Le débat politique au Mali au cours de ces dernières années est de plus en plus caractérisé par une radicalisation progressive et un recours systématique à l’injure, à la délation, à la calomnie et même aux dénis des principes élémentaires de l’Etat de droit par presque tous les acteurs politiques. Chaque camp s’enlise dans une violence verbale inutile qui malheureusement, pourrait surchauffer les esprits et les préparer à la violence physique.
Les réseaux sociaux sont devenus le repère de snippers de toutes sortes, recrutés et manipulés par des acteurs politiques en panne de réels projets de société, pour tirer de façon groupée sur les adversaires. Les débats civilisés, contradictoires et constructifs ne semblent plus possibles dans un contexte où il faut forcément être pour ou contre tel ou tel camp. Même les médias classiques, considérés jusque-là comme l’une des fiertés du Mali, sont en train d’être infiltrés par ses snippers ou jouent le jeu d’une génération d’hommes politiques à bout de souffle mais qui refuse de faire la place à de nouveaux acteurs.
« La sagesse, c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue quand on les poursuit », écrit, Osar Wilde, écrivain et dramaturge anglais (1854 – 1900). C’est malheureusement ce qui manque le plus aux hommes politiques africains, en général, et maliens, en particulier. A analyser froidement les comportements et pratiques des hommes politiques maliens, l’on ne dira pas seulement qu’ils manquent de sagesse. L’on peut même affirmer que beaucoup d’entre eux manquent simplement de bon sens et d’humanisme. A moins que ce ne soit de l’inconscience notoire.
En effet, l’on a beau scruter les discours, faits et gestes des acteurs politiques, toutes tendances confondues, l’on éprouve du mal à voir le rêve qu’ils ont pour leur pays. Majorité et opposition se révèlent finalement être les deux faces d’une même médaille. Ceux qui ont le pouvoir ne pensent qu’à le conserver et à en jouir pleinement par tous les moyens. En face, ceux qui l’ont perdu ou qui cherchent à le conquérir usent de tous les moyens, y compris les plus déloyaux et les plus insensés, pour y parvenir.
Ce qui est donné d’observer depuis l’arrivée du Rassemblement pour le Mali (RPM), au pouvoir est ahurissant pour les observateurs lucides. L’on se retrouve, d’une part, en face d’un pouvoir qui, six ans après, a encore du mal à convaincre qu’il a pris toute la mesure de ses responsabilités et incapable de répondre efficacement aux fortes attentes des gouvernés ; et d’autre part, d’une opposition hétéroclite tant dans sa composition que dans les ambitions de ses acteurs, sans ligne politique et qui jongle entre défense des acquis de chef de file de l’opposition et velléités de revanche d’anciens dignitaires qui ne pardonnent pas au peuple et à leurs anciens camarades de les avoir éjectés du gouvernail de l’Etat.
Le pouvoir RPM ou une succession d’espoirs déchus et de rendez-vous manqués.
En remportant la présidentielle de 2013, avec plus de 77% des suffrages exprimés et 67,2% à la présidentielle de 2018, le Président IBK et ses alliés devaient avoir le triomphe modeste. La sagesse et la clairvoyance politiques auraient commandé qu’ils fassent profil bas et prendre toute la mesure de la déception du peuple vis-à-vis de la classe politique. Une telle posture leur aurait imposé plus d’exigence vis-à-vis d’eux-mêmes dans la gestion quotidienne des affaires publiques à tous les niveaux.
Au lendemain de son élection, des Maliens doutaient de la capacité du Président IBK à proposer autre chose que ce que l’on a vécu avec Amadou Toumani Touré. Pour ceux- ci, «avec Ibrahim Boubacar Kéita au Palais présidentiel de Koulouba, c’est une continuité du système Alpha Oumar Konaré et d’Amadou Toumani Touré. Pour eux, le changement ce n’est donc pas IBK ». Nous ajoutions que beaucoup espéraient qu’à défaut du changement, le président et son équipe allaient au moins « oser la rupture » d’avec la culture politique et institutionnelle de la prédation, du népotisme, du copinage et des réseaux de coteries. Six ans après, la réalité confirme cette impossible rupture. L’administration publique continue d’être politisée. Même les domaines sensibles comme la sécurité n’échappent pas à cette politisation.
La mal gouvernance, notamment les malversations dans les marchés publics, les détournements de deniers publics, la corruption, la spéculation foncière, la cherté de la vie continuent de plonger la grande majorité des Maliens dans le désarroi du désespoir. Les iniquités sociales continuent d’être une caractéristique frappante de la société. Mais le plus grave, c’est que, comme du temps où ils étaient à l’Adema /PASJ, le président IBK et ses partisans donnent l’impression de ne pas se rendre compte que les acquis engrangés jusque-là ne sont que des gouttelettes d’eau dans un immense océan de besoins. Ils se glorifient des succès de leur programme présidentiel d’urgence (PPU), notamment des infrastructures socioéconomiques réalisées alors que la grande majorité des Maliens ont du mal à assurer deux repas par jour.
Ils semblent ignorer que l’amélioration des conditions de vie du plus grand nombre passe nécessairement par une rupture avec les pratiques qui consistent à ne s’entourer que de partisans, de courtisans et de copains dans la gestion des affaires publiques. Elle exige une nouvelle culture institutionnelle qui magnifie la compétence, l’efficacité, l’éthique et l’intérêt général dans le choix des hommes et des femmes en charge de la gestion du bien public à toutes les échelles de gouvernance (locale ou nationale).
C’est donc clair comme l’eau de roche, le pouvoir RPM ne s’est pas encore montré à la hauteur des espoirs suscités par l’insurrection populaire.
Finalement, comme le dirait Albert Einstein, «on ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré le problème». Le plus grand handicap du pouvoir IBK est que ses principaux animateurs ont été formatés dans le système Alpha Oumar Konaré dont ils ont été des artisans et ont contribué à en asseoir les bases et à son ancrage durable dans les mœurs politiques au Mali. L’on pourrait même dire que certains d’entre eux ont façonné ce système politique qui repose sur un pouvoir personnel presqu’absolu mais qui autorise des excès et des dérives de toutes sortes aux valets du chef.
Assi de Diapé
LE POINT DU MALI