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Spring School Dakar 2018 sur « Migration et Médias » : Quand les participants se frottent aux réalités du terrain

Les journalistes africains et européens qui ont participé du 11 au 17 mars dernier au Spring School Dakar 2018, une initiative conjointe d’African Media Initiative (AMI), d’Africa Positive, de l’institut international de journalisme Erich Brost, de l’Université technique de Dortmund et de la Fondation Robert Bosch se sont frottés aux réalités du terrain. Ils ont rendu visite à certaines associations et entreprises en lien avec le thème central de cette rencontre dont l’un des objectifs était de permettre aux participants d’affiner les compétences analytiques afin de parvenir un traitement équilibré de la question migratoire.

Des échanges avec les négro-mauritaniens réfugiés au Sénégal

Dans l’après-midi du mercredi 14 mars 2018, les participants au Spring School Dakar 2018 se sont rendus à l’école élémentaire Elhadji Talla Diop de la ville de Pikine pour rencontrer un groupe de négro-mauritaniens réfugiés au Sénégal depuis 1989.

A l’accueil, il y a Aldiouma Cissokho, coordinateur des réfugiés mauritaniens au Sénégal. Une salle de classe est préparée à cet effet. Aldiouma Cissokho prend la parole pour édifier sur la situation. « Nous sommes les damnés de la terre. Personne ne veut de nous. Je vous remercie de votre visite. Nous ne sommes pas des réfugiés normaux. Nous sommes des déportés », lance-t-il. Le coordinateur des réfugiés mauritaniens au Sénégal remercie le peuple sénégalais pour son hospitalité avant de fustiger les autorités de ce pays. « Nous remercions et continuons de remercier le peuple sénégalais. Ce peuple a fait ce qu’il peut faire mais nous avons des problèmes avec les autorités sénégalaises. Nous sommes des réfugiés apatrides. Tous nos documents sont périmés depuis décembre 2016. Les documents délivrés par le ministre de l’intérieur ne sont pas reconnus par la police, les banques. Ce n’est pas normal. Le ministre de l’intérieur a envoyé une circulaire à la police pour dénoncer cette situation qui est contraire à toutes les conventions », dénonce Aldiouma Cissokho.

Selon lui, le plus grand désir des réfugiés est de retourner en Mauritanie. Il est sceptique et ne croit pas aux autorités mauritaniennes qui maltraitent les réfugiés retournés au bercail. « Ceux qui sont retournés en 2008 sont des réfugiés dans leur propre pays. Sur les 15 000 retournés, ce sont 2% qui ont eu des papiers d’identification contrairement aux engagements », avance-t-il avant d’ajouter : « Si les conditions sont réunies, nous ne ferions pas une minute ici. Nous préférons mourir avec notre dignité que de prostituer notre dignité ». Devant une assistance qui le bombarde de questions, M. Aldiouma Cissokho fait part des doléances sans oublier de prendre les cas de certains d’entre eux vivant dans une situation extrêmement difficile. « Nous voulons la justice, rien que la justice. Nous ne vivons pas mais nous survivons. Nous voulons un programme d’insertion des réfugiés aux USA et au Canada. Ce programme est la seule solution durable pour nous. Nous ne voulons plus vivre dans cet enfer », formule-t-il.  Prenant la parole, Mme Aissata Sow se veut plus pessimiste. « Nous avons perdu tout espoir. Nous préférons être comme toutes les autres femmes du monde. Nous demandons à sortir de la situation. Nos maris, nos frères et nos enfants sont fatigués », affirme-t-elle.

Un collectif de femmes pour lutter contre l’immigration clandestine

Au centre de Formation Professionnelle des femmes et des jeunes de l’arrondissement de Thiaroye, le groupe de journalistes africains et européens a eu des échanges fructueux avec Mme Yayi M’Bayan Diouf, Présidente du Collectif des Femmes pour la lutte contre l’immigration clandestine au Sénégal et Mambaye Diop, ancien émigré.

A Thiaroye, l’activité principale est la pêche. Mme Yayi M’Bayan Diouf fait la genèse de son engagement dans la lutte contre l’immigration clandestine. Tout est parti, dit-elle, de la disparition de son fils unique dans l’océan sur le chemin de l’Europe. « J’avais un seul fils qui a disparu dans cette tragédie migratoire. C’est difficile à supporter. Dans notre tradition, une famille qui n’a pas d’homme est appelée à disparaître. La tragédie a été un déclic pour moi, elle a montré à la communauté que la femme peut jouer un rôle dans le changement de comportements », lance-t-elle d’une voix lente et tremblante. Depuis lors, elle mobilise, sensibilise et cherche des partenaires pour aider les jeunes à rester sur place mais aussi à secourir ceux ou celles qui ont perdu leurs proches dans la mer. Dans ce centre de formation, des orphelines de la migration reçoivent des formations en couture. Les femmes sont initiées à la transformation de produits locaux comme les céréales. Elles pratiquent aussi le maraîchage avec des techniques modernes de culture hors sol. La présidente du Collectif des Femmes pour la lutte contre l’immigration clandestine au Sénégal appelle les jeunes à rester sur place. « On peut vivre dignement au sein de notre communauté. Ces moyens, si petits soient-ils, existent sur place », souligne Mme Yayi M’Bayan Diouf qui travaille à travers le centre avec la coopération italienne pour aider les jeunes à avoir accès à l’information et la migration légale.

