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SPÉCIAL « 22 SEPTEMBRE » : HISTOIRE DU MALI « naissance d’un pays sur les cendres de la Fédération »

Modibo Keita, président du Mali, le 19 novembre 1968.

Le 22 septembre 1960, un congrès extraordinaire de l’Union soudanaise RDA proclamait à Bamako la transformation du Soudan français en République du Mali, un pays « libre de tous engagements et de liens politiques vis-à-vis de la France ». L’enthousiasme des militants rassemblés au collège technique de Bamako ne peut faire oublier que cette naissance s’est faite dans la douleur et dans les accusations. Accusations contre les responsables du Sénégal voisin et contre l’ancienne puissance coloniale, la France. Car la République du Mali naît des cendres de la Fédération du même nom, consumée par le conflit entre leaders soudanais et sénégalais.

Il est 20h30 ce 21 août 1960. La voix de Yacouba Maïga vient porter, sur les ondes de Radio Soudan, un message du comité directeur de l’Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain (US-RDA, le parti dominant sur le territoire qui deviendra le Mali, Ndlr). Le parti s’élève avec indignation contre « l’attitude de certains responsables du Sénégal et de leurs inspirateurs étrangers » et exige « la libération immédiate des responsables retenus au Sénégal ». Depuis la nuit du 19 au 20 août, les responsables soudanais présents à Dakar pour le fonctionnement des institutions de la Fédération du Mali sont en effet en détention.

L’appel a-t-il été devancé ou est-il entendu ? Le principal dirigeant soudanais, Modibo Keïta, sa femme, mais aussi une longue liste de dirigeants et leur entourage prennent place ce 21 août à bord d’un autorail qui part de Dakar et arrive au cœur de la nuit à Bamako. En dépit de l’heure avancée (il est 1h40), la fièvre politique qui s’est emparée de la Fédération du Mali a maintenu éveillée une foule impressionnante. Un correspondant de presse parle de 50 000 personnes rassemblées à la gare de Bamako. Une chose est sûre : les Bamakois se sont mobilisés pour venir accueillir leur leader et la délégation renvoyée de Dakar.

Ce retour consacre la fin d’un grand projet, celui d’une fédération rassemblant le Soudan français et le Sénégal, un ensemble qui espérait s’ouvrir à d’autres pays. Deux sujets ont alimenté les tensions : la répartition des postes politiques entre Sénégalais et Soudanais, ainsi que la question de la présidence de la Fédération. Des désaccords se sont déjà manifestés en avril. Des réunions ont été convoquées pour tenter de les aplanir. Deux échéances ont été fixées : le 20 août 1960, une conférence politique malienne s’efforcera de trancher le débat sur la répartition des postes entre les deux voisins et le 27, un congrès de 200 membres procédera à l’élection du président de la Fédération.

Coup d’État soudanais ou sénégalais ?

La méfiance s’est installée entre pays frères fin juillet lors de la désignation du chef d’état-major de la Fédération du Mali. Le colonel Soumaré est alors le candidat des Soudanais. Mais les Sénégalais ont un autre nom en tête, celui du colonel Fall. Modibo Keïta passe outre et nomme Soumaré sans contreseing de son vice-président, Mamadou Dia. Dans les premières semaines d’août, des rumeurs parlent déjà d’un possible éclatement de la Fédération du Mali.

Tout s’accélère quand, à l’insu de Mamadou Dia, Modibo Keïta demande au colonel Soumaré de prendre des mesures de sécurité en vue de l’élection du 27 août. Le 18 août, celui-ci envoie aux unités de l’armée stationnées à Podor et à Bignona des télégrammes leur demandant d’envoyer des troupes à Dakar pour le maintien de l’ordre lors de l’élection présidentielle. Soumaré veut également associer la gendarmerie au dispositif, alors que le contrôle de celle-ci ne relève pas de ses attributions. Les Sénégalais s’inquiètent de ces « réquisitions» et s’organisent pour faire face à ce qui leur semble être un coup de force en préparation : ils réquisitionnent à leur tour des pelotons de gendarmerie à Dakar, mettent des troupes de la garde républicaine en état d’alerte, mobilisent des militants. Selon Sékéné Mody Cissoko, auteur d’un livre sur la Fédération du Mali « ainsi, des deux côtés, les dispositions étaient prises pour la lutte, les unes par réaction aux autres, sans qu’il y ait eu consultation, dialogue entre la délégation soudanaise à Dakar et leurs hôtes sénégalais. Le malentendu était total. Les Soudanais à leur tour crurent que les Sénégalais préparaient un coup de force pour se retirer de la Fédération. »

