Un fils de président africain asphyxié par de la poudre d’extincteur, quatre faux policiers cagoulés et armés, des confettis de pistolet électrique Taser sur le sol, et une montre-bracelet Tissot arrêtée à 6 h 36, autant d’indices découverts le 2 juillet 2007 sur les lieux du crime contre Brahim Déby dans le parking de sa résidence à Courbevoie (Hauts-de-Seine). Au 7e étage, l’appartement de ce noctambule friqué âgé de 27 ans a été «méticuleusement fouillé» selon Me Joseph Cohen-Sabban, «le tablier de la baignoire démonté». Cet avocat de la famille explique d’entrée de jeu qu’il ne s’agit pas d’un crime politique ni d’un règlement de comptes lié à la drogue mais d’un«mobile purement crapuleux». Il imagine alors «un complice du crime dans l’entourage de parasites et de pique-assiette» de Brahim Déby. L’enquête de la brigade criminelle lui a donné raison.
Le complice supposé, c’est Pierre-Claude M., 27 ans, alias «PC», sans profession officielle mais soi-disant «manager artistique» qui évolue dans le cercle des profiteurs acoquinés au fils du président tchadien Idriss Déby et a pu ainsi fournir des renseignements à son loueur de limousines. L’organisateur présumé de ce coup pour remonter ses finances «dans le rouge», c’est Dan B., 30 ans, qui tient une société de location de véhicules de luxe à Paris appelée Select Car. Son «associé», Marin C., Roumain de 27 ans, se prétend «conseiller en affaires». Jaime C., 28 ans, mécanicien portugais d’Argenteuil et Najebe O., 29 ans, ancien joueur de foot devenu marchand de biens, ont été recrutés pour attaquer Brahim Déby. La juge Brigitte Cornec-Leclercq les a renvoyés le 13 avril devant la cour d’assises pour «vol avec violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner» et «PC» pour complicité.
Alcool, drogue et nuits blanches
A la brigade criminelle, les enquêteurs du groupe Dieppois (du nom de son chef) ont commencé par explorer la vie mouvementée de la victime. Ce fils unique de la première femme du président de la République du Tchad, Idriss Déby Itno, était le «dauphin» tombé en disgrâce. Après des études à Montréal et une maîtrise de gestion, Brahim Déby a servi son père comme secrétaire particulier et sténographe. Avant d’être détrôné, en septembre 2005, par la brillante Hinda, la seconde épouse de son père qu’il lui avait présentée. Rétrogradé au poste de conseiller technique à l’aménagement du territoire, à l’urbanisme et à l’habitat, Brahim Déby a plongé dans l’alcool et la drogue, les nuits blanches et les relations éphémères. «PC lui a fait raquer 20 000 euros de champagne lors d’une soirée et, une nuit trop chaude, payer un ventilateur portatif pas loin de 2 000 euros», explique un officier de police judiciaire : «Brahim Déby claquait entre 100 000 et 150 000 euros par mois.» Lors d’une virée à Paris au VIP Room, boîte branchée du quartier des Champs-Elysées, le 2 juin 2006, Brahim Déby a été mêlé à une bagarre déclenchée par les lignes de coke qu’il prenait sur la table d’un salon. Un pistolet automatique a glissé de son pantalon. Une arme illégale importée en France dans la valise diplomatique. Chez lui, les policiers ont découvert 375 grammes de cannabis et 2 grammes de cocaïne. Au procès, Me Max Ahoueké a plaidé l’indulgence pour «ce jeune Déby» qui porte un flingue par«réflexe» comme au Tchad et reste «un peu inconscient de ce qu’il fait» :«Ce sont des enfants gâtés qui n’ont pas atteint la maturité de leur âge.»Brahim Déby a été condamné à six mois de prison avec sursis pour détention d’arme prohibée et de stupéfiants. Le soir même, le président tchadien a mis fin aux fonctions de son fils, qui a perdu son immunité diplomatique, et lui a coupé les vivres.