Mambaye Diop a abandonné ses études de droit en 1998 pour se rendre en Italie. « Je n’ai pas choisi d’aller. C’est mon destin qui m’a amené en Italie mais je ne croyais pas que c’était la clé de ma réussite », affirme Mambaye Diop. Une fois sur le sol italien, il reprend les études et étudie la médiation culturelle. Il a travaillé avec les autorités italiennes sur la question migratoire et a fait office d’interprète pendant quatre ans. Par la suite, il travaille sur un programme culturel avec une télévision. Le jeune sénégalais pose ses valises dans un centre où les filles africaines victimes de traite venaient se réfugier. Frappé par le sort de ses frères et sœurs, il réalise avec ses propres moyens un documentaire entre l’Espagne et la France pour chercher des sénégalais qui acceptent de parler à visage découvert sur la migration. Aujourd’hui, Mambaye Diop est revenu au pays pour devenir consultant sur la question migratoire. « J’ai eu les clés de la lecture de la question migratoire en Europe », lance-t-il en mettant en avant les potentialités de l’Afrique, un continent très riches.

Les charmes du village artisanal de Soumbedioune et l’ambiance au port de pêche

Jeudi 15 mars 2018. Situé sur la corniche, le village artisanal de Soumbedioune est un lieu où l’on observe avec admiration le talent et le savoir-faire des artisans du pays de la Terranga. Juste à côté, se trouve le port de pêche où règne une atmosphère de fête avec des jeunes garçons qui s’adonnent à la lutte traditionnelle, l’un des sports les plus populaires du Sénégal. Des pirogues de pêche décorées sont alignées sur le quai alors que d’autres viennent de la mer avec des poissons frais. Mao est un fabricant de pirogue. Selon lui, la conception d’un petit bateau peut prendre deux jours.

Dans le passé, ce port servait de lieu de départ pour les candidats qui voulaient se rendre en Espagne. Ces jeunes gens étaient aidés par les pêcheurs qui utilisaient leur appareil GPS pour rejoindre sans grande difficulté les côtes espagnoles. Actuellement, ces côtes sont surveillées de façon permanente par les garde-côtes sénégalais.

L’engagement et la détermination des fondateurs de l’entreprise Esteval

L’initiative de l’entreprise Stéphane et  Valery (Esteval) permet non seulement de transformer les fruits locaux mais aussi de créer des emplois afin de retenir les jeunes sur place. 

Le vendredi 16 mars 2018, c’était la visite à l’entreprise Esteval, spécialisée dans la transformation de fruits dont le siège est à Dakar Liberté. Sur place, la co-fondatrice de cette entreprise, Mme Valery N’Diaye, a largement édifié ses visiteurs sur les motivations ayant précédé à la création d’Esteval ainsi que sa présence sur le marché sénégalais. Médecin spécialiste en nutrition, Mme Valery N’Diaye a été révoltée par le fait que les fruits locaux très riches en vitamines pourrissent sur place. Ainsi, elle abandonne en 2008 la blouse blanche pour s’investir dans la valorisation des produits locaux (bissap, fruit de baobab, citron, mangue, tamarin, gingembre etc.).

Partis de rien, Valery et son associé Stéphane, un expatrié, sont en  train de conquérir leur part du marché sénégalais. « Au démarrage, on avait nos petites économies. Mon papa m’a acheté un congélateur. Une caisse de micro finance nous a prêté un petit montant. 5 ans après, on a eu un prêt d’une banque pour acheter une voiture de livraison ».

« On fait des jus prêts à boire, des sirops, des confitures et des fruits séchés», souligne-t-elle. A en croire Valéry N’Diaye, la qualité des produits est garantie par les contrôles internes et de laboratoire. Selon elle, l’objectif est d’avoir la certification ISO. Déjà, Esteval a eu en 2014 l’Oscar national de la qualité et Accessit Prix de maîtrise de la qualité.

L’entreprise qui emploie 15 employés permanents et deux agents commerciaux pour la prospection du marché travaille avec de nombreuses coopératives villageoises. Les produits d’Esteval sont aujourd’hui dans les supermarchés. Et depuis 2017, l’entreprise a commencé à exporter.

Rassemblés par Chiaka Doumbia

 

Source: lechallenger

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