Pour les Soudanais, ce sont les Sénégalais qui sont responsables de la rupture. Modibo Keïta affirme que le vendredi 19 août, vers 19h, on lui apprend l’existence d’un projet de coup d’État du gouvernement sénégalais contre le gouvernement fédéral du Mali. Il convoque alors une réunion restreinte du conseil des ministres au cours de laquelle deux décrets sont adoptés : l’un retire à Mamadou Dia ses attributions en matière de défense, l’autre proclame l’état d’urgence. « L’existence du Mali est en péril, déclare Modibo Keïta lors de l’édition du journal parlé en fin de soirée. Certains dirigeants du Mali, sous le prétexte d’élections présidentielles, veulent mettre en cause l’intégrité du territoire national et créer un état de tension qui risque d’être à l’origine d’incidents extrêmement graves. »

Pour les Sénégalais, c’est l’adoption de ces deux décrets qui représente un coup d’État. Dès le discours de Modibo, des personnalités affluent au domicile de Dia. Valdiodio Ndiaye se rend au camp de la gendarmerie, obtient le ralliement des gendarmes et demande l’arrestation du colonel Soumaré. Les Sénégalais obtiennent également le retour des unités de l’armée malienne dans leurs casernes. Les forces de police de Dakar prennent position autour des bâtiments publics et consignent à leur domicile Modibo Keïta et d’autres responsables maliens. Il est passé une heure du matin quand Léopold Sédar Senghor s’exprime sur les ondes de Radio Sénégal : « Poussé par une ambition folle, déclare-t-il, M. Modibo Keïta vient de tenter un coup de force contre le peuple sénégalais. » Dans la nuit, l’indépendance du Sénégal est proclamée.

Les accusations sur le rôle de la France

Quel rôle la France a-t-elle joué dans cet éclatement de la Fédération du Mali ? Sur la route du retour de Dakar, Modibo Keïta lance depuis Kayes, première gare en territoire soudanais, des accusations qui visent « quelques dirigeants Sénégalais plus français que les Français et qui voulaient franciser le Mali ». Mais il met aussi en cause Paris : « Pour avoir dit que nous avons trop tardé à prendre position sur le problème algérien, que nous ne pouvons pas rester muets devant la lutte héroïque que mène un peuple colonisé pour son indépendance, que nous ne pouvions pas rester indifférents devant le problème algérien et qu’après avoir tout tenté avec la collaboration des autres États africains nous en arriverons, s’il le fallait, à la reconnaissance du GPRA, des hommes se sont émus à Paris et ont tiré les ficelles. »

À l’heure de la guerre froide, Radio Moscou sert de caisse de résonance à ces accusations. Selon elle, les « milieux impérialistes français » ont mis en place un nouveau « complot contre la liberté et l’indépendance des peuples africains ». Les « colonialistes français », dit ce média, ont provoqué la sécession du Sénégal de la Fédération du Mali comme les Belges ont piloté la sécession katangaise au Congo. « Sur ordre de leurs maîtres français, accuse Radio Moscou, les politiciens sénégalais copient les méthodes du fantoche belge Tshombe : ils ont pris le pouvoir et proclament la sécession du Sénégal. »

Premier élément de polémique : la France, en refusant de faire intervenir les forces dont elle disposait à Dakar, aurait (disent les Soudanais) soutenu de fait le camp sénégalais. Modibo Keïta n’a pas été convaincu par les arguments du Haut représentant de la France auprès de la Fédération du Mali, Claude Hettier de Boislambert, qui lui a indiqué à deux reprises dans la nuit du 19 au 20 août pourquoi les forces de la communauté ne s’impliqueraient pas dans ce conflit (sa version est consignée dans une note qu’il rédige et qui est partagée au sein du réseau diplomatique français). Le sujet, selon le diplomate, est abordé une première fois au building administratif où il a été convoqué à 21h30 après le conseil des ministres restreint. Hettier de Boislambert indique alors que les forces françaises sont là pour faire face aux agressions extérieures et aux troubles intérieurs graves, qu’elles resteront donc sur leurs bases. Et il précise : « La situation qui évoluait autour de nous à ce moment étant considérée par moi comme une crise politique interne à laquelle je ne pouvais ni ne voulais me mêler sous aucun prétexte. »Plus tard, peu après 3h du matin, les deux hommes reparlent de cette intervention alors que le diplomate français est venu rendre compte au responsable malien des informations qu’il a obtenues sur la situation du colonel Soumaré. « Mais, aux termes des accords, les forces françaises doivent intervenir quand l’ordre est troublé »dit Keïta. « Je répondis au président que, venant de circuler dans tous les sens à Dakar et dans les environs pendant près d’une heure pour lui être agréable, je n’avais vu nulle trace de moindre trouble et que, dans ces conditions, je ne voyais aucune raison de varier ma position. »

