Daba Diawara, véritable mémoire des réformes institutionnelles au Mali, continuera à s’opposer de toutes ses forces au projet de révision constitutionnelle. Le président du parti pour l’indépendance, la démocratie et la solidarité (Pids) est d’autant plus engagé qu’il a la ferme conviction que « les propositions faites dans ce projet ouvrent la possibilité à aller à la dislocation et à la partition du Mali par des voies détournées ». Dans une interview exclusive accordée à L’Aube, l’ancien ministre de la Réforme de l’Etat et non moins directeur du Centre d’études et de recherches sur les institutions politiques et administratives africaines fait une lecture claire du projet de révision initié par le président IBK. Des incohérences aux mensonges dissimulés dans les articles, en passant par les divergences entre le projet de révision de 2011 et l’actuel texte, la mise en œuvre de l’accord d’Alger, la situation sécuritaire, l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle… On en retient que «certes, en 2011, il était prévu que le président de la République définisse la politique de la Nation, mais il pouvait être destitué par le parlement et privé du droit de briguer, éventuellement, un second mandat par une Haute Cour de justice qui ne comportait de sénateurs nommés». Exclusif !
L’Aube : Depuis un certain moment, le projet de révision constitutionnelle suscite des débats, parfois houleux. Quelle analyse faites-vous sur le sujet ?
Daba Diawara : Je suis partisan du NON au référendum. Mon parti s’oppose à la révision constitutionnelle envisagée par le pouvoir en place, pour divers raisons que nous avons eu l’occasion de développer. Nous nous allons continuer, comme la démonstration en a été faite lors des marches du 17 juin et du 15 juillet 2017, à mobiliser nos militants pour que le pouvoir puisse comprendre que le moment n’est pas opportun pour organiser une révision constitutionnelle. Et on continuera à dire que le texte présenté est mauvais et qu’il ne peut pas obtenir notre assentiment.
Je crois que l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle nous conforte dans notre démarche. Cet arrêt donne à la fois des réponses politique et juridique aux problèmes qui ont été posés. Quand cette Cour dit que l’article 118 de la constitution n’est pas violé, il s’agit là d’une décision plutôt politique qui vise tout simplement à corroborer ce que le gouvernement et ses partenaires disent avoir fait pour que le Mali retrouve l’entièreté de son intégrité territoriale. Tout le monde sait que ce n’est pas la réalité. Il est clair que la situation ne permet pas l’organisation d’un référendum dans la mesure où Kidal constitue une entité indépendante et l’Etat n’est présent dans les régions de Ménaka, Gao et Tombouctou que par le bon vouloir des groupes armés. Et on nous avait fait croire que tout rentrerait dans l’ordre et que l’administration retournera à Kidal le 20 juin 2017. Nous sommes aujourd’hui le 22 juillet, Kidal n’est toujours pas dans le giron de la République.
Mais la Cour ne pouvait pas dire la vérité, car elle aurait reconnu qu’il y a un échec patent dans l’application de l’accord d’Alger.
Aussi, la Cour a dit que le gouvernement PEUT, au lieu de DOIT faire le référendum. Donc ceux qui contestent le référendum peuvent continuer à mener des actions pour faire renoncer le gouvernement à ce projet de révision constitutionnelle.
La réponse juridique est que la Cour a indiqué dans son arrêt que le texte adopté par l’Assemblée ne peut pas être soumis à un référendum. Elle rejette donc, purement et simplement, la mouture actuelle. Pas seulement des articles particuliers, mais l’ensemble du texte. Ce qui est une victoire pour l’opposition qui a pu faire renvoyer le référendum, prévu pour le 9 juillet dernier.
Cependant, je trouve incompréhensible que la Cour constitutionnelle dise, dans son avis, qu’il est porté atteinte à l’intégrité territoriale quand seulement les forces étrangères occupent le territoire. On dit que cette disposition a été héritée de la constitution française, mais personne ne dit laquelle. Eh bien, c’est une disposition qui a été prise immédiatement après la deuxième guerre. Elle se trouve dans la constitution de 1946 dont elle constitue l’article 124. Qui dit au cas d’occupation de tout ou partie du territoire métropolitain par des forces étrangères, aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie.
