Dans son dernier rapport l’organisation par le bureau de la coordination des affaires humanitaire des Nations Unies (Ocha) dresse un constat alarmant de la situation humanitaire au Mali. Dans ce rapport on note, entre autres : plus de 367 incidents constituant des violations des droits humains ; 250 998 de personnes déplacées (avril 2020) ; plus de 378 000 enfants affectés par la fermeture des écoles dans les zones touchées par l’insécurité ; plus de 1,3 millions de personnes en insécurité alimentaire sévère… Un rapport qui illustre la dégradation de la situation sécuritaire dans notre pays. Lisez plutôt !
En effet, selon l’Ocha, la dernière semaine du mois de mai a été particulièrement meurtrière dans la région de Mopti. Elle a été marquée par une recrudescence des incidents sécuritaires dans les cercles de Koro, Bandiagara, Bankass et Douentza : « Selon les informations recueillies auprès des partenaires au moins 68 personnes civiles seraient tuées au cours d’attaques ayant conduit à de graves violations des droits de l’homme durant cette semaine. A cela s’ajoute un accident causé par un engin explosif survenu dans le cercle de Douentza et ayant fait huit morts civils et une trentaine de blessés dont cinq graves ».
Au niveau national, 367 incidents constituant, indique le rapport, des violations des droits humains -dont des atteintes au droit à la propriété, au droit à l’intégrité physique, au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité des personnes, à l’accès aux services sociaux de base ainsi que des déplacements forcés de populations- ont été enregistrés en mai 2020. Ceci représente une détérioration de la situation de protection comparativement aux mois de février, mars et avril où 144 incidents, 351 incidents et 332 incidents ont été respectivement documentés. « Plus de 75% des incidents rapportés en mai (soit 282 incidents) ont eu lieu dans les régions de Mopti (175 cas) et de Ségou (107 cas), au Centre du pays. Les autres incidents se sont déroulés dans le Nord du pays dans les régions de Gao (47 cas), Tombouctou (30 cas) et Ménaka (8 cas) », précise-t-il.
On note une hausse des incidents, ajoute l’Ocha, affectant la protection des civils. Pour la première fois depuis le début de l’année, les atteintes à l’intégrité physique et/ou psychique sont le type de violation le plus fréquent. Les atteintes au droit à la vie sont en constante augmentation depuis janvier et les atteintes au droit à la propriété restent élevées avec 105 cas documentés. « Les hommes restent les personnes les plus touchées par la violence. Cependant, les femmes et les enfants font désormais également partie des victimes. En mai, 33 garçons et 25 filles ont été touchés par des violations et cela est dû à l’augmentation des attaques de nature indiscriminée.
Les partenaires humanitaires s’inquiètent face à la recrudescence des actes portant atteinte à la protection des civils et appellent au strict respect des droits humains y compris pour les populations vivant dans les zones de conflits », dit-il.
Le nombre de personnes déplacées internes a atteint son niveau le plus élevé au cours des six dernières années
Le rapport indique que le nombre de personnes déplacées internes (PDI) est passé de 207 751 personnes en décembre 2019 à 250 998 en avril 2020, soit une augmentation de 43 247 personnes selon les données de la matrice de suivi des déplacements (DTM). Les enfants représentent 58 pour cent des PDI et les filles et les femmes 54%. Plus de la moitié des personnes déplacées vivent dans des sites spontanés. Le nombre de PDI a atteint son seuil le plus élevé depuis 2013 (cf. graphique) : « Cette augmentation est due à une recrudescence de la violence et des conflits variés dans les régions de Mopti, Ségou, Tombouctou, Gao et Ménaka et dans la bande frontalière entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Plus de 65% des PDI vivent dans les régions de Mopti (102 481 PDI) et de Gao (62 633 PDI).
