Siré SY est le président du think tank Africa WorldWide Group. Un think tank afro-centré sur les questions de géostratégie et de communication politique et qui vient de publier un livre »Afrique le modèle du monde: essai sur une géostratégie afro-centrée », paru en février 2018 . Il se prononce pour le Journal du Mali, sur le jeu des acteurs et sur les perspectives de l’élection présidentielle du 29 juillet 2018 au Mali.
Quelle lecture votre think tank fait-il de la conjoncture politique au Mali, à presque un mois de la présidentielle du 29 juillet ?
En à croire le secrétaire général du ministère de l’administration territoriale, Baba Hamane Maiga, lors de son point de presse tenu le 17 mai dernier, »les dispositions sont en cours pour sécuriser le pays pour que l’élection puisse se tenir à date indiquée, et qu’il n’y aucune raison qui puissent empêcher les 8 millions d’électeurs à voter le 29 juillet prochain ». D’un autre côté, notamment dans les rangs des observateurs et autres partenaires du Mali, on reste sceptique et on avance que l’administration malienne n’est pas encore en mesure d’organiser matériellement et techniquement l’élection présidentielle sur toute l’étendue du territoire national pour que le verdict soit acceptable pour tous les bords politiques. Il faut aussi noter que la tenue correcte du vote dans les régions du Centre et du Nord ne dépend pas exclusivement du Mali mais aussi de la France et de l’Algérie. La situation actuelle du Mali que je porte intensément dans mon cœur, est à l’image du drame cornélien qui met en avant une situation où le héros, ici le Mali, pris dans une impasse, ne peut trouver son salut, sans heurt, ni blessure morale, qu’à travers l’élévation. Car, dans une impasse étroite en termes de marge de manœuvre et sans possibilité de retour en arrière, seule l’élévation et la hauteur, permettent de voir la lumière. Cela demande au Mali et aux Maliens, une volonté, surtout morale, parfois un sacrifice de soi, et une ténacité inébranlable face aux défis.
On entend parler de plus en plus de crise post-électorale. Est-ce que l’atmosphère tendue entre l’opposition et la majorité ne constitue- t-elle pas déjà les prémices de la crise ?
On va vers une élection présidentielle avec beaucoup d’enjeux, d’incertitudes et de défis, comme il est de de coutume en Afrique où des tensions pré et post électorales ont souvent rythmé les processus électoraux. Toutes les autres élections se conjuguent au pluriel (les élections législatives, municipales, provinciales, territoriales…) sauf la présidentielle qui elle, se conjugue au singulier. Une élection présidentielle, c’est le rendez-vous d’un leader avec son peuple, c’est le rendez-vous d’un destin individuel avec une destinée collective, c’est le rendez-vous d’une vision et d’un projet de société avec les espérances et attentes collectives. C’est en somme, le rendez-vous d’un porteur d’enjeu avec des porteurs de voix. Pour le cas précis du Mali, comme c’est le cas de la plupart des Etats africains de langue française et à des exceptions près, c’est leur modèle politico-institutionnel qui secrète la violence politique et électorale. Le Mali a accusé du retard sur des réformes et ruptures qui auraient pût être prises et faites depuis longtemps. Son immense espace territorial qui était un avantage est devenu une contrainte.
Comment et en quoi le Mali a-t-il accusé du retard sur des reformes et ruptures qui auraient pût être prises et faites depuis longtemps ?
Dès lors que les pays subissent leur géographie mais font leur histoire, la réalité territoriale du Mali aurait dût inspiré aux pères fondateurs, d’oser une gouvernance du Mali de type régionaliste, avec des gouvernements régionaux autonomes et forts et un gouvernement national puissant et stratège. Le fait que le Mali ait hérité de la France et ait continué à perpétuer le modèle de fonctionnement de l’Etat jacobin, centralisateur, accaparateur voire même corrupteur, a fait que ce beau pays au beau peuple, est resté la République du Mali (un Etat administrateur et gestionnaire) alors qu’il y avait de l’espace pour inventer la République malienne (un Etat développementaliste et stratège). Le Mali n’est pas le seul pays dans ce cas de figure de ratage historique en Afrique et ce qui est arrivé au Mali et qui guette le Cameroun, est aussi ce qui est arrivé à des pays comme la RDC, le Soudan et l’Érythrée. L’autre conflictualité diffuse au Mali et qui est le lie de l’extrémisme violent au Centre et au Nord du pays, porte en elle même les racines profondes de ce qu’on appelle génériquement la crise malienne. Elle est relative à une cassure des ressorts du sinankuya malien, le vivre ensemble à la malienne entre différentes communautés. La classe politique malienne, les leaders d’opinions, les décideurs communautaires, les autorités traditionnelles et les chefs religieux, aujourd’hui plus que jamais, doivent se ressaisir. Dans l’un comme dans l’autre, toutes les attentions sont tournées vers le Mali car quand le Mali éternue, c’est toute l’UEMOA et le Sahel qui éternuent.
Est-ce que l’emploi par un grand nombre d’acteurs nationaux et internationaux du terme de ‘’crise post-électorale‘’, n’est pas un facteur de conditionnement du peuple malien à une possible crise ?
