C’est connu de tous au Niger, le ministre Hassoumi Massaoudou n’a pas « sa langue dans la poche » comme on dit et donc n’est pas du genre à « remuer sept fois la langue avant de parler » comme le recommande la sagesse africaine. D’aucuns avaient pourtant espérer qu’avec sa nomination à la tête de la diplomatie nigérienne, l’ancien tout puissant Dircab de Mahamadou Issoufou et ex premier flic du pays s’est assagi, ne serait que par « courtoisie diplomatique ». Il n’en est rien et dans l’entretien qu’il a accordé à RFI en marge du Sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la CEDEAO sur la situation au Mali et en Guinée, le ministre des Affaires étrangères vient de démontrer qu’il ne s’est point départi de sa marque de fabrique, celle de dire tout haut, et si besoin avec des mots crus, « ses vérités à lui ». « Si les militaires maliens ne rendent pas le pouvoir en février prochain, les sanctions internationales contre Bamako seront sévères », a par exemple assené le ministre nigérien des Affaires étrangères des Hassoumi Massaoudou, à l’issue du sommet extraordinaire de la Cédéao qui s’est tenu jeudi 16 septembre à Accra, et pour lequel il a accompagné le président Bazoum Mohamed. Le chef de la diplomatie nigérienne a aussi dénoncé avec force tout projet de faire venir des mercenaires russes au Mali, en référence à cette polémique née de l’annonce des négociations entre la junte militaire dirigée par Assimi Goita et la société russe Wagner. Au micro de Christophe Boisbouvier dont il était l’invité dans l’entretien diffusé ce vendredi matin, le ministre nigérien s’est également félicité de la mort du chef du groupe terroriste EIGS, annoncée jeudi par le président français, et a qualifié de « diversion », les assises nationales que projettent d’organiser le premier ministre de la transition malienne Choguel Maiga. Des propos que certains jugent « pas très diplomatiques » et que d’autres qualifient même « d’ingérence » et qui soulèvent déjà une vive polémique dans la sous-région et au-delà comme c’était le cas avec ceux tenus auparavant par l’ancien président Issoufou ou son successeur Bazoum, toujours sur la situation au Mali. En intégralité, l’interview accordé par le chef de la diplomatie nigérienne à RFI.
Comment réagissez-vous à l’annonce de la mort d’Adnan Abou Walid al-Sahraoui ?
Hassoumi Massaoudou : Nous sommes bien sûr contents, nous sommes satisfaits de cette annonce, parce que cela va désorganiser l’EIGS, Daesh, dans cette région-là. Cela va l’affaiblir considérablement. C’est une grande victoire, c’est très important, ce qui s’est passé. Et c’est le début de la fin pour l’EIGS. Donc, il y a lieu de saluer les forces armées françaises et de voir les effets importants du sommet de Pau, parce que c’est au sommet de Pau qu’il a été décidé de concentrer les efforts sur cette zone, sur l’EIGS et je crois que les résultats sont plus que satisfaisants. C’est un grand criminel qui est mort et c’est une grande joie pour nous. Et je pense qu’il y a lieu de saluer la coopération entre nos forces et les forces françaises. C’est avec soulagement que nous accueillons sa mort.
Est-ce que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), le groupe armé de Iyad Ag Ghali pourrait en profiter ?
Je pense que, quand l’un est affaibli, ce n’est pas évident que ce soit le renforcement de l’autre. Dans un premier temps, je ne sais pas, mais il se peut que le GSIM puisse considérer qu’un de ses adversaires est mort. Mais de toute façon, il y a un continuum entre les deux : l’affaiblissement de l’un ne renforce pas l’autre. Ce n’est pas des vases communicants.
À l’issue de ce sommet extraordinaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), quelles sont les décisions ?
