C’est officiel : Soumaïla Cissé est le leader de l’opposition parlementaire malienne avec les 21 députés que revendique son parti, l’Urd, à l’Assemblée nationale. S’il existe bel et bien un statut des partis politiques de l’opposition en République du Mali, cette loi (n°00-047 du 13 juillet 2000) est étonnamment muette par rapport à la qualité du chef de l’opposition, et aucune autre disposition de l’architecture juridique nationale n’en fait cas. Or, dans les grandes démocraties (Canada), le chef de l’opposition est une très forte personnalité du pays, avec tous les avantages (politiques, diplomatiques et matériels) dus à son rang. Alors, IBK va-t-il proposer un statut pour le chef de l’opposition comme son prédécesseur ATT en avait l’intention. Ce serait justice pour Soumaïla Cissé, qui mérite mieux qu’un (simple) député dans la (basse) cour.
Dans son Projet de réformes politiques pour la consolidation de la démocratie au Mali, le président Amadou Toumani Touré accordait, à travers un statut, des avantages faramineux et autres prérogatives au chef de l’opposition. Des avantages multiples et variés que le ministre Daba Diawara, président du Comité d’appui aux réformes institutionnelles (Cari), avait eu du mal à égrener de manière exhaustive devant un parterre de personnalités invitées à la présentation de ce rapport. Ce jour-là (c’était le 19 avril 2010), toute l’assistance et beaucoup de Maliens plus tard se disaient, secrètement, que ce statut avait été taillé sur mesure (par ATT) pour Ibrahim Boubacar Kéïta, à l’époque leader de l’opposition parlementaire ( ?), avec les 9 députés du Rpm.
Entre autres prérogatives à retenir, le document proposait, par exemple, qu’il soit accordé au chef de l’opposition, par décret présidentiel, le RANG de ministre. Mais hélas, avec ce que l’on sait, les textes Daba Diawara ne seront jamais soumis à la sanction du peuple malien.
Aujourd’hui, le débat est plus que d’actualité et mérite qu’on s’y attarde.
En effet, ce lundi 10 février et jours suivants s’il y a lieu, la mise en place effective du bureau de l’Assemblée nationale et des commissions (après l’élection du président et la constitution des groupes parlementaires) boucle le long processus du retour à l’ordre constitutionnel après les événements de mars 2012. Alors, chacune des deux institutions (dissoutes après le coup d’Etat) peut désormais se remettre au travail. Au gouvernement, la conduite des affaires de la nation ; à l’Assemblée nationale, le vote des lois. Comme dans une vraie démocratie.
Dans ce contexte, une attention particulière doit être accordée au chef de l’opposition qui joue un rôle déterminant dans l’animation des débats parlementaires, gage de la consolidation de la démocratie.
Soumaïla Cissé, parrain de l’Urd, deuxième force politique du pays (avec 21 députés) après le Rpm (70 députés), incarne parfaitement cet homme pour mener l’opposition républicaine qu’il revendique, avec le concours du Parena et du Pdes.
Statut de l’opposition : Que dit la loi ?
Au Mali, la loi qui confère à l’opposition un statut juridique « aux fins de contenir le débat politique dans les limites de la légalité et d’assurer l’alternance démocratique au pouvoir », reconnait que cette opposition constitue un élément essentiel de la démocratie pluraliste.
A cet effet, elle a des droits et des devoirs. Parmi ces droits, les partis politiques peuvent être consultés sur les grandes préoccupations nationales sur lesquelles ils doivent se prononcer. Ils ont un libre accès aux informations par voie d’audience spéciale dans les ministères et administrations publiques. L’audience est accordée à la requête des partis ou sur invitation des autorités. Mais, il ne peut y avoir dérogation aux dispositions relatives au secret professionnel et secret défense.
En outre, les dirigeants des partis politiques de l’opposition peuvent recevoir ou être reçus par les membres des missions diplomatiques consulaires et des Organisations internationales accrédités au Mali ainsi que les personnalités étrangères en visite régulière au Mali.
Mieux, les partis politiques de l’opposition ont le droit de s’exprimer publiquement. A ce titre, ils ont accès aux médias d’Etat, et exercent librement leurs activités de presse.