Ma réponse s’inscrit dans la continuité de mes précédents propos en ce sens que le Mali qui est à un tournant décisif dans sa trajectoire, est appelé à cette élection présidentielle, à se rappeler qu’il n’est pas n’importe qui et ne doit pas faire n’importe quoi. La République du Mali est à la fois héritière et fille de l’Empire du Ghana, de l’Empire du Mali, du Royaume Songhaï, du Royaume du Macina et de la Confédération touareg Iwillimidère de la Boucle du Niger. A titre d’exemple, l’empire du Mali, fut le plus vaste empire qu’ait connu l’Afrique noire et l’un des plus considérables qui aient existé dans le monde. C’est donc dire…Le génie du peuple malien réside au fait qu’à chaque fois sa situation ait été donnée pour désespérée, il a su la transformer en sortant le grand jeu. Et ceci depuis fort longtemps. Le Mali, un pays riche de toutes les richesses de son sol, de son sous-sol et de ses enfants, je n’en doute à aucun instant, démontrera encore à l’occasion de cette présidentielle de juillet 2019, sa vraie image, celle d’un peuple et d’une classe politique matures et très au fait des enjeux locaux et globaux. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas quelques heurts ici et là mais au finish, il y aura de quoi à être fier d’être malien au soir du 29 juillet 2018.
Quelles sont les cas de figures à envisager pour rendre possible votre optimisme pour le Mali ?
Il y a trois cas de figures qui sont possibles pour le Mali: la continuité, l’alternance ou l’alternative. Il y’a encore de la place au Mali, en termes de gouvernance politique et de management de la très haute performance, à expérimenter une Décentralisation à outrance, avec des pôles territoires en vue d’une territorialisation des politiques publiques, rempart pour retrouver l’unité nationale et l’intégrité territoriale. Pour éviter toute partition du pays et qui pourrait faire le bonheur des Autres. Le think tank Africa Worldwide Group que je préside et le Soudanais que je suis (il se définit comme un Soudanais de l’ex Fédération du Mali et un Africain), estiment que l’une des priorités de celui qui sera élu au soir du 29 juillet, c’est de refonder la gouvernance politique et d’inventer l’Etat malien, pour trouver une solution concertée autour de ces trois constantes: la gouvernance d’Etat institutionnalisé, la gouvernance légitime et le défaut de gouvernance. C’est donc au vaillant peuple malien, à lui seul et seulement, de décider de qui des candidats, présidera à sa destinée, les cinq ans à venir.
Votre think tank vient de publier en février 2018, un livre au titre évocateur »Afrique, le modèle du monde: essai sur une géostratégie afro-centrée ». Quelle est la substance du livre, en termes d’idées et de prises de position avancées et les axes de réflexion de votre think tank?
S’agissant de notre think tank (www.africaworldwidegroup.org), nous avons trois Départements: le Département de Géostratégie, le Département Politiques publiques et le Département Communication politique et Relations publiques. Notre méthodologie est: étudier en universitaire ; penser en politique ; parler en journaliste. S’agissant du livre, il est un essai en Stratégie et Prospective, dans une perspective afro-centrée. Ce livre a pour contenu et finalité, de (re) donner aux Africains et Africaines, une estime de Soi. Ce livre se veut aussi un outil d’aide à la décision pour nos Dirigeants et Décideurs dans une Afrique qui vit un tournant décisif dans sa trajectoire millénaire et cosmopolite. C’est le temps de l’Afrique. L’Afrique vit son temps. Il s’agit d’un temps appelé à survoler le temps pour s’inscrire dans la durée imputrescible des épopées sublimées, celles qui sont appelées à éclairer la marche du continent, la marche du monde. Cet essai se soucie de coller aux exigences de l’heure, de coller aux pulsions de nos pays riches de toutes les richesses de leur sol, de leur sous-sol et de leurs enfants. Le pari de contribuer à donner la vraie image de notre continent, l’image enthousiaste du vainqueur qui se réjouit de la victoire à construire méthodiquement, chaque jour, de la victoire lancinante et permanente sur soi.
A vous entendre parler, il y a de quoi être optimiste pour l’Afrique?
Si vous faites un peu attention, vous verrez qu’il y a une nouvelle dynamique enclenchée sur le continent et qui présage dans la plupart des pays et sur le continent, une reprise en main des destins de nos pays et de nos peuples pour renégocier la place de l’Afrique dans la mondialisation. C’est cette nouvelle dynamique d’une Afrique des possibles, longtemps absente des imaginaires, qui est en train de se construire lentement et méthodiquement sur le continent. Et c’est cette nouvelle dynamique, cette Afrique à l’horizon, qui a porté Georges Weah au Liberia, qui a porté Julius Maada Bio en Sierra Leone, qui a porté Macky Sall au Sénégal, qui a porté João Lourenço en Angola, qui a porté Cyril Ramaphosa en Afrique du Sud, qui a porté Adama Barrow en Gambie, qui a porté José Mário Vaz en Guinée Bissau, qui a porté Emmerson Mnangagwa au Zimbabwe…
Journal du mali