaient déjà programmés. Les organisateurs qui ont payé leurs réservations à l’avance vont-ils être remboursés ? À ce propos, aucune clarification n’a été donnée pour le moment. Certains opérateurs culturels pensent que la décision du ministre doit être suivie d’une mesure d’accompagnement.
19 MILLIARDS-Dans une correspondance adressée aux autorités de la Transition, le Collectif des entrepreneurs culturels au Mali chiffre les pertes et propose un protocole pour une meilleure utilisation des infrastructures en lieu et place de l’interdiction des événements. Le Collectif estime que du mois d’août 2020 à nos jours, le secteur artistique et culturel au Mali a subi près d’une dizaine de décisions, d’arrêtés et de décrets de suspensions ou annulations d’activités. En conséquence, des centaines d’activités culturelles et artistiques auraient été annulées ou suspendues à travers tout le pays. Cela aurait engendré un manque à gagner de près de 19 milliards de nos francs au détriment de plus de 20.000 personnes,constate le Collectif.
Abdoul Berthé, promoteur du festival de Kamalé N’goni, estime que l’interdiction des événements culturels dans les aires sportives, notamment les concerts, n’est pas la solution. «Il faut tout simplement revoir les clauses de «contrat» entre les organisateurs des événementiels et les stades», propose-t-il, ajoutant que le ministère en charge de la Culture aurait dû être associé ou tout simplement consulté avant cette décision afin qu’il propose des solutions alternatives. Après les restrictions à cause de l’état d’urgence et de la Covid-19, les organisateurs d’événements subissent un nouveau coup dur, soutient notre interlocuteur.
NORMES INTERNATIONALES- Ibrahim Coulibaly dit IC, directeur des festivals de Sélingué et du Mamelon de Sikasso, dit comprendre la décision du ministre dans le sens où il est nécessaire de mettre nos stades aux normes internationales. Cependant, il fait remarquer que cette décision pourrait entraîner d’énormes pertes pour les organisateurs des concerts.
«Des événements programmés seront annulés. Ce qui est un coup dur pour les organisateurs événementiels ainsi que les artistes qui avaient déjà mis en place un mécanisme de financement de leurs activités. Il faut des solutions alternatives pendant cette période pour alléger les peines des opérateurs culturels et autres intervenants dans le secteur», préconise Ibrahim Coulibaly qui rappelle que les stades sont surtout sollicités par les rappeurs. «Ces jeunes rappeurs ont une force de mobilisation extraordinaire pour leurs concerts», rappelle-t-il.
La décision d’interdiction engendre aussi un manque à gagner pour les directions des stades. Comme le confirme un responsable d’une structure sportive qui a souhaité garder l’anonymat. Il explique que lebudget alloué aux structures sportives est parfois insuffisant pour assurer leur entretien et le traitement du personnel. Notre interlocuteur estime que le département en charge de la Jeunesse et des Sports devrait établir un protocole de gestion des concerts et le mettre à la disposition des stades pour les événements culturels.
«On organise les concerts dans les salles de basket et les stades partout dans le monde. Nous avons l’exemple de Wembley Stadium de Londres en Angleterre ou le Stade de France à Paris qui accueillent les plus grands spectacles de musique et de démonstration. Plusieurs grandes vedettes et des centaines de milliers de spectateurs s’y retrouvent régulièrement pour des show qui durent toute la nuit. Cela ne rend pas ces instances sportives inutilisables», rappelle le responsable de stade.
Le président du groupe Walaha et du Réseau des opérateurs culturels du Mali appelé «Kya», Fousseyni Diakité, reconnaît que la Fédération internationale de Football (FIFA) avait, dans son rapport, exigé de nos stades le respect des normes internationales. Selon lui, la décision de suspendre les concerts dans les stades devrait être précédée d’une rencontre avec les opérateurs culturels en vue de préparer des solutions alternatives. «La question est de savoir si d’autres activités comme les prêches peuvent toujours se tenir dans les stades», s’interroge Fousseyni Diakité.
CAHIER DE CHARGES- Pour le secrétaire général du ministère de la Jeunesse et des Sports, chargé de l’Instruction civique et de la Construction citoyenne, Amadou Diarra Yalcouyé, cette décision d’interdiction est consécutive à un constat : la dégradation généralisée de nos installations sportives. À cause de cette situation, rappelle-t-il, le stade du 26 Mars et le stade Omnisports Modibo Keita sont tous deux sous le coup de la suspension de la Confédération africaine de football (CAF). En conséquence, l’équipe nationale est obligée d’aller jouer les compétions internationales en dehors du pays.
«Cette décision du ministre concerne tout attroupement pouvant dégrader les installations sportives. Comme les concerts sont les plus fréquents contrairement aux autres événements comme le Maouloud et les meetings politiques, c’est pourquoi la décision parle de concerts. Il y a beaucoup de concerts programmés au niveau des stades en cette période des fêtes, on a tout arrêté pour sauvegarder l’intérêt général», explique le secrétaire général.
Amadou Diarra Yalcouyé fait remarquer que le problème des concerts et autres manifestations populaires dans nos stades est le non respect du cahier de charges qui, dans son contenu, demande aux prestataires de préserver le caractère sportif. «Si cela n’est pas respecté, les autorités en charge peuvent prendre une telle décision pour sauvegarder le caractère sportif des stades», insiste-t-il, ajoutant que les frais de location des stades ne permettent pas de couvrir les dégâts engendrés lors des manifestations.
Pour le secrétaire général, l’urgence est donc de doter très rapidement notre pays d’infrastructures sportives qui répondent aux normes internationales. À ce propos, il dira que notre pays a reçu plusieurs missions de la FIFA et de la CAF pour évaluer l’état du stade du 26 Mars.Suite à leurs rapports, notre équipe nationale ne pourra pas disputer les matchs qualificatifs des compétitions internationales dans cette enceinte. Ce qui est une grosse perte pour notre pays. «Nous sommes en train de négocier avec le Maroc pour jouer des matchs d’élimination de la Coupe du monde», explique-t-il.
En effet, le gouvernement est en train de mettre les bouchées doubles pour retaper le stade du 26 Mars afin que notre pays puisse recevoir les compétitions internationales. C’est dans ce cadre que le ministre en charge de la Jeunesse et des Sports a visité ce vendredi, sous une pluie battante, le stade du 26 Mars pour s’enquérir de l’état d’avancement des travaux de réparation.
Amadou SOW
Source : L’ESSOR