Au total, 97% des PDI se sont déplacées en raison de l’insécurité liée au conflit dans leur localité d’origine ou voisine selon le rapport DTM d’avril 2020. Certains déplacements dus à la crise alimentaire et à l’impact économique relatif au conflit sont également à signaler depuis les régions du centre et du nord vers les grandes villes desdites régions et celles du sud où les opportunités socio-économiques sont moins limitées ».
Suite à une enquête menée auprès des ménages déplacés par les équipes chargées d’analyser les données de la DTM, environ 75% des PDI ont exprimé leur intention de retour tandis que 25% souhaitent rester sur place. La majorité des PDI conditionnent leur retour à une amélioration de la situation sécuritaire, économique et alimentaire dans leurs localités d’origine.
Toujours selon l’Ocha, la grande majorité des ménages enquêtés ont perdu leur autonomisation et vivent désormais d’aides et de dons humanitaires (49%), d’aides des communautés et/ou de tierces personnes (30%). La majorité des PDI enquêtées ont indiqué comme besoins prioritaires les vivres, les abris, les emplois et l’accès aux activités génératrices de revenus : « La plupart des PDI ont un accès limité aux services sociaux de base comme l’éducation et les soins de santé. Les résultats de l’enquête précitée révèlent que 66 pour cent des enfants des PDI ne fréquentent pas l’école dans les cercles d’Ansongo, Bourem, Gao, Niono, Ségou et Gourma-Rharous principalement faute d’écoles disponibles sur place (37 pour cent) ou à cause de la fermeture des écoles (24%) ».
Concernant l’accès aux structures sanitaires, les résultats de l’enquête montrent que plus de la moitié (68 pour cent) des services médicaux se trouvent en dehors des lieux d’accueil. Les sites se trouvant dans les cercles du Gourma Rharous, Gao, Niono, San, Bourem et Tombouctou sont les plus touchés. D’où la nécessité de prioriser et de renforcer rapidement les services médicaux au niveau de ces différents cercles en cette période de pandémie de COVID-19.
Les partenaires arrivent à surmonter les difficultés liées à l’accès humanitaire pour fournir l’assistance
Bien que parfois compromis par endroits, l’accès humanitaire reste largement possible au Mali. Les interventions humanitaires se poursuivent dans toutes les localités du pays où elles sont nécessaires. Elles peuvent être temporairement limitées ou retardées par l’insécurité sans pour autant aboutir à une cessation complète. « Toutefois, il convient de noter que le niveau de déploiement des acteurs humanitaires varie d’une région à une autre. La présence des organisations est plus importante en nombre dans les régions touchées par les conflits notamment dans le nord et le centre du pays que dans le sud (cf. graphique). Cette situation pourrait s’expliquer, entre autres, par l’ampleur des besoins humanitaires, les fonds disponibles et les capacités d’adaptation aux conditions d’accès », souligne-t-il.
Les contraintes d’accès sont principalement causées par les activités des acteurs armés, les tensions inter communautaires, l’utilisation des engins explosifs improvisés et l’absence des autorités politico-administratives et des forces de défense et de sécurité dans certaines localités : « Au total, 180 incidents criminels ont touché des organisations humanitaires en 2019 comparativement à 58 incidents sécuritaires durant le premier trimestre de 2020. Des incidents, tels que les contrôles irréguliers, les détentions arbitraires de personnels humanitaires, les introductions par effraction dans les locaux des organisations humanitaires notamment à Ménaka, les menaces d’enlèvement et les vols de véhicules, continuent d’être rapportés dans le nord et le centre du pays ».
La menace relative aux engins explosifs improvisés, poursuit-il, dans les régions du nord et du Centre et les risques générés par les conflits inter communautaires, en particulier dans la région de Mopti, peuvent parfois bloquer ou ralentir les mouvements des organisations humanitaires et entraver l’accès des populations civiles aux moyens de subsistance et aux services sociaux de base.