Devenu businessman, Brahim Déby rentrait des Etats-Unis le 22 juin 2007 et partait à Saint-Tropez, le 2 juillet. Sa dernière nuit, ce fils à papa l’a passée à s’ennivrer et à sniffer de la coke au Carré Washington en compagnie de son fidèle chauffeur Diakarya, de son inséparable factotum Nourredine et d’une charmante «commerciale», Hadia. Après un dîner dans un restaurant africain du Châtelet et pas loin de 4 000 euros claqués, le «patron» a été ramené avec sa belle à bord de sa Mercedes de location par son chauffeur qui les a déposés à 6 h 30 dans son parking. Selon Hadia, des hommes cagoulés et gantés qui portent des brassards de police et des armes de poing les ceinturent, les font tomber et les attachent. Ils les conduisent dans un escalier de secours sans lumière, lui vers la porte d’accès, elle sur le palier. Elle entend des coups infligés à Brahim Déby et des chuchotements à propos des clés de son appartement. Détachée et libérée dix minutes plus tard, Hadia cherche en vain à avertir Nourredine de «l’interpellation policière» de Brahim Déby.
Une Mini Cooper d’un modèle rarissime
Les enquêteurs du groupe Dieppois entendent des «connaissances» de la victime comme Pierre-Claude, dit «PC», organisateur de soirées qui arrive au 36, quai des Orfèvres en octobre 2007 à bord d’un énorme 4×4 américain Hummer. «Comme PC aime en jeter plein la vue, il se vante que ce Hummer appartienne à sa société River Choc, domiciliée 71-73 avenue des Ternes»,raconte un commandant :«Sur le moment, on ne prête pas trop attention à cette information qui s’avérera capitale par la suite.»Pour l’instant, les policiers interrogent PC sur des extorsions de fonds pratiqués par un certain «Steve», un méchant qui a «mis à l’amende» deux fidèles de Brahim Déby au nom d’une fille, «Angie», que le richissime Tchadien aurait engrossée. Steve n’a pas pu approcher Brahim Déby mais a pu entrer en contact avec son chauffeur et son factotum via PC. Steve a touché «plusieurs fois 5 000 euros pour payer l’avortement d’Angie à l’hôpital». Après ce racket passé par l’intermédiaire de PC, Brahim Déby s’en est séparé. Les policiers ont passé huit mois sur la piste de Steve avant de l’exclure du meurtre : «Son trafic téléphonique le situe la nuit du crime à l’opposé de Courbevoie et son physique ne correspond pas aux silhouettes vues sur la vidéosurveillance.»
Sur les images – «de très mauvaise qualité, manque de pixels» – captées par les caméras de l’immeuble, les enquêteurs se sont crevés les yeux à repérer quatre voitures aux immatriculations indistinctes et quatre personnages tout aussi suspects au visage flou. La Smart noire, avec des jantes Sportline, qui arrive le 2 juillet à 0 h 52 et ressort du parking à 7 h 18 est pilotée par «un grand mince en tee-shirt rose avec un chiffre 7 dans le dos» et occupée par«un petit baraqué en kaki». Ces deux Européens ont été également filmés dans l’ascenseur, visière de casquette rabattue, en train de monter au 7eétage. Les policiers apprendront bien plus tard le nom de monsieur Rose, Jaime C. qui porte en réalité un maillot de football rouge avec le n°7 vert de Ronaldo, le héros de son équipe nationale du Portugal. Ils voient un Noir costaud, en combinaison de moto, qui a ôté sa cagoule à 6 h 49 pour retrouver les clés de Brahim Déby tombées de ses poches. Ils avisent aussi«un gros» Blanc – en Renault Twingo noire sans enjoliveurs à l’avant – qui perd sa montre Tissot pendant l’agression et trouveront dessus l’ADN de Marin C. le Roumain.
