Le patron Afrique du géant chinois, Steven Yi, estime que « certaines jalousies s’expriment » contre le groupe, en situation de quasi-monopole sur le continent.
Le groupe chinois Huawei est l’équipementier leader des télécoms en Afrique où il a ouvert un premier bureau en 1997, en Egypte, suivi par le Zimbabwe et l’Afrique du Sud dès 1998. Aujourd’hui, l’entreprise, basée à Shenzhen dans le sud de la Chine, couvre tous les pays africains et dispose de dix-sept bureaux de représentations et de deux laboratoires de recherche en Egypte et en Afrique du Sud.
Huawei compte 9 000 employés en Afrique, dont 75 % d’employés locaux, sur 188 000 au total dans le monde. Son chiffre d’affaires sur le continent s’élève à 5,8 milliards de dollars (5,3 milliards d’euros), soit 5 % de son chiffre d’affaires mondial : 60 % via la vente d’équipements et de services et 40 % grâce à ses téléphones. Interdit de 5G aux Etats-Unis, au Japon ou encore en Corée du Sud, le groupe investit beaucoup en Afrique où il a déjà installé 100 000 kilomètres de fibre optique et 60 % des réseaux 3G-4G. Il traverse aujourd’hui une zone de turbulences compte tenu de la guerre commerciale avec les Etats-Unis et des accusations d’espionnage dont il est l’objet.
La semaine passée, plus de 28 000 personnes, dont de nombreux clients et une centaine d’opérateurs africains, ont été invitées à Shanghaï où se tenait la grande réunion annuelle du groupe, Huawei Connect. A cette occasion, le président de la zone Afrique-Moyen-Orient, Steven Yi, a répondu pour la première fois directement aux accusations.
Quelle est la stratégie de Huawei sur le continent africain ?
Avant tout, il s’agit d’apporter des solutions numériques, de créer un monde intelligent où tout est interconnecté, pour faciliter le développement économique du continent. Pour cela, nous avons une politique interne qui consiste à encourager nos employés à travailler en Afrique via des hausses de salaires et des primes. Nous favorisons aussi la promotion de nos cadres qui ont fait une partie de leur carrière sur le continent. Nous travaillons enfin à former des talents locaux : plus de 80 000 techniciens sont formés en Afrique par Huawei via des partenariats avec 300 universités.
Huawei est en situation de quasi-monopole en Afrique. Comment l’expliquez-vous ?
Nos clients africains choisissent d’abord en fonction de la qualité des produits et du service. Mais ce qui fait la différence c’est que nous sommes toujours présents, quelle que soit la situation, les guerres, les catastrophes naturelles ou les épidémies. Nous restons auprès de nos clients dans les moments difficiles et garantissons le bon fonctionnement des réseaux.
Souvent, en Afrique, en dehors des grandes villes, il n’y a pas de connexion 3G ou 4G, car cela coûte très cher aux opérateurs de déployer des antennes. Il faut au moins quinze ans pour amortir les investissements sur une station de base. Nous cherchons des solutions innovantes et adaptées à la réalité africaine. Par exemple, au Ghana et au Cameroun, nous avons installé des panneaux photovoltaïques qui alimentent en électricité la station permettant d’avoir accès au téléphone et à Internet. Le gouvernement pilote le projet et le coût des travaux et de la maintenance est partagé avec les différents opérateurs. Ainsi, l’investissement est amorti plus vite, en trois à dix ans seulement.
Quelles sont les répercussions pour vous, en Afrique, de la guerre commerciale et technologique avec les Etats-Unis ?
Nous sommes peu touchés. Nous avons enregistré une croissance de 23,2 % au premier semestre de notre chiffre d’affaires dans le monde [58 milliards de dollars au premier semestre 2019] et la trajectoire est comparable sur le marché africain. Les perspectives restent donc très positives.
Selon des informations du « Monde Afrique », Pékin a espionné pendant des années le siège de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba en Ethiopie, par le biais des équipements de télécommunications. Les regards se sont tournés vers Huawei. Que répondez-vous ?