Maintenant, qu’on m’explique si c’est simplement par pure caprice et sans autre conséquence que le constituant de 1958 a préféré substituer à « l’occupation de tout ou partie du territoire métropolitain par des forces étrangères » à « l’atteinte portée à l’intégrité du territoire national » (article 89 de la constitution de 1958). Vous voyez que le constituant ne parle plus de forces étrangères dans la constitution de 1958. Pourquoi ? Je pense qu’il y a des raisons.
Ou mieux encore, qu’on m’explique par quel miracle les groupes armés des Iyad, Algabass et Bilal Ag Chérif, qui étaient des forces étrangères en 2012, sont devenues maliennes aujourd’hui. Le 19 mars 2012, j’étais en campagne pour le referendum à Kidal, en compagnie des ministres Kafougouna Koné et Sidiki N’Fa Konaté. Et nous avons continué sur Gao, Tombouctou et Mopti. Après la tournée, Kidal, Gao et Tombouctou sont tombées après le coup d’Etat du 22 mars et pas avant. Et, quand la Cour constitutionnelle n’a pas peur de dire « qu’ainsi, au constat de l’occupation effective, d’alors, d’une large portion du territoire national par des forces diverses dont certaines d’origine étrangère, cette autre tentative (celle de 2012) n’avait pu être poursuivie ». Je crois rêver !
Du côté du gouvernement et ses soutiens, on prétend pourtant que ce texte est similaire à celui que votre commission a élaboré en 2011. Que répondez-vous ?
Par rapport à ce projet, j’ai été sollicité par la commission des Lois de l’Assemblée nationale pour donner mon avis. Je les ai indiqués que le travail que j’ai fait est contenu dans la Loi adoptée le 4 août 2011. Et que cette Loi est différente de celle que la présente législature a adoptée. Pourquoi ?
Dans le rapport de ma commission, vous ne trouverez nulle part que le président de la République nomme le tiers des sénateurs. Notre projet prévoyait un sénat qui participait pleinement à l’activité législative du parlement. Or, il se trouve que dans le texte actuel, la part que le sénat doit prendre dans l’activité législative a été ramenée à la portion congrue. Pratiquement, le sénat n’aura à intervenir que sur un très petit nombre de questions par rapport aux matières qui relèvent du domaine de la Loi.
Certes, il y était prévu que le président de la République définisse la politique de la Nation, mais il pouvait être destitué par le parlement et privé du droit de briguer, éventuellement, un second mandat par une Haute Cour de justice qui ne comportait de sénateurs nommés. Et la mise en accusation était votée par chacune des assemblées au scrutin secret et non à main levée, comme le prévoit l’actuel projet. Le caractère secret du vote peut donner plus de liberté aux gens d’exprimer ce qu’ils pensent. Mais quand la mise en accusation est votée par un scrutin à main levée, cela permet de faire jouer certains automatismes qui ne sont pas favorables à la démocratie.
Aussi dans mon rapport, le président pouvait être poursuivi, non seulement pour haute trahison, mais aussi pour les faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de ses fonctions. Ce que la loi IBK a écarté, pour de bonnes raisons, peut-être.
Au-delà, voyez l’article 36 de la loi qui a été adopté par l’Assemblée nationale. Cet article nous renvoie à une situation comparable à celle que vit aujourd’hui la République démocratique du Congo. Puisqu’il permet de renvoyer indéfiniment les élections jusqu’à ce que le pouvoir estime que les conditions sont réunies pour organiser des élections. En clair, il est dit à cet article que l’élection du président de la République peut être reportée à une date postérieure à l’expiration de ses pouvoirs pour cas de force majeure constaté par la Cour constitutionnelle, saisie par le chef du gouvernement.