Les décisions, c’est la volonté réaffirmée et encore renforcée de la Cédéao de lutter contre ces prises de pouvoir de manière non-constitutionelle, par la force, notamment en Guinée. On demande une transition très courte et la libération immédiate d’Alpha Condé. Donc, on renforce les décisions qui ont été prises. En ce qui concerne le Mali, il y a un renforcement de la volonté de mettre ces militaires-là au ban de la société. Nous considérons que l’évolution actuelle de la situation au Mali ne préjuge rien de bon, parce qu’ils marquent leur volonté, lorsqu’ils disent que les élections ne sont pas leur priorité. Pour la Cédéao, et cela a été réaffirmé : les élections, c’est notre priorité. En février 2022, les élections doivent avoir lieu, sinon nous allons associer l’ensemble de la communauté internationale aux sanctions contre les militaires maliens. Donc, nous exigeons une feuille de route claire pour qu’on aille aux élections. Deuxièmement, nous n’acceptons pas que, dans notre sous-région, des mercenaires viennent s’impliquer, viennent dégrader davantage encore la situation sécuritaire. Donc, par conséquent, la Cédéao condamne cette velléité de vouloir signer un accord avec cette société Wagner de mercenaires russes. Cela est très clair. Donc, là aussi, on tire la sonnette d’alarme. Nous ne pouvons pas accepter que les militaires maliens nous amènent un autre élément hétérogène constitué de mercenaires étrangers dans notre zone. Donc, la Cédéao tient à ce que des mercenaires russes ne soient pas dans notre région pour dégrader davantage la situation sécuritaire.
Est-ce que l’arrivée d’un groupe militaire Wagner au Mali pourrait remettre en cause la Coalition du G5 Sahel ?
Mais certainement. Puisque nous n’acceptons pas la présence de ces gens-là. Et les militaires maliens doivent renoncer sans délai, si cela s’avère, à ce type d’accord, parce que nous n’accepterons pas que des irréguliers étrangers, des mercenaires viennent dans notre sous-région pour davantage dégrader la situation sécuritaire qui est déjà assez grave.
Les autorités de la transition malienne affirment qu’il faut organiser des assises nationales avant d’aller aux élections ?
Non, non… Justement, nous n’acceptons pas. La Cédéao refuse tout autre agenda qui ne soit pas l’organisation des élections pour la fin février 2022. Donc, c’est très clair, tout autre agenda de diversion, parce qu’il s’agit pour nous d’une diversion, et en cela, nous pensons la même chose que la plupart des forces politiques du Mali, nous n’acceptons pas de diversion pour détourner les objectifs qui sont bien assignés à cette transition : la fin des élections à fin février. C’est très clair. Cette diversion ne sera pas acceptée.
Et sur la Guinée. Toujours pas de sanctions économiques. Vous restez sur une position à minimum, juste la suspension…
Elle n’est pas seulement à minimum, elle est juste une transition très courte de six mois. Sinon, nous allons associer, aussi bien pour la Guinée que pour le Mali, toute la communauté internationale et les bailleurs de fonds multilatéraux, les organisations de l’Union européenne, la Banque mondiale, le FMI [Fonds monétaire international], nous allons associer toute la communauté internationale pour qu’elle s’associe à des sanctions sévères contre les contrevenants, contre la volonté de se maintenir au pouvoir, qu’il s’agisse de la Guinée ou qu’il s’agisse du Mali. Donc, cette fois-ci, c’est cela le message, il est beaucoup plus fort. Ensuite, il y a une troisième décision importante, c’est que ce sommet de la Cédéao a décidé de revisiter l’acte additionnel sur la bonne gouvernance de la Cédéao pour prendre en compte toutes ces autres formes de prise de pouvoir, de maintien au pouvoir de manière anticonstitutionnelle.
Et si Alpha Condé est libéré. Dans quel pays d’accueil pourrait-il se retrouver ?
Je n‘en sais rien. Il y a plein de pays qui sont prêts à l’accueillir. Il y a déjà beaucoup de pays qui ont déjà annoncé qu’ils sont prêts à l’accueillir. La question n’est pas celle-là. La question, c’est qu’il soit immédiatement libéré et je pense qu’il n’y aura pas de problème pour l’accueillir. Tous les pays sont prêts pour l’accueillir a priori.
Source : RFI