Ce sont des accusations infondées et des rumeurs. Nous avons mené des enquêtes internes, procédé à des vérifications et nous n’avons trouvé aucun problème. Le président de l’Union africaine [Moussa Faki Mahamat] a tenu une conférence de presse le 7 février 2018 où il a lui-même dit que c’était faux et que la Chine n’avait aucun intérêt à espionner l’Union africaine.
Nous avons signé un mémorandum avec l’UA en mai pour prolonger notre contrat pour cinq ans. C’est bien la preuve que l’Union africaine n’a aucun soupçon à notre égard. Nous avons d’ailleurs des règlements internes qui interdisent à nos employés de travailler contre les intérêts de nos clients et de violer les lois locales. Si un employé enfreint cette règle, il est renvoyé.
Votre image a souffert de ces accusations. Quelles leçons en tirez-vous ?
Nous avons toujours été une entreprise transparente, mais le problème c’est que peu de gens cherchent à nous comprendre. Sur Internet, vous trouverez toutes les informations sur notre entreprise et les discours de notre président, Ren Zhengfei. Mais c’est vrai que nous nous sommes beaucoup concentrés sur le travail et que nous n’avons sans doute pas assez communiqué auprès des médias et de nos partenaires. La leçon que je tire est qu’il faut s’exprimer davantage pour éviter les malentendus.
Comment expliquez-vous les attaques contre Huawei ?
Aujourd’hui, nous sommes devenus très forts, excellents même. Peut-être que certaines jalousies s’expriment…
Des jalousies de la part de qui ?
Je ne sais pas qui sont ces personnes, ces entreprises ou ces entités qui nous attaquent. Peut-être pensent-ils que l’on se développe trop vite. Alors ils disent : « Ralentissez un peu pour nous attendre… » Nous ignorons leurs intentions. Je citerais simplement le président sud-africain [Cyril Ramaphosa]. Selon lui, ce sont les Etats-Unis qui ont lancé ces accusations contre Huawei, par jalousie.
Notre fondateur [M. Ren] a répété à plusieurs reprises que les entreprises occidentales prenaient leur café pendant que nous, nous travaillions. Nous investissons près de 15 % de notre chiffre d’affaires dans la recherche et le développement. Il y a très peu d’entreprises dans le monde qui investissent autant.
Si nous travaillons si dur, c’est parce que c’est nous qui détenons cette entreprise par le biais de nos actions [Huawei est détenue par 96 000 employés actionnaires et n’est pas cotée en Bourse]. C’est aussi la raison pour laquelle nous n’allons jamais rien faire contre l’intérêt de nos clients. Parce que si l’entreprise est affectée, c’est nous qui perdrons de l’argent.
La vidéosurveillance est-elle un marché important en Afrique pour Huawei ?
La vidéosurveillance existe partout, en France, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et bien sûr en Afrique. C’est une demande, un besoin, qui est mondial. Nous avons déployé un système de sécurité publique à Nairobi, au Kenya, et ce projet a permis de réduire la criminalité de 46 % selon les statistiques du gouvernement kényan.
Je suis allé récemment en Côte d’Ivoire où le gouvernement nous a fait une démonstration du même système. Un soir, un Européen s’est fait voler son téléphone en pleine nuit. Les coupables ont été retrouvés en deux heures, alors qu’avant il aurait été impossible d’intervenir. Les Africains doivent aussi pouvoir bénéficier de la vidéosurveillance.
L’Ethiopie va bientôt libéraliser son marché des télécoms. Allez-vous investir ?
En Ethiopie, la plupart des équipements sont déjà fournis par Huawei, surtout dans le domaine du sans-fil. Si le gouvernement prend cette initiative, alors bien sûr nous répondrons présent, mais en tant que fournisseur d’équipements pas en tant qu’opérateur
Sébastien Le Belzic (Shanghaï, correspondance)