Ce qui peut faire croire que la prolongation du mandat ainsi ouverte ne concerne que le cas de l’intérim, comme on l’a vu après le coup d’Etat du 22 mars 2012. Mais, une autre lecture attentive de l’alinéa 6 dudit article 36 révèle que l’innovation concerne aussi un président en exercice. Cet alinéa est ainsi libellé « Si l’application des dispositions du présent article a eu pour effet de reporter à une date postérieure à l’expiration des pouvoir du président en exercice, celui-ci ou son intérimaire dans les cas prévus aux alinéa 1 et 2 demeure en fonction jusqu’à l’investiture de son successeur ». Laquelle est tributaire d’une élection qui peut toujours être différée pour cas de force majeure.
Il y a également l’article 57 qui ne met pas le statut des collectivités ni dans les matières susceptibles de révision ni dans les matières qui peuvent être révisées par le référendum. Alors que si vous vous rappelez, tout ce qui concernait le statut des collectivités a été rejeté par l’Assemblée nationale. On peut dire que le gouvernement s’est entendu avec la CMA pour enlever cette partie. Qui à les remettre par la voie du congrès, parce que ce sont des textes qui pourront consacrer la dislocation, la partition du Mali.
Fondamentalement, pour ces raisons nous demeurerons opposer à ce projet de révision constitutionnelle.
Il se dit que cette révision est indiquée par l’Accord d’Alger. Qu’en dites-vous ?
On est en train de faire croire aux chefs religieux et traditionnels que la création leur permettrait d’entrer en politique, sans passer par les élections. Et que l’accord d’Alger prévoirait cela. Il n’en rien. L’article 6 de l’accord d’Alger, qui traite de cela, ne fait aucune allusion à la nomination de chef traditionnel ou religieux au niveau du sénat. La seule disposition de cet accord où il est question de représentants des notabilités traditionnelles, c’est au niveau du Haut conseil des collectivités. Je lis le passage : « à court terme, prendre des mesures dans le sens de l’ouverture du Haut conseil des collectivités, notamment aux représentants de notabilités traditionnelles, aux femmes et aux jeunes ». A propos du Sénat, on dit simplement de « réactiver et dynamiser le processus de mise en place de la deuxième chambre du parlement sous la dénomination de Sénat, de conseil de la nation ou toute appellation valorisante de sa nature et de son rôle et d’en faire une institution dont les missions ou la composition favorisent la promotion des objectifs du présent accord ». Aucune allusion n’est faite aux autorités traditionnelles.
Il se trouve que la Loi de révision supprime justement le Haut conseil des collectivités. D’ailleurs, on peut dire que le gouvernement viole l’accord d’Alger, quand il dit que ces gens doivent aller au Sénat au lieu du Haut conseil des collectivités qui est un organisme consultatif à la différence du Sénat qui est un organe qui fait partie du parlement.
Les divergences sont actuellement énormes entre ceux qui contestent cette révision et le camp présidentiel. À votre avis y a-t-il une solution pour que les partis se retrouvent ? Si oui, laquelle ?
J’ai été l’initiateur d’une révision de la constitution, donc j’estime que la constitution de 1992 doit être révisée. Mais je dis seulement que ce n’est pas le moment, parce que, d’une part, la situation du pays ne le permet et, d’autre part, les propositions qui ont été faites ne servent pas l’intérêt du Mali. Ces propositions ouvrent la possibilité à aller à la dislocation et à la partition du Mali par des voies détournées. Ce que je refuse de cautionner.
Au niveau de l’opposition, on a toujours demandé une grande concertation pour que tout le monde puisse donner son avis sur ce que doit être aujourd’hui l’Etat du Mali. Quel Mali on doit avoir pour faire face à la situation que nous connaissons et qui est tout à fait différente de ce que notre pays vivait en février 2008 quand j’ai fait mon rapport au président de la République ?
