L’âge et la maladie sont des moments durs pour l’homme. Parce qu’ils influent sur tout : vivacité, dynamisme, mémoire. La plupart de nos héros, sans être dans une situation pitoyable, sont frappés par la vieillesse ou la maladie. Le weekend dernier, nous avons failli ne pas reconnaitre l’ancien joueur de l’as Réal de Bamako et des Aigles, Soumaïla Diakité dit Pelé. L’ami inséparable et complice de cet autre ancien du football malien, Yacouba Traoré dit Yacou Pelé, a vieilli. Au début des années 1980, flanqué du brassard de capitaine, il ne fallait pas le voir bondir pour contester certaines décisions arbitrales, qu’il qualifiait de partiales. Aujourd’hui, l’âge lui a certainement rappelé que chaque chose a son temps. Le tempérament impulsif s’est transformé en sagesse. Nous l’avons rencontré à la faveur de la rubrique ” Que sont-ils devenus? “. Il est du même avis de ceux-là qui soutiennent que le football malien ne leur a pas apporté les retombées escomptées. Autrement dit, leur engagement, leur sacrifice pour le club et le football malien n’ont pas assuré leur indépendance dans la société. La seule satisfaction morale qui les tient en vie est sans nul doute cet amour du club et de la nation. Comment et pourquoi ont-ils continué dans une aventure sans fruits ? Pelé l’argumente par le soutien des dirigeants, des supporters et ce désir de jouer au ballon. Ce qui les a mis au moins à l’abri de la délinquance juvénile.
Agé aujourd’hui de 66 ans, marié et père de cinq enfants, Pelé a pris sa retraite footballistique en 1982, après treize ans de carrière. L’âge et la fatigue commençaient à le rattraper. Il a aussi préféré laisser la place aux jeunes, qui à son avis pouvaient assurer la relève. Cette retraite, anticipée selon certains supporters, (parce que le joueur avait encore à leurs yeux de la vivacité pour tenir l’axe des Scorpions) n’avait pas pour but de jeter l’enfant avec l’eau du bain ou tourner le dos au club. Raison pour laquelle il a réservé un avis favorable à la demande des dirigeants quand ceux-ci lui ont suggéré une assistance de l’encadrement technique. C’est ainsi que Pelé a occupé le banc de touche comme entraîneur adjoint des Scorpions.
Mais faudrait-il retenir qu’à la veille de la finale contre le Sigui de Kayes, il s’est réfugié dans son village, Dougoulakoro. Parce qu’il a rêvé que l’équipe Kayésienne a réalisé un exploit. Pressentiment ou instinct d’ancien joueur ? De son village, il apprendra que le Réal a chuté. Après cinq ans passés dans l’encadrement technique, il se retire. Est-ce normal d’abandonner un club dont l’histoire fait partie de sa vie? Pelé rejette du revers de la main cette expression. Il a juste pris ses distances pour la simple raison que l’atmosphère ne répondait plus à sa vision des choses. Dès l’instant que les générations diffèrent, forcément les mentalités vont différer. Bref les anciens joueurs d’un club ont tendance à déranger, s’ils ne sont pas des bailleurs.
Soumaïla Diakité n’a connu officiellement qu’un seul club, l’As Réal de Bamako. Comme tous les enfants de Bamako, il a commencé dans le quartier avec l’équipe d’Africa Sport de Ouolofobougou. Par amour du Djoliba, il décide spontanément de jouer dans le club, niveau cadet. Après quelques semaines d’entrainement, Idrissa Touré dit Nany, avec qui il faisait le même quartier, ne lui donna pas le temps de continuer. Il est allé directement à l’école pour récupérer avec le directeur l’acte de naissance du jeunot pour les besoins de la licence. Soumaïla ne pouvait rien, même s’il voulait jouer au Djoliba, parce que le système de répression traditionnelle était plus fort que lui. Il se plia aux ordres de Nany. C’est à dire s’entrainer désormais avec les juniors du Réal. Pour l’encourager, Nany lui remit deux paires de godasses avec crampons.
Milieu offensif, il est surnommé “Pelé” lors d’une séance d’entrainement. Au terme d’une accélération, il effectua des dribbles éliminatoires, pour battre le gardien de buts d’un simple jeu de reins. Devenu un junior aguerri, Pelé profita des matches de test avec l’équipe senior pour forcer l’admiration de ses ainés, Idrissa Maïga dit Métiou, Ousmane Traoré dit Ousmanebleny, Moctar Maïga, Seydou Traoré dit Guatigui. Convoqué en équipe première à l’occasion des tournois d’ouverture, Pelé ne retournera plus dans sa catégorie. D’emblée, il est titularisé au médian des Scorpions. Comment l’entraineur peut-il faire confiance à un junior? Soumaïla Diakité dit qu’à leur temps la complaisance n’avait pas sa place et que tout acte du coach s’expliquait par sa conviction basée sur les qualités et le talent du joueur. Il n’a pas été victime d’une marginalisation, qui pouvait lui rappeler son statut de bleu. Au contraire, les cadres du club l’encourageaient. Ils ont mis à profit leurs expériences pour le guider et le cadrer. Parce que Pelé a eu cette chance extraordinaire d’intégrer l’équipe sénior, très jeune, sans passer par le second niveau. Raison pour laquelle il est devenu une révélation pour ses ainés.
