Le 20 avril 1826, après un parcours de 502 jours, initié intelligemment à partir de Tengréla, aujourd’hui en Côte d’Ivoire, l’explorateur français René Caillié entre à Tombouctou. Il était le premier européen à atteindre ce but. Outre l’exploit géographique, Caillié a surtout montré qu’il n’était pas un aventurier quelconque. Il a témoigné. Il a consigné dans son journal des informations d’une grande valeur scientifique sur la végétation et la flore du pays, sous la forme d’un état de référence initial des ressources naturelles. Plus de cent ans après, il est possible de faire une comparaison.
En 1963, le botaniste Henri Jacques Félix est revenu, méthodiquement, sur le texte et le parcours de René Caillié dans un article intitulé « contribution de René Caillié à l’ethnobotanique africaine au cours de ses voyages en Mauritanie et à Tombouctou (1819-1828) » ; (Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, Année 1963 10-12 pp. 551-602).
Le rônier, (Borassus aethiopum) est le premier arbre dont René Caillié a documenté la présence dans la zone soudanienne. « De tous côtés s’offrent des plaines immenses dont l’uniformité n’est rompue que par quelques rôniers qui s’élèvent majestueusement à plus de quatre-vingts pieds dans les airs, et servent de bornes à l’horizon », rapporte Félix. Il ajoute que les habitants de Djenné s’en servent « pour emballer les marchandises ». Après le rônier, René Caillié a constaté le bourgou (Echinochloa stagnina).
Au-delà de la plante qui pousse abondamment dans tout le delta du Niger, il s’attarde sur les produis qui en sont issus dont le « sirop de bourgou ». Il s’agit d’une véritable synthèse chimique dont Félix pense que René Caillié « est probablement le premier qui ait donné une relation écrite de cette technique d’extraction du sucre à partir des tiges de cette graminée, le koundou des sonraï ».
Félix s’appuie sur les travaux du botaniste Auguste Chevalier qui a décrit le principe de l’extraction du sirop de bourgou. Il faut commencer par élever la concentration du « koundou-hari », le liquide contenu dans les tiges, par la chaleur.
Ce procédé permet d’obtenir « un sucre brun, un peu mou, nommé Katou qui se vend sur le marché, découpé en petits cubes comme le nougat », écrit-il. Ce produit entre dans la fabrication « des pâtisseries et en particulier les Alouala, sortes de berlingots ». C’est à juste titre que Chevalier parle du bourgou comme étant le « roseau à miel du Niger ».
Félix est plus précis dans la description. Le « koundou », récolté est séché au soleil. Il est ensuite passé « légèrement à la flamme pour brûler les feuilles de sorte à n’en garder que les tiges. Il est ensuite lavé par les femmes avant d’être mis au soleil une deuxième fois. Il est ensuite écrasé pour en faire une « poudre aussi fine que possible ». L’étape suivante consiste à mettre la poudre obtenue dans « un grand vase en terre fait exprès, avec de petits trous au fond ». Les femmes y font passer de l’eau chaude par filtration. Progressivement, « l’eau prend une couleur violette un peu claire ».
L’auteur ajoute que « cette boisson est très estimée des naturels qui la savourent avec plaisir ; mais elle produit l’effet d’un purgatif pour les personnes qui n’y sont pas habituées, et elle conserve presque toujours un petit goût de fumée qui la rend désagréable à boire ». Il ajoute que « les Mahométans se permettent sans scrupule d’en faire usage ; les Maures en boivent aussi ; mais ils la coupent toujours avec du lait aigre ».
Plus d’un siècle après, la description demeure d’une grande exactitude. Le jus en question est en réalité connu dans le milieu sonraï comme le « manchi », un breuvage qui peut se prendre après distillation pour étancher la soif. Fermenté, il n’est pas loin du whisky. Les dogons savent l’apprécier. Il faut constater que ce savoir local, au centre d’une grande production proverbiale se perd.
La haie de célane (Euphorbia balsamifera) a été aussi documentée par René Caillié. Le célane est une plante qui fixe les dunes et permet aux nomades de construire leurs habitats. De nos jours, il joue ce même rôle avec efficacité dans tous les programmes de préservation et de restauration des écosystèmes désertiques.
Caillié a ensuite évoqué le nénufar, « le nymphéas bleu » (nénufar nymphaea caerulea), une plante abondante dans les marais. Le nénuphar fait partie de l’alimentation locale, « les habitants en récoltent la graine, qu’ils font sécher, et qui leur est d’une très grande ressource, car ils cultivent peu. Ils se procurent du grain par les embarcations qui viennent de Jenné »
Dans la division sociale, l’explorateur avait vite constaté que les « touariks » sont des « pasteurs » et des « pillards ». Félix rapporte qu’ils « sont riches en bestiaux ; ils ont de nombreux troupeaux de moutons, bœufs et chèvres ; le lait et la viande suffisent à leur nourriture.
Leurs esclaves recueillent la graine du nénufar, qui est très commun dans tous les marais environnants ; ils la font sécher et la vannent : elle est si fine, qu’elle n’a pas besoin d’être pilée ; ils la font cuire avec leur poisson ». Il ajoute que « ces peuples nomades ne cultivent point ; leurs esclaves ne sont occupés qu’à soigner leurs troupeaux ; ils n’ont pour leur consommation d’autre grain que celui qu’ils tirent des flotilles venant de Jenné à Tombouctou.
Au moment de la crue des eaux, les Touariks se retirent un peu dans l’intérieur, où ils trouvent de bons pâturages ; ils ont de nombreux troupeaux de chameaux, dont le lait est une ressource toujours certaine ».
à Cabra, (Kabara) le port de Tombouctou, Caillié a vu quelques mimosas, des balanites aegyptiaca et d’autres arbustes rabougris, des jardins de tabac et des oiseaux aquatiques.
Il arrive à Tombouctou, « cette ville mystérieuse, qui, depuis des siècles, occupait les savants, et sur la population de laquelle on se formait des idées si exagérées… ». « J’étais surpris du peu d’activité, je dirais même de l’inertie qui régnait dans la ville. Quelques marchands de noix de colas criaient leur marchandise comme à Jenné », note Caillié. Il ajoute : « Tombouctou, quoique l’une des plus grandes villes que j’aie vues en Afrique, n’a d’autres ressources que son commerce de sel, son sol n’étant aucunement propre à la culture. C’est de Jenné qu’elle tire tout ce qui est nécessaire à son approvisionnement, le mil, le riz, le beurre végétal, le miel, le coton, les étoffes du Soudan, les effets confectionnés, les bougies, le savon, le piment, les oignons, le poisson sec, les pistaches, etc ».
Il a pu voir la rareté « du bois à brûler ». Il n’y en a presque pas à Tombouctou. Il est même d’une telle rareté qu’il faut aller en chercher près de Cabra. Il fait l’objet d’un commerce et seules les personnes aisées peuvent s’en servir à tout temps. Les pauvres, eux, se rabattent sur les crottes de chameaux ! C’est de Cabra que provient également le fourrage.
Le récit de René Caillié a été mis en doute par certaines sociétés de géographie anglaises qui ont même crié à l’imposture. Le recul permet de dire que le parcours de René Caillié est encore traçable. L’explorateur allemand Barth qui est passé à Tombouctou en 1853 n’a trouvé aucun mensonge. Pierre Viguier, agronome et futur directeur général de l’Office du Niger, a également authentifié le récit de René Caillé dans sa publication intitulée « Sur les traces de René Caillié ; le Mali de 1828 revisité », (éditions Quae, 2008).
Source : L’ESSOR