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Situation sécuritaire au Mali : L’État ne mesure pas les enjeux de ses actions

Suite à la multiplication récente des attaques et des morts ainsi que les incendies d’écoles qui ont donné lieu à un repli dit « stratégique de l’armée », les réflexions se multiplient sur la situation sécuritaire au Mali. L’émission, Grand Dialogue du studio Tamani a reçu sur son plateau deux experts des questions sécuritaires : André Bourgeot, chercheur au CNRS de Paris, et docteur Aly Tounkara, professeur à l’université de Bamako. Tous les deux spécialistes ont signalé un bilan négatif de la gestion de cette crise au Mali.

 

André Bourgeot et Aly Tounkara sont unanimes sur la gravité de la situation au Mali. Une crise qui ne se situe plus au niveau sécuritaire uniquement, mais qui s’étend à tous les autres domaines, ont-ils indiqué. Car, s’il y’a lieu de faire un bilan de 2013 à aujourd’hui, celui-ci serait négatif, estiment les deux experts.

Le docteur Aly Tounkara a indiqué que la situation est même inquiétante du fait que beaucoup de localités, qui se trouvaient sous l’autorité de l’État central, se trouvent aujourd’hui, sous le contrôle, non seulement de groupes radicaux violents, mais également de groupes d’autodéfense ou des milices. Pis, au-delà de cette occupation inquiétante du pays avec ses nombreux morts, Dr Tounkara a dénoncé le comportement indifférent des populations dans les centres urbains, loin des zones de conflits. Il a souligné que les activités festives de la population, à un même moment où plusieurs dizaines de soldats meurent, sur le front pratiquement chaque mois, témoignent à combien, au-delà de la compassion et de la rhétorique, l’enjeu de cette crise n’est pas pris au sérieux par le Malien. Selon lui, ce comportement indique combien l’homme malien peut se montrer distant face à une crise, quand il n’est pas directement touché.

Concernant la prise de conscience des autorités, face à la gravité de la situation, André Bourgeot dira que c’est une preuve d’irresponsabilité, par les autorités, de se montrer dépassées par cette situation. Selon lui, il y’a eu beaucoup d’éléments qui ont alerté cette situation notamment la prolifération des groupes salafistes et djihadistes commencée depuis des années, aussi bien dans le septentrion que dans beaucoup de pays voisins. Après, il a mis en cause la stratégie militaire en indiquant qu’il fallait intervenir d’une autre manière face à cette menace. Pour lui, c’est de ne pas prendre conscience de la gravité de cette menace, en n’adaptant pas les stratégies militaires à cette nouvelle réalité sur les fronts. Par ailleurs, il n’a pas manqué à mettre en doute, la franchise de la collaboration entre les forces étrangères sur le sol malien. C’est pourquoi, il a signalé un problème qui va au-delà du déficit de coordination entre les forces sur le terrain, en rejoignant le même avis qu’un général, qui avait mis en cause la stratégie mise en place par la force française Barkhane. Sachant que toutes les forces, MINUSMA, Barkhane et les Famas vont entre 15 à 20 mille hommes sur le terrain, avec des drones et des moyens sophistiqués, le général s’était interrogé sur comment ne pas parvenir à anéantir une force composée de 1500 à 2000 djihadistes ? Comment autant de puissance et autant de moyens techniques n’arrivent pas, jusque-là à résoudre cette situation. Le chercheur français a précisé que la mission de la force française Barkhane est seulement de lutter contre les groupes terroristes, pour dénoncer l’inaction ou l’orientation de ses opérations sur uniquement le septentrion malien. Pour souligner la puissance des troupes françaises, le chercheur a rappelé le succès ponctuel de l’opération serval au début dette crise. Concernant ce fameux repli dit stratégique de l’armée au niveau de ses positions à anderaboukane et Labezanga, les deux experts sur les questions sécuritaires l’ont inscrit parmi les facteurs d’aggravation de la crise. Car selon eux, il y aura un sentiment d’abandon de la population suite à ce retrait. Cette situation donne un nouvel ancrage aux groupes terroristes qui prennent de plus en plus de force dans la zone. Le professeur Aly Tounkara a également indiqué que ce repli pourrait aussi donner lieu à la réaction d’autres groupes d’autodéfense dans cette localité. Par ailleurs il a indiqué que rien ne rassure même que ces postes vont être repris par l’armée dans la mesure où, en 2012, les postes repliés suite à la même situation sont restés comme tels jusque-là. Pour lui, au lieu de replier, l’État central doit se donner les moyens nécessaires pour assurer la sécurité des personnes et leurs biens, surtout face une telle recrudescence des dangers. Sur ce point, André affiche la crainte de la généralisation des recours aux armes. Une conséquence de la prolifération des groupes d’auto défenses. Selon lui, l’absence de l’Etat crée forcément des zones de non-droit et autorise la population à prendre en charge, elle-même sa sécurité.

ISSA DJIGUIBA

Source : LE PAYS

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