J’estime qu’il a lieu de remettre les gens ensemble, d’écouter tout le monde et de prendre les dispositions pour qu’au retour de la paix, nous puissions ensemble avoir un consensus sur un texte.
Que dire de la mise en œuvre de l’accord d’Alger ?
Comme nous l’avons toujours dit, cet accord n’est pas bon pour le Mali. La preuve est en train d’être donnée que nous ne sommes pas trompés, puisque l’accord n’arrive pas être appliqué. On avait parlé d’une période intérimaire de deux ans, aujourd’hui rien de tout ce qui avait été prévu pour cette période n’a été réalisé.
Les attaques continuent. La Cour constitutionnelle parle d’insécurité résiduelle, mais lors de la marche du 15 juillet, il y avait des affiches qui indiquaient exactement le nombre de personnes tuées depuis le début de l’année. Et même ce matin (ndlr, vendredi), de nouvelles localités ont été attaquées. La présence de la Minusma et autres n’ont pas permis de ramener la paix et la quiétude au Mali. Peut-être qu’il faut un dialogue national pour trouver les vraies solutions.
En réalité, est ce que le président IBK a-t-il le choix d’autant que beaucoup d’observateurs, et même Me Céccaldi, affirment qu’il fait l’objet de pression extérieure ?
Si Céccaldi le dit, c’est qu’il le sait, puisqu’il a participé à l’élaboration de ce texte-là. Le Mali est sous pression, puisqu’il n’a plus la maîtrise de son territoire. C’est ce qui met le pays en difficulté aujourd’hui. Le Mali ne peut plus assurer la sécurité de ses populations, il est obligé de faire appel à la Minusma et aux forces françaises. Il a même été obligé de signer un accord défense avec la France. Toutes choses qui indiquent clairement que le Mali ne jouit plus totalement de sa souveraineté d’Etat indépendant. Même pour aller à Gao, il faut avoir l’autorisation de la Minusma, il faut emprunter ses avions… Dans la lutte contre les terroristes au nord, on parle toujours des forces Barkhane. C’est toujours des opérations françaises qui éliminent les terroristes. Rarement on entend dire que les forces armées maliennes ont abattu des terroristes dans cette partie.
C’est pour toutes ces raisons que nous disons que le Mali est sous occupation de forces étrangères, même si celles-ci sont venues avec l’accord du Mali. Parce que ce sont ces forces étrangères qui permettent aujourd’hui à l’Etat du Mali d’exister. et c’est de là que peut venir, à mon avis, la pression.
Les pays du Sahel ont décidé de prendre en main leur destin sécuritaire avec la création du G5 Sahel. Est-ce que cela donne de l’espoir?
Cela nous donne de l’espoir, mais ça nous rappelle simplement qu’avant 2011, le président Amadou Toumani Touré avait souhaité que les pays qui sont aujourd’hui dans le G5 se mettent ensemble pour faire face au péril qu’il sentait venir. Et il disait que le Mali seul ne pouvait pas faire face au terrorisme. C’est une bonne chose que les gens aient finalement compris qu’il faut se mettre ensemble contre l’ennemi commun. Je pense que c’est un vieux projet qui doit contribuer à sécuriser l’ensemble du sahel.
Pour avoir usé de votre droit de réponse à un article publié dans un journal de la place, vous avez fait l’objet de critiques notamment sur les réseaux sociaux. Qu’est-ce vous en pensez ?
Tout ce qui est excessif est vraiment insignifiant. J’ai joui de mon droit de réponse pour réfuter certains passages d’un article, et toute la réponse qu’on trouve à me faire, c’est de m’injurier, insulter mes parents… On essaye même de me faire passer pour un faux expert. De tel comportement, à mon avis, ne sert pas notre démocratie. Et moi je me mets au dessus de ces choses-là. Qu’ils donnent simplement des arguments qui démontrent que ce que j’ai dit est faux.
En tout cas, je continuerai à m’opposer de toutes mes forces à ce projet.
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