Sous une pression intense des partenaires du Mali, dont la France et les USA, le gouvernement malien veut rassurer de sa bonne foi d’organiser, le plus tôt possible, des élections crédibles, transparentes et démocratiques en vue de doter le pays d’institutions légitimes pour une sortie rapide de la crise. Mais, à l’allure où évolue le processus, la Commission électorale nationale indépendante (CENI), chargée de superviser le processus, vient de constater que les délais fixés pour l’organisation du scrutin présidentiel, c’est-à-dire les 7 et 21 juillet pour les deux tours, sont difficilement tenables. Ce qui aurait valu aux responsables de cette institution des reproches du Gouvernement.
De sources dignes de foi, ce n’est pas actuellement le grand amour entre les autorités gouvernementales et les premiers responsables de la CENI. L’institution que dirige Mamadou Diamoutani ne veut pas taire ses appréhensions sur le risque de report qui devient flagrant. Le président de la structure chargée de la supervision des élections vient de mettre le pied dans le plat en envoyant une correspondance au chef du gouvernement, Diango Cissoko pour lui signifier qu’ »il est difficile de tenir les délais indiqués » dans le chronogramme communiqué par le ministère de l’Administration territoriale. Ce chronogramme fixe la date du premier tour de l’élection présidentielle au dimanche 7 juillet 2013. Ce à quoi le chef du gouvernement aurait rétorqué que la CENI a pour mission la supervision des opérations électorales. Elle ne saurait s’arroger le droit d’apprécier si oui ou non le chronogramme fixé va être respecté. Ce qui crée de facto un climat de chienlit entre la CENI et les autorités de la transition, qui, conscientes du manque de temps suffisant pour une organisation optimale des élections, veulent donner la preuve de leur bonne foi jusqu’au bout. Avant de faire constater à tous les observateurs qu’à l’impossible nul n’est tenu !
Joint par nos soins, un membre de la CENI a reconnu que le gouvernement a été saisi par une lettre faisant état des inquiétudes par rapport au retard pris, notamment en ce qui concerne le fait que « les cartes NINA ne sont pas encore produites« . Il n’a pas souhaité en dire plus estimant que la CENI sera bientôt en conférence de presse pour expliquer ses inquiétudes. Il a, par ailleurs, indiqué que la CENI est en discussion avec le gouvernement par rapport à ses préoccupations.
Soulignons que pour des raisons de transparence, le gouvernement a décidé de procéder à la distribution des cartes (NINA), dont la commande vient d’être faite, à titre individuel et non par personne interposée, par village, fraction, quartier, ambassade ou consulat. En clair, la présence physique du citoyen est exigée pour l’accès au document.
Il faut préciser qu’à la date du 15 février 2013, ce sont 6,8 millions de personnes qui avaient leurs photos dans la base de données du RAVEC sur la base duquel, la carte NINA sera conçue. Et il restait celles de 350.000 autres personnes. Bref, ce sont presque 7 millions de maliens auxquels, l’ont doit individuellement remettre les cartes dans un délai minimum de 3 mois. Et ne parlons pas des éventuelles corrections consécutives aux réclamations et omissions. Aussi, ces cartes dites biométriques donc fiables, laissent cependant apparaître des failles: le bureau de vote du détenteur n’y est pas identifié; le support juridique, qui est un élément indispensable est faible (nationalité, identification et l’adresse des parents)… Toutes choses susceptibles de constituer des marges d’erreurs à corriger éventuellement. Et un diplomate accrédité à Bamako de commenter :
« Nul n’ignorant la situation actuelle dans le Sahel, l’on se demande alors comment le gouvernement parviendra, dans un délai aussi court, à concevoir, corriger et remettre individuellement lesdites cartes à leurs titulaires. Les distribuer par personnes interposées (chefs de famille, de quartiers, de fraction, etc.) ne sera pas sans risque de détournement, de trafic et à l’origine d’éventuelles fraudes lors des scrutins Sans compter que plus de 800.000 Maliens sont aujourd’hui réfugiés dans les pays voisins (Burkina, Niger, Mauritanie, Algérie…). Il est question de les retrouver et de leur remettre physiquement leur document à titre individuel « . Par rapport à toutes ces difficultés, nombreux sont les acteurs et partenaires qui commencent à émettre des réserves sur le respect des délais de juillet 2013. Lors de la récente réunion du Groupe de contact et de suivi sur la crise malienne à Bamako, le ministre des Affaires étrangères du Niger, Mohamed Bazoum, après l’annonce de la date de juillet 2013, par le président intérimaire du Mali, a tout simplement laissé paraître un certain doute : « Aujourd’hui, il y a eu une certaine substance dans l’information, relativement aux élections, qui nous a été donnée, pas plus. Mais évidemment, entre les exposés que l’on peut faire et la situation réelle, il se peut qu’il y ait un décalage. »
Pour sa part, le premier ministre Django Cissoko, déclarait, le 25 mars 2013, à l’occasion de la première réunion du comité de suivi de la mise en œuvre de la feuille de route pour la transition, que « le Gouvernement est déterminé à organiser ces élections à la période (juillet 2013)… Toutefois, je crois ne contrarier personne ici en disant que la libération totale des zones occupées et leur sécurisation, dans un délai très court, ainsi que la mobilisation à temps des ressources financières nécessaires à la tenue de ces élections restent des défis majeurs à relever… ».
Pour sa part, le président de l’Assemblée Nationale, Younoussi Touré, dans son discours d’ouverture de la session parlementaire du mois d’avril, a laissé entendre qu’il ne peut pas y avoir d’élection si tout le territoire n’est pas concerné. « L’organisation des prochaines élections ne peut être un facteur de paix et de stabilité que si celles-ci concernent l’ensemble du territoire national et qu’il n’y ait pas un seul pan de notre territoire aux mains des assaillants ».
Comme on le voit, le désaccord entre la CENI et le Gouvernement sur le respect des dates précédemment fixées n’est en fait qu’une manière de penser tout haut ce que plusieurs acteurs pensent tout bas depuis un certain temps. On n’attend plus que le ministre Moussa Sinko Coulibaly pour s’expliquer sur le sujet.
Bruno D SEGBEDJI