Le brassard de capitaine et son charisme feront de lui le leader de sa génération. C’est-à-dire que la réaction de l’équipe des Scorpions sur le terrain était consécutive aux agissements de Pelé, dans ses contestations face aux décisions arbitrales. Bref, guide et porte-parole de ses cadets Ousmane Doumbia dit Man, Drissa Konaté dit Driballon, feu Boubacar Sidibé dit Jardin, Drissa Tangara dit GMC, Beïdy Sidibé dit Baraka, Adama Traoré dit Adama Boxeur, Amadou Pathé Vieux Diallo, Pelé était un baroudeur sur le terrain.
Une fois membre incontournable de “the house of the scorpion”, Pelé, par son abnégation et ses qualités de milieu technicien, contribue à maintenir le flambeau qui a servi aux Salif Keïta dit Domingo, Idrissa Traoré dit Nany, Ousmane Traoré dit Ousmanebleny, Idrissa Maïga dit Métiou, pour éclairer l’histoire du Réal. Il a joué trois coupes du Mali (1978- 1980-1981) et remporté celle de 1980, contre le Djoliba AC. Il a été sélectionné en équipe nationale pour la première fois en 1974, d’abord comme milieu offensif et ensuite libéro. Déjà dans son club, il avait changé de poste. La raison? En 1978, après le départ de Métiou, l’entraineur le fait replier pour combler un vide. Il occupe ce poste au Réal et en équipe nationale où sa paire avec Sadia Cissé finira par créer un automatisme dans l’axe des Aigles. Et ce, jusqu’à sa retraite comme évoqué plus haut.
Pelé a aussi disputé les éliminatoires des différentes coupes d’Afrique de clubs. Seulement à l’époque, les clubs maliens et même l’équipe nationale avaient du mal à se faire une histoire. Ce qui fait que rarement le football malien rapportait, hormis ceux qui ont eu la chance de s’exiler. C’est l’une des raisons fondamentales qui ont même poussé Pelé à s’opposer à la volonté de ses enfants de jouer au football ou même d’intégrer un club. Il s’est dit que son cas constitue un exemple frappant pour décourager les enfants. Il a préféré les encourager sur le plan des études sanctionnées par des diplômes supérieurs.
La carrière de Pelé au Réal et en équipe nationale, c’est aussi des anecdotes qui se rapportent à la puissance de Tiécoro Bagayoko et à la chimie noire. Pelé les explique : “Un jour, je revenais d’une séance d’entrainement de l’équipe nationale avec Seydou Traoré N° 2. Un policier nous a arrêtés au niveau de l’actuel commissariat du premier arrondissement, pour défaut de phare sur la moto de Seydou. Nous lui avons dit que nous sommes des joueurs revenant de l’entrainement de l’équipe nationale et que Tiécoro Bagayoko est au courant. Le policier a répondu que même si c’est Moussa Traoré qui intervenait, il ne nous libérerait pas. Par soutien à Seydou, j’ai garé également ma moto et nous sommes allés directement à pied à la Direction de la Sureté pour expliquer à Tiécoro ce qui s’est passé. Il a chargé le commissaire du troisième arrondissement, pour dire au policier de ramener les deux motos à la Sûreté dans les quinze minutes qui suivent. Je ne sais pas comment l’agent s’est débrouillé avec les deux engins. En un clin d’œil les deux motos se sont retrouvées dans la cour de la Sûreté. La femme de Tiécoro, qui était dans le bureau, nous a appelés de côté pour nous demander de plaider la cause du policier, au risque de le voir souffrir entre les mains de son mari. Il fallait quand même s’attendre à une sanction. Le policier a été muté à Sikasso où je l’ai rencontré lors d’une soirée et il m’a dit qu’il a été encore muté à Kayes. Tellement choqué par la sanction, surtout les deux mutations successives d’un bout à un autre, il m’avait dit qu’il s’apprêtait à quitter la corporation. L’autre anecdote est relative à la finale de la coupe du Mali. Dans les vestiaires, les dirigeants m’ont dit de ne pas choisir les buts qui donnent dos à la colline. Ils ont tellement insisté que j’ai finalement compris que surement la victoire du Réal est liée à leurs directives. Effectivement, j’ai fait comme ils me l’ont dit et l’équipe a gagné “.
Après avoir pris sa retraite professionnelle en 2008, Soumaïla Diakité dit Pelé s’est donné un emploi du temps : le champ, la mosquée, les moments de détente avec ses amis pendant les weekends. C’est en 1970 qu’il a commencé à travailler à la Régie des Chemins de Fer du Mali. Il quitta cet emploi sept ans plus tard pour la Somiex par l’intermédiaire de Sadia Cissé, avant de prendre sa retraite à Shell, où il a été recruté en 1979.
O. Roger Sissoko
Source: Aujourd’hui-Mali