La reconnaissance de l’indépendance du Sénégal par la France relance la colère des autorités maliennes. Le 5 septembre, Léopold Sédar Senghor est élu président de la République sénégalaise. Il reçoit dans les jours qui suivent un télégramme de félicitations du général de Gaulle pour qui cette élection paraît être « le meilleur gage des amicales et fécondes relations du Sénégal et de la France au sein de notre Communauté ». Le 11 septembre, le cabinet du Premier ministre Michel Debré publie un communiqué dans lequel il prend acte de cette indépendance.

Le 22 septembre, un congrès extraordinaire de l’Union soudanaise tire toutes les conséquences de ces évolutions. Il décide de donner au Soudan français le nom de « République du Mali ». Une République libre de tous engagements et de liens politiques vis-à-vis de la France. « C’est la conséquence logique de la caducité des accords franco-maliens que la France a délibérément violés en reconnaissant la République du Sénégal comme État indépendant », indique Modibo Keïta dans le discours qu’il prononce. « La République du Mali est née… Le Mali continue… Le mot “Mali” continuera à résonner comme un gong sur la conscience de tous ceux qui ont œuvré à l’éclatement de la Fédération du Mali ou qui s’en sont réjouis. Nous restons mobilisés pour l’idée de la Fédération, qui, malgré tout, demeure une semence virile de l’unité africaine. Nous avons perdu une partie, mais nous gagnerons la manche, Inch’ Allah. Les puissances d’argent, les forces rétrogrades et impérialistes n’y pourront rien. »

Mali: extrait du discours de Modibo Keïta du 22 septembre 1960

TuLa colère malienne est exprimée avec force une semaine après la proclamation de l’indépendance du pays. À la tribune des Nations unies, lors de la cérémonie d’admission du Sénégal et du Mali. Jean Lacouture, du journal Le Monde, se souvient du Malien Amadou Aw escaladant la tribune, « maigre, le visage aigu, coupé au couteau, le menton dur, posant sur la salle un regard flambant ». L’orateur rejette tout d’abord le parrainage français pour l’admission de son pays à l’ONU, « un acte contre-nature », dit-il, qui a donné lieu à des« manœuvres mesquines » : « Un parrainage, déclare Amadou Aw, suppose un minimum de confiance et d’amitié qui n’existe pas, en ce moment, entre la France et notre pays ». Il prononce ensuite un discours virulent contre la France, le rôle qu’il lui attribue dans l’éclatement de la Fédération et la politique algérienne de Paris. « En Fédération du Mali, lance-t-il ainsi, les événements se sont précipités lorsque les impérialistes se sont aperçus que l’aile nationaliste du Mali n’acceptait pas le contenu néo-colonialiste qu’on voulait donner aux accords franco-maliens. Il y avait au Mali des hommes qui ont voulu la réalité de leur indépendance, et dès que l’on s’est rendu à cette évidence, c’en était fait de la fédération. » Dans les couloirs des Nations unies, on commente largement cette sortie. Le discours réjouit notamment la délégation guinéenne, fameuse pour ses critiques contre la France depuis son indépendance en 1958. « Eh bien ! Maintenant, nous autres Guinéens nous allons faire figure de modérés » lâche un diplomate guinéen. Un journaliste interpelle Ismaël Touré, le demi-frère du président guinéen Ahmed Sékou Touré : « Avouez que c’est vous qui avez écrit le discours malien ! » Il reçoit la réponse d’un dirigeant goguenard : « Oh non, moi je l’aurais fait beaucoup moins dur !

 

Source: EchosMédias

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