Le conflit qui ravage le Soudan du Sud depuis plus d’un mois semble tous les jours dégénérer, faisant craindre à des analystes et diplomates qu’il ne soit trop tard pour stopper la guerre avec la simple signature d’un cessez-le-feu.
Des pays d’Afrique de l’Est tentent depuis des semaines de faire accepter au gouvernement de Juba et à la rébellion menée par l’ex-vice président Riek Machar un cessez-le-feu pour mettre un terme à des combats qui ont déjà fait des milliers de morts et près d’un demi-million de déplacés.
Leurs efforts sont activement soutenus par l’ONU et les Etats-Unis, parrains de l’indépendance du Soudan du Sud en juillet 2011.
Mais le conflit, sur fond de rivalité entre le président sud-soudanais Salva Kiir et son ex-vice président, limogé en juillet, a pris une telle ampleur qu’il échappe sans doute déjà réellement à ses protagonistes, craignent des observateurs.
La secrétaire d’Etat américaine adjointe, Linda Thomas-Greenfield, s’est alarmée de ce que “chaque jour qui passe pour le conflit fait croître le risque d’une guerre civile totale”. Selon elle, les “tensions ethniques augmentent” et “ceux qui restaient en marge du conflit y sont attirés”.
La crise politique à l’origine du conflit — Salva Kiir accuse Riek Machar de tentative de coup d’Etat, ce que ce dernier dément — se double désormais de massacres interethniques : Dinka de Kiir et Nuer de Machar sont chacun accusés d’atrocités.
Rancoeurs
Pour beaucoup, les affrontements s’apparentent déjà à une guerre civile, opposant l’armée à une alliance plus ou moins stable de commandants mutins et milices ethniques dans de féroces batailles pour le contrôle de villes stratégiques.
Samedi encore, les troupes gouvernementales appuyées par des soldats ougandais ont repris Bor, capitale de l’Etat du Jonglei (est). La veille, le secrétaire général adjoint de l’ONU aux Droits de l’Homme, Ivan Simonovic, estimait qu'”on (pouvait) maintenant considérer le conflit comme un conflit armé interne”, avec de potentiels “crimes de guerre”.
Dans une note confidentielle, le Kenya, qui, comme l’Ouganda, a déployé des troupes au Soudan du Sud officiellement pour évacuer ses citoyens, a de son côté mis en garde contre un risque d'”internationalisation” du conflit.
Des informations font aussi état de la présence de rebelles soudanais habituellement actifs au Darfour soudanais dans des régions frontalières pétrolifères.
La situation sur le terrain évolue de toute façon bien plus vite que les pourparlers de paix entre les deux camps, organisés dans la capitale éthiopienne Addis Abeba.
“Cela nous déchire de voir un problème à l’origine purement politique (…) glisser vers un problème ethnique, à une échelle effrayante”, déplore le Conseil des Eglises sud-soudanaises, influente coalition de chefs religieux.
Les violences prennent leur source dans de vieilles rivalités opposant d’ex-rebelles devenus dirigeants, qui se greffent à des rancoeurs datant de la longue guerre civile Nord-Sud qui a frappé le Soudan avant la sécession du Soudan du Sud en 2011.
Beaucoup, en particulier, craignent que même si un cessez-le-feu, présenté comme imminent par Juba, était signé, le conflit entre Dinka et Nuer n’ait atteint un point de non retour.
“Des poignées de mains, des sourires et un simple accord politique entre les deux parties ne remettront pas le Soudan du Sud sur la voie de la vérité, d’une paix durable, de la démocratie et de l’Etat de droit”, estiment David Deng et Elizabeth Deng, figures de la société civile sud-soudanaise. “Les deux parties devraient être forcées à se soumettre et soumettre leurs soutiens à une enquête indépendante portant sur les crimes commis”.
Pour Princeton Lyman, ex-envoyé spécial des Etats-Unis dans le pays, les pourparlers de paix ne pourront pas de se contenter “d’un simple retour au statu quo antérieur”.
“Pour une paix durable, les négociateurs et les médiateurs devront toucher davantage que les élites politiques nationales”, estime-t-il dans un article du centre de réflexion United States Institute of Peace.
Sur le terrain, la situation ressemble désormais dangereusement à celle antérieure à la signature de l’accord de paix de 2005 entre le gouvernement de Khartoum et les rebelles sudistes aujourd’hui au pouvoir à Juba, qui avait ouvert la voie à l’indépendance du Sud: le gouvernement contrôlait les villes, mais de multiples forces rebelles revendiquaient des régions rurales entières.
“Nous rêvions de paix mais nous voilà de nouveau dans la guerre”, déplore Simon Thon, jeune enseignant qui a fui Bor avec sa femme enceinte avant que les forces gouvernementales ne reprennent la ville.
© 2014 AFP