Le président de la République du Mali, Ibrahim Boubacar Keita, semble être mal conseillé ou n’écoute pas ceux qui lui disent la vérité en face sur la résolution de la crise sociopolitique dans le pays. Le renvoi des membres du comité stratégique du M5-RFP vers la majorité présidentielle ; la proposition des postes de sénateurs aux députés « spoliés » ; le refus, jusque-là, de mettre en œuvre les recommandations des médiateurs nationaux et internationaux, dont la CEDEAO, concernant la Cour constitutionnelle et l’Assemblée nationale…le prouve.
IBK, depuis son retour de Nouakchott, se bat à bras le corps pour la décrispation du climat sociopolitique tendu au Mali depuis un mois. Il multiplie les rencontres d’échanges afin de baisser les tensions. L’imam Mahmoud Dicko, les leaders du M5-RFP, la majorité présidentielle, le Haut conseil islamique, les députés « spoliés » par la Cour constitutionnelle…ont été tous reçus par IBK. Mais quelque chose n’a pas bien marché lors de ces rencontres. Le président de la République avait commis certains actes qu’il ne devrait pas, s’il était bien conseillé ou s’il écoutait ceux qui lui disent la vérité en face.
Le renvoi du M5-RFP à la majorité présidentielle
En effet, IBK a rencontré, le dimanche dernier, les membres du comité stratégique du M5-RFP. Au cours de la rencontre, il a affirmé avoir reçu le mémorandum de sortie de crise produit par ledit mouvement. Mais il a refusé en bloc de discuter du contenu de ce mémorandum avec les contestataires. Il les a renvoyés à sa majorité. Cette décision a été considérée comme du mépris par le M5-RFP qui a déclaré, dans son communiqué, : « Lors de cette brève rencontre, Monsieur Ibrahim Boubacar KEITA a continué à faire la sourde oreille et preuve de mépris envers le Peuple malien. En effet, M. KEITA a royalement ignoré toutes les demandes et mesures contenues dans le ‘’Mémorandum’’ du 30 juin 2020, en renvoyant le M5-RFP à sa ‘’majorité présidentielle’’ qui ne dispose d’aucun pouvoir et pour laquelle lui-même n’a, d’ailleurs, ni respect ni considération ». Cette réaction a radicalisé la position du M5-RFP qui revient sur son mot d’ordre : la démission d’IBK et de son régime. « En conséquence, le M5-RFP réaffirme, plus que jamais, sa détermination à obtenir, par les voies légales et légitimes, la démission pure et simple de M. Ibrahim Boubacar KEITA et de son régime, sauf application intégrale du ‘’Mémorandum’’ sus-cité » , lit-on dans le communiqué publié le dimanche soir.
Pour beaucoup de Maliens, le chef de l’État devrait, au moins discuter du contenu du Mémorandum avec les membres du comité stratégique du M5-RFP. Telle est la position du parti Yelema de l’ancien premier ministre Moussa Mara qui dit être « déçu » par les conclusions de la rencontre entre le président de la République et les responsables du Mouvement M5-RFP. « Cette rencontre, sollicitée par le chef de l’État, n’a permis aucune avancée vers la sortie de crise. Au contraire ! En ne formulant aucune proposition concrète dans le sens de la réponse aux souhaits du Mouvement M5 RFP ou encore aux suggestions faites par la mission de la CEDEAO le 19 juin dernier, Le Président IBK a envoyé un très mauvais message à ses interlocuteurs », a déploré le parti, le changement.
IBK devait, s’il était bien conseillé, discuter sur certains points du Mémorandum, ne serait-ce que les points inclus dans les recommandations faites par la CEDEAO et autres médiateurs, mais qui sont aussi dans le document du M5-RFP. En faisant cela, il aurait pu non seulement empêcher le rassemblement du 10 juillet, mais aussi donner plus d’arguments à ses soutiens. Mais en renvoyant le M5-RFP à la majorité présidentielle, il a créé des conditions pour que les leaders du M5-RFP, divisés à cause de la suspension du mot d’ordre de sa démission, se retrouvent et se renforcent.
La proposition des postes de sénateurs aux députés « spoliés » !
« Dans la nouvelle constitution, j’aurai droit de nommer 30% des sénateurs. Si vous acceptez de vous calmer , vous serez les premiers sur ma liste », tels sont les propos, du chef de l’État malien Ibrahim Boubacar Keita aux députés « spoliés », rapportés par BouramaTidiani Traoré, président dudit collectif. Cette proposition a été refusée par les députés « spoliés » qui réclament leur siège au sein de l’Assemblée nationale du Mali.« Les députés élus par le peuple et spoliés par la Cour constitutionnelle rejettent la proposition d’être nommés sénateurs. Nos électeurs nous ont donné un mandat pour être à l’Assemblée nationale et non ailleurs », a indiqué l’imam Oumarou Diarra, député « spolié » de la commune VI du district de Bamako.
La première grosse erreur à ce niveau est qu’IBK, lui-même, reconnait que la victoire de ces candidats leur a été volée. Il décrédibilise aussi déjà le Senat dont la création fera l’objet de contestations. Un autre point est qu’il ignore tous les maux du Mali et se fixe comme objectif : la révision de la constitution de 1992. Les Maliens accepteront-ils cela ? Le futur nous le dira. Mais dans tous les cas, s’il était bien conseillé ou écoutait les conseils, il n’allait pas faire cette proposition aux députés « spoliés ». S’il n’avait pas d’autres propositions, il devait écouter leur doléance et voir ce qu’il y a à faire dans les prochains jours.
La situation de l’Assemblée nationale et de la Cour constitutionnelle
Depuis le début de la crise sociopolitique, tous les médiateurs, nationaux comme internationaux, ont recommandé des mesures contre la Cour constitutionnelle et l’Assemblée nationale. La dissolution de ces deux institutions fait partie aussi des conditions de sortie de crise du M5-RFP. Au niveau de la Cour constitutionnelle, la majorité des membres ont rendu le tablier. Il ne reste que le président Manassa Danioko et deux des conseillers. Au niveau de l’Assemblée nationale, le chef de l’État a deux propositions qui lui sont soumises : l’organisation d’élections partielles dans les localités où il y a des contestations comme a proposé la CEDEAO et la dissolution entière de l’Assemblée nationale.
En dissolvant ces deux institutions, IBK pourrait calmer la situation. Ses conseillers devraient, à notre avis, le conseiller en ce sens. Sa posture actuelle ne résout pas la crise. Au contraire, elle l’aggrave.
Boureima Guindo