De plus, les contraintes logistiques, notamment les infrastructures routières endommagées (par exemple la destruction des ponts) retardent aussi les interventions humanitaires, la libre circulation des populations ainsi que leurs accès aux services sociaux de base et aux moyens de subsistance : « L’accès humanitaire est aussi ralenti par certaines mesures barrières visant à freiner la propagation de la COVID-19 comme par exemple l’interdiction de regroupement qui se traduit par la nécessité d’étendre la durée de certaines opérations de distribution de vivres ou de biens non alimentaires ».
Malgré l’environnement de sécurité instable et le contexte de COVID-19, les acteurs humanitaires continuent de fournir une assistance dans le centre et le nord du Mali en utilisant des approches d’acceptation communautaires avec une adaptation à chaque contexte tout en respectant les principes humanitaires d’humanité, de neutralité, d’impartialité et d’indépendance.
1885 cas de COVID-19 dont 106 décès étaient notifiés au 16 juin
L’Ocha estime que l’actualité sanitaire reste marquée par la propagation de la COVID-19 : « Au Mali, le nombre de cas continue d’augmenter et de toucher toutes les franges de la population. De 28 cas et 2 décès au 31 mars, le pays est passé à 1 885 cas dont 106 décès au 16 juin. Au total, 10 758 prélèvements ont été analysés depuis le début de l’épidémie. Au 16 juin, 626 cas confirmés étaient en cours de traitement dans les différents centres de prise de charge et 8 patients transférés à l’étranger sur demande. Le pays a enregistré 1 145 personnes guéries à cette date ». Et d’ajouter que dans ce contexte, les partenaires humanitaires soutiennent les actions de prévention de la maladie et de prise en charge des cas. Au mois de mai, les premiers cas de COVID-19 ont été détectés sur un site de déplacement/famille d’accueil dans la région de Mopti. Les partenaires humanitaires ont élaboré une note d’orientation pour prévenir et renforcer la réponse à la maladie dans les sites de personnes déplacées internes et autres lieux d’accueil des déplacés. Ces lieux sont fortement à risque en raison de la promiscuité et des conditions sanitaires précaires.
« La pandémie arrive dans un contexte de crise sécuritaire et humanitaire affectant déjà plus de quatre millions de personnes. Elle aggrave ainsi les défis liés à l’accès aux services sociaux de base, à l’insécurité alimentaire et met en exergue la vulnérabilité des ménages dont les opportunités socio-économiques sont de plus en plus réduites.
L’insécurité couplée à l’épidémie de COVID-19 ont pour conséquence une baisse de la fréquentation des centres de prise en charge des cas de violences basées sur le genre (VBG). Sur 32 partenaires qui offrent des services de gestion des cas de VBG notamment en appui psychosocial et qui collectent des données, seuls 13 sont opérationnels (source: cartographie des services VBG, avril 2020). La prise en charge consistant à utiliser les cliniques mobiles pour assister les femmes et les filles à risque ou survivantes/victimes des violences basées sur le genre coûtent très chère. Aussi l’augmentation du nombre de nouveaux intervenants (y compris les intervenants humanitaires non traditionnels) à cause de la COVID-19 peut engendrer le risque d’avoir des cas d’exploitation et d’abus sexuels selon le sous cluster VBG.
Pour rappel, plus de 378 000 enfants sont affectés par la fermeture des écoles dans les zones touchées par l’insécurité. Actuellement, la mobilisation du secteur de la santé pour faire face à la COVID-19 a des conséquences négatives sur d’autres programmes essentiels de santé comme par exemple la vaccination, la prise en charge des victimes de violences basées sur le genre, l’accès à la santé maternelle et reproductive.
De plus, la crise économique engendrée par les mesures restrictives va accentuer la pauvreté à un moment où la période de soudure, en cours (de juin à août), est caractérisée par une hausse -de plus de 70 pour cent par rapport au début de l’année- du nombre de personnes en insécurité alimentaire sévère pour atteindre 1,3 million.
Mohamed Sylla