Des milliers de manifestants attendent samedi devant le QG de l’armée à Khartoum les consignes des meneurs de la contestation, au lendemain du remplacement du chef du Conseil militaire au pouvoir, un proche d’Omar el-Béchir, décision accueillie dans la joie par les protestataires.
« Nous attendons de nouvelles consignes de l’Association des professionnels soudanais pour savoir si maintenir notre rassemblement jusqu’à obtenir satisfaction à nos demandes ou si on évacue les lieux », explique un manifestant qui a passé la nuit devant le QG.
L’Association des professionnels soudanais (SPA) est le fer de lance de la contestation antigouvernementale qui perdure depuis le 19 décembre et a provoqué le renversement jeudi par l’armée du président Omar el-Béchir, qui tenait le pays d’une main de fer depuis un coup d’Etat il y a 30 ans.
Samedi matin, des soldats ont enlevé des barricades qui avaient été posées dans plusieurs rues menant à leur QG, où des manifestants échangent eux avec les militaires ou s’affairent à nettoyer les lieux, préparer à manger, boire du thé ou du café, après une 7e nuit d’affilée sur place.
Des véhicules vendant à boire et à manger se trouvent aussi sur les lieux.
Au lendemain de la destitution de M. Béchir, Awad Ibn Ouf, le chef du Conseil militaire de transition désormais aux commandes du pays, a renoncé au pouvoir vendredi soir et nommé un autre militaire pour lui succéder.
Cette décision a été accueillie par des scènes de joie des manifestants à Khartoum.
« En deux jours, nous avons renversé deux présidents » ou encore « nous avons réussi », ont scandé les manifestants en brandissant des drapeaux soudanais.
Les généraux au pouvoir se sont efforcés vendredi de rassurer la communauté internationale ainsi que les manifestants sur leurs intentions, promettant notamment de remettre le pays à un gouvernement civil.
M. Ibn Ouf, chef du Conseil militaire de transition depuis une journée à peine, a annoncé dans un discours à la nation avoir renoncé à son poste, et nommé à sa place Abdel Fattah al-Burhane, inspecteur général des forces armées.
« Le rôle du Conseil militaire est de protéger la sécurité et la stabilité du pays », avait auparavant souligné le général Omar Zinelabidine, membre de ce Conseil, s’exprimant devant des diplomates arabes et africains.
« Ce n’est pas un coup d’Etat militaire, mais une prise de parti en faveur du peuple », avait-il assuré.
« Nous ouvrirons un dialogue avec les partis politiques pour examiner comment gérer le Soudan. Il y aura un gouvernement civil et nous n’interviendrons pas dans sa composition », a-t-il dit.
Le Conseil militaire a par ailleurs affirmé que Omar el-Béchir se trouvait en détention mais qu’il ne serait pas « livré à l’étranger », alors qu’il est sous le coup depuis une décennie de deux mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI).
Après des semaines de manifestations réclamant son départ, Omar el-Béchir a été renversé jeudi par l’armée qui a mis en place un « Conseil de transition militaire » pour une durée de deux ans.
Les organisateurs de la contestation ont rapidement exhorté les militaires à « transférer le pouvoir à un gouvernement civil de transition ». Dans le cas contraire, « nous allons continuer le sit-in devant le QG de l’armée et dans d’autres villes », ont-ils prévenu.
– « Main dans la main » –
Affichant leur rejet de cette transition, les manifestants n’avaient pas levé leur sit-in devant le QG de l’armée dans la nuit de jeudi à vendredi, en dépit du couvre-feu imposé de 20H00 GMT à 02H00 GMT. la nuit avait été calme.
Devant le Conseil de sécurité de l’ONU, l’ambassadeur du Soudan, Yasir Abdelsalam, a aussi essayé de dissiper les craintes de la communauté internationale.
Le Conseil militaire « se contentera d’être le garant d’un gouvernement civil », a-t-il dit. Il a en outre ajouté que la période de transition pourrait « être réduite en fonction des développements sur le terrain et l’accord des parties prenantes ».
Le général Zinelabidine a affirmé vendredi que le Conseil militaire était prêt à travailler « main dans la main » avec les manifestants « pour trouver des solutions » aux problèmes des Soudanais. Il a également réclamé à la communauté internationale des fonds pour régler la crise économique, déclencheur du mouvement de contestation le 19 décembre après le triplement du prix du pain.
Parmi les mesures décrétées jeudi par les militaires figurent la fermeture des frontières terrestres jusqu’à nouvel ordre et un cessez-le-feu à travers le pays, notamment au Darfour (ouest), où un conflit a fait plus de 300.000 morts depuis 2003 selon l’ONU. Ces dernières années, le niveau de violence a cependant baissé.
Amnesty International a appelé à remettre M. Béchir à la CPI. En 2009, cette Cour basée à La Haye avait lancé un mandat d’arrêt contre lui pour « crimes de guerre » et « contre l’humanité » au Darfour, ajoutant en 2010 l’accusation de « génocide ».
« Le fait que Béchir ait accepté sa destitution prouve qu’il s’agit, plutôt que de le livrer à la CPI, de le protéger. Rien d’étonnant de la part d’hommes qui ont été (…) ses complices », a affirmé à l’AFP Jérôme Tubiana, chercheur indépendant sur le Soudan.
AFP