Les devoirs sont encore plus nombreux. Au terme de l’article 14, ils doivent en particulier : respecter les autorités légalement établies ; œuvrer à l’instauration d’une culture démocratique par l’information, la formation et l’éducation des citoyens militants ; veiller au respect des principes de la souveraineté nationale, de l’intégrité du territoire, de la forme républicaine de l’Etat, de l’unité nationale et de la laïcité de l’Etat ; cultiver le principe de la conquête démocratique du pouvoir, l’usage de la non violence comme moyen d’expression de la lutte politique et le respect des biens publics et privés ; et cultiver l’esprit républicain et le respect de la règle de la majorité.
En plus, l’opposition a le devoir de suivre l’action gouvernementale, de la critiquer de façon objective et constructive dans le sens du renforcement de l’idéal démocratique et du progrès,
D’ailleurs, « tout parti politique appartenant à l’opposition peut participer à la formation du gouvernement ou soutenir l’action gouvernementale. Dans ces cas, il perd d’office sa qualité de parti de l’opposition »(article 5).
Soumaïla Cissé: bientôt une personnalité reconnue de l’Etat ?
Aujourd’hui, la présence à l’Assemblée nationale d’une opposition parlementaire réelle et déclarée et conduite par Soumaïla Cissé rend impérative la matérialisation d’un statut pour son leader. Dès lors, le projet du président ATT de la commission Daba de « renforcer le statut de l’opposition » et « faire de son leader une personnalité reconnue de l’Etat… » pour le renforcement de la démocratie au Mali, devrait reprendre plus que jamais le devant du débat politique national. Comment ?
IBK pourrait tout simplement s’inspirer du texte de la Commission Daba, ou de l’expérience de certaines démocraties occidentales, ou encore de la contribution du politologue sénégalais, M. Diagne, professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Selon ce dernier, l’opposition et son leader dans nos pays africains doivent disposer d’un statut sur mesure. Pour lui, le leader de l’opposition devra disposer d’un statut ex-officio. Ainsi, il pourrait être membre de droit du bureau de l’Assemblée nationale s’il ne l’est pas ; il devrait avoir droit à la couverture médiatique des manifestations liées à l’accomplissement de sa mission ; et un droit de réplique aux messages ou autres interventions médiatisées du président de la République ou du chef du gouvernement.
Le chef de l’opposition devrait être invité à toutes les cérémonies officielles de la République et traité avec les égards et honneurs dus à son rang. Il pourrait faire partie des délégations qui accompagnent le président de la République lors de ses déplacements à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire national. Et être associé à l’accueil des hôtes de marque de la République.
Au leader de l’opposition parlementaire, selon Diagne, il pourrait être confié des missions spécifiques d’envergure nationale ou internationale et, surtout, être consulté ou reçu en audience par le chef de l’Etat chaque fois que cela s’impose.
Que dire des avantages matériels et protocolaires conférés au chef de l’opposition ? Celui-ci devrait être doté de ressources financières suffisantes pour une prise en charge efficiente de son secrétariat, ses frais de déplacement et de recherche. Un bureau à l’Assemblée nationale devrait lui être affecté. Il devrait également bénéficier d’une sécurité rapprochée, d’un logement de fonction, d’un véhicule de service, une place de choix dans le protocole républicain, un passeport diplomatique…
Le poste de leader de l’opposition, poursuit le politologue sénégalais, sera toujours en compétition car le chef de l’opposition d’aujourd’hui peut se retrouver demain aux commandes de l’appareil d’Etat ou bien rétrogradé, alors, il laisse la position à un autre leader. Il est investi de ce statut pendant toute la durée de la législature. Il perd ce statut, hormis la défaite électorale, en cas de déchéance de son mandat, de décès, de démission ou d’empêchement définitif. Le parti qu’il représente lui désigne alors un successeur, conformément à ses règles statutaires. De même, si son parti intègre le gouvernement, il perd cette qualité au profit du leader du parti d’opposition arrivé en troisième position lors des dernières élections législatives, et ainsi de suite.
En s’inspirant de ce modèle, (canadien), le professeur démontre que le multipartisme intégral peut bien rimer avec le statut du chef du principal parti de l’opposition.
Le rapport de la Commission Daba contenait tous ces avantages et prérogatives conférés au chef de l’opposition parlementaire. Et le bénéficiaire n’était autre que Ibrahim Boubacar Kéïta.
Alors, Le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, et son parti (le RPM), vont-ils oser franchir le Rubicon en remettant sur la table de l’Assemblée nationale, le projet du nouveau statut de l’opposition ? Ce statut qui prend naturellement en compte celui du chef de l’opposition.
Sékou Tamboura