À situation exceptionnelle, annonces fortes. En vue de la préservation de la fragile stabilité du pays, le président de la République a fait des concessions majeures qui sont de nature à décrisper la situation et à créer un climat favorable au dialogue politique
Le président de la République accède aux exigences des enseignants grévistes, en instruisant le Premier ministre d’appliquer immédiatement l’article 39 qui accorde des avantages à cette corporation. Une décision lourde de conséquences pour l’équilibre financier du pays, mais qu’Ibrahim Boubacar Keïta assume pour permettre aux écoliers de reprendre le chemin des classes.
Le chef de l’État est tout aussi disposé à explorer toutes les voies possibles pour apaiser les frustrations nées des dernières élections législatives, à mettre en place un gouvernement d’union nationale et à organiser une conférence sociale pour que l’ensemble national discute de ce que l’État devra concéder à chacun, selon son dû.
Ces mesures fortes ont été annoncées par le président de la République, hier au CICB, lors d’une rencontre avec les forces vives de la Nation. Étaient représentés à cette rencontre les autorités traditionnelles, les organisations de la société, les leaders religieux (toutes confessions confondues), les regroupements politiques. La rencontre avait un seul but : contribuer à la préservation de la fragile stabilité d’un pays déjà en proie à une multitude de crises.
L’événement a été, en effet, dicté par l’urgence de trouver des compromis pour décrisper le climat socio-politique. Notre pays vit, depuis quelques semaines, une situation tendue du fait des agissements d’une partie de l’opinion, déterminée à déstabiliser les institutions de la République. Pour apaiser les frustrations, le président de la République a annoncé des mesures dans son adresse à la Nation du dimanche dernier. Il avait reçu, quelques heures plus tôt, les leaders religieux et les responsables des organisations de la société civile. D’autres rencontres ont suivi, notamment avec les regroupements politiques de la mouvance présidentielle et les légitimités traditionnelles des régions du Nord du pays. L’agenda présidentiel en prévoit encore…
AUCUNE SURENCHÈRE- Depuis hier après-midi, les Maliens, tous préoccupés par la crise scolaire, ont poussé un ouf de soulagement. Après les concessions faites par le chef de l’État qui fait ainsi la preuve de sa volonté de préserver l’avenir des enfants. En effet, il a définitivement mis fin au bras de fer qui opposait les enseignants au gouvernement, en «instruisant l’application immédiate, pleine et complète de l’article 39» qui stipule que “toute majoration des rémunérations des fonctionnaires relevant du statut général s’applique de plein droit au personnel enseignant de l’enseignement secondaire, de l’enseignement fondamental et de l’éducation préscolaire et spéciale”.
En termes clairs, les enseignants de l’éducation, bien qu’ayant un statut autonome, auront droit à la majoration des 20% sur leurs salaires octroyés aux fonctionnaires régis par le statut général et d’autres contractuels. Cette majoration a pris effet à compter du 1er janvier 2019.
Le chef de l’État a prévenu que cette concession coûtera cher aux caisses de l’État. «Ce sera à un prix très cher et qui ne devra donner lieu à aucune surenchère», a souligné le président Keïta. Plus inquiétant, a-t-il avoué, c’est l’équilibre économique même du pays qui est désormais en jeu.
Ibrahim Boubacar Keïta a également promis d’envisager des actions susceptibles d’apaiser les frustrations nées des législatives d’avril et mai derniers. «Cela sera l’un de mes grands devoirs dans les jours à venir. Nous verrons toutes les possibilités qu’il y a pour nous de faire en sorte que cela puisse évoluer favorablement», a laissé entendre le chef de l’État qui s’engage aussi à trouver des réponses idoines aux préoccupations en lien avec la Cour constitutionnelle. Il a néanmoins tenu à souligner que cette institution a donné «le meilleur d’elle-même dans le cadre de l’exercice qui est le sien, conformément à la loi organique qui l’institue et qui organise ses débats».
Ibrahim Boubacar Keïta a rappelé que lui-même ne garde pas de cette Institution que de bons souvenirs. Pour autant, «nul ne nous a vu jamais en appeler à la rue pour contester sa décision», a-t-il rappelé, avant de concéder que des interrogations sont, aujourd’hui, permises. Et dès lors, il reviendra à l’ensemble national d’en examiner les contours, de voir ce qu’il y a lieu de reformer.
LARGES CONSULTATIONS- Le chef de l’État a affirmé avoir tiré les leçons de toutes les péripéties que le pays vit. À cet égard, il a décidé d’engager de larges consultations pour la formation d’un gouvernement d’union nationale. D’ailleurs, a-t-il assuré, son «projet n’a jamais été d’exclure qui que ce soit» et son cap demeure celui d’un «Mali stable et émergent». D’où ces décisions de portée historique qu’il a prises dans le seul intérêt du pays. «Elles n’ont pas été faciles, mais je le fais pour le Mali, je les assume», a confessé Ibrahim Boubacar Keïta, tout en rappelant que notre pays a de grands défis à relever. Une réalité qui ne devrait pas laisser de place à la division qui pourrait servir de terreau fertile à nos ennemis. Pas plus tard que le dimanche dernier, ceux-ci ont mené une attaque meurtrière contre les forces armées dans le Cercle