Si les Smart et les Twingo courent les rues, c’est une rarissime Mini Cooper apparue dans le circuit qui conduit les enquêteurs sur la bonne piste. Selon le fabriquant BMW, de telles Mini Cooper S3 noires à toit blanc avec des jantes aux dessins particuliers (barres et ovales) appelés «Web Spoke»,«il n’y en a que sept en France», jubile un officier : «On va voir en Bretagne le premier de la liste qui se souvient avoir loué ce véhicule de luxe à Select Car, sis 71-73, avenue des Ternes à Paris. La même adresse que River Choc, la société de PC venu frimer avec son 4×4 Hummer. C’est un coup de Trafalgar, un virage décisif. Enfin, la Mini Cooper suspecte recoupe un personnage sulfureux de l’entourage de la victime : PC. Champagne !»
Reste à savoir qui utilisait la Mini Cooper aperçue en repérage dans le parking de Courbevoie, le 29 juin. Au siège de Select Car, les enquêteurs apprennent que ce véhicule était loué depuis janvier 2007 à l’avocat du «milieu», Karim Achoui, de réputation douteuse ! Ils croient à un gag. Cependant, Me Achoui a restitué la Mini Cooper le 27 juin après avoir essuyé un règlement de comptes au 11,43, le calibre des bandits. Dan B., le gérant de Select Car, s’avoue «incapable de savoir à qui il l’a louée après». Mais son nom apparaît dans le carnet téléphonique de PC et «son physique ressemble étrangement au petit baraqué en kaki». Les «facdet» (facturations détaillées) démontrent que Dan B. et PC se sont téléphonés 106 fois au cours des derniers dix jours de Brahim Déby : «C’est le 2e jack pot. Avec les facdet, on scanne tous leurs contacts, tous les noms, les véhicules de ces gens, on les localise et on remonte.»
Attaché avec du serre-flex
Le 26 novembre 2008, quatre suspects ont été arrêtés en région parisienne puis le cinquième en Roumanie, qui a été extradé en France. Les aveux de Dan B., de Jaime C. et de PC ont permis de reconstituer le scénario. Le loueur de limousines Dan B. qui a du mal à boucler les fins de mois a été rencardé par PC sur les habitudes de Brahim Déby qui a toujours«énormément de cash sur lui et chez lui dans une malette».
Dan B. a mijoté un plan avec le Roumain Marin C. Pas question de tuer Brahim Déby, juste de l’agresser pour le dépouiller et lui piquer ses clés pour trouver les billets planqués chez lui. Dan B. a recruté deux hommes de main : Jaime C. le Portugais «vaillant et correct» qui répare ses voitures a accepté en échange de 10 000 euros et Najebe O. le marchand de biens métis au«physique de boxeur» pour effacer sa dette de 21 500 euros. PC a donné l’adresse de Brahim Déby à Dan B. puis l’a averti, le 2 juillet, de sa sortie du Carré Washington. Les quatre ont attendu Brahim Déby au 2e sous-sol du parking, lui ont sauté dessus, l’ont attaché avec du serre-flex.
Dan B. avoue lui avoir donné des «coups de coude» et des décharges de Taser, puis lui avoir volé dans ses poches, plus de 50 000 euros. Ce «petit baraqué en kaki» a pris l’ascenseur avec son mécano Jaime en maillot de foot, a fouillé de fond en comble l’appartement de Déby sans trouver la malette, juste une bague et une montre.
Partis de leur côté, Dan B. et Jaime C. n’ont appris la mort de Brahim Déby qu’au point de rendez-vous. Les choses ont mal tourné dans le garage. Selon eux, Marin C. aurait aspergé le réduit où se trouvait Brahim Déby de poudre d’extincteur «pour effacer les traces de doigts et d’ADN» puis, le voyant suffoquer, aurait tenté de le réanimer. Sans y parvenir. Le Roumain conteste tout, Najebe O. aussi. A l’agence de location de limousines, les quatre voleurs se sont finalement partagés le butin. C’est-à-dire l’argent de poche du fils du président tchadien : 50 000 euros.