Depuis plusieurs années, l’artiste malienne Rokia Traoré vit un drame familial et judiciaire d’une rare intensité. Enfermée dans une prison italienne, loin de sa terre natale, elle purge une peine de deux ans dans une affaire complexe qui l’oppose à son ex-mari belge. En jeu : la garde de leur fille. Cette situation, qu’elle décrit comme un véritable cauchemar, révèle un enchevêtrement de décisions judiciaires et d’injustices qui lui ont fait perdre non seulement sa liberté, mais aussi sa foi en des principes qu’elle croyait universels.
Bamada.net-Dans une lettre déchirante rédigée depuis sa cellule à Rome, Rokia partage son désarroi, ses peurs et sa lutte acharnée pour préserver ses enfants et leur dignité.
Une procédure contestée dès le départ
En mai 2019, Rokia reçoit un e-mail qui change sa vie. Une convocation émanant d’un tribunal de Bruxelles lui ordonne de comparaître pour une audience cinq jours plus tard. Vivant à Bamako avec ses deux enfants depuis 2016, elle se trouve prise de court. Aidée de son avocat au Mali et d’un confrère à Bruxelles, elle transmet au tribunal des preuves irréfutables attestant que ses enfants résident de façon permanente à Bamako : certificats de scolarité, attestations diverses et d’autres documents justificatifs.
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Cependant, ses efforts pour démontrer que la juridiction belge n’est pas compétente restent vains. Rokia découvre, avec une profonde amertume, que le respect des conventions internationales, comme celle de La Haye sur la garde des enfants, n’est pas une évidence. « Les tribunaux du pays de résidence habituelle de l’enfant devraient être les seuls compétents. Mais cela n’a pas suffi », écrit-elle avec douleur.
Une mécanique judiciaire implacable
Dès lors, Rokia et ses enfants sont confrontés à ce qu’elle décrit comme une machine judiciaire implacable. Mandats d’arrêt, arrestations humiliantes dans des aéroports européens, interrogatoires interminables : sa vie devient un cauchemar.
Elle raconte avec des mots chargés d’émotion les menottes, les chaînes aux chevilles, les regards durs des agents qui l’ont arrêtée à plusieurs reprises, parfois devant sa fille. À cela s’ajoute un chantage constant visant à l’obliger à conduire sa fille en Belgique. « Pendant cinq ans, je n’ai connu que la peur et l’épuisement. Tout cela pour répondre à une demande de son père, un homme qui n’a jamais participé à la vie de son enfant au Mali », explique-t-elle.
Son récit expose également un déséquilibre flagrant dans la manière dont certaines juridictions européennes traitent les cas impliquant des parents africains. « Pourquoi nos droits, ceux des parents vivant en Afrique, sont-ils systématiquement ignorés ? » s’interroge-t-elle.
Un combat pour ses enfants
Au-delà de ses souffrances personnelles, ce combat est surtout celui d’une mère prête à tout pour ses enfants. Rokia décrit son quotidien à Bamako avant que cette tourmente ne débute : une vie simple, rythmée par l’éducation de ses deux enfants, leurs activités scolaires et leurs jeux.
Aujourd’hui, ces moments de bonheur semblent loin. Pourtant, elle s’accroche à ces souvenirs pour continuer à se battre. « Mes enfants sont ma seule force. Malgré la peur, je dois rester debout pour eux. »
Une affaire qui questionne
L’affaire Rokia Traoré n’est pas seulement une tragédie personnelle. Elle soulève des interrogations fondamentales sur le fonctionnement des systèmes judiciaires internationaux, en particulier lorsqu’il s’agit de différends transfrontaliers impliquant des parents africains et européens.
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Pourquoi un tribunal belge a-t-il été habilité à traiter une affaire concernant un enfant vivant en Afrique ? Pourquoi les preuves et décisions des juridictions maliennes ont-elles été balayées d’un revers de main ? Pourquoi le père, citoyen belge, a-t-il bénéficié d’un tel soutien judiciaire alors qu’il n’a jamais montré d’intérêt concret pour le bien-être de sa fille ?
Ces questions restent en suspens, mais elles révèlent des biais profonds dans la manière dont les conflits familiaux internationaux sont parfois abordés.
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Fatoumata Bintou Y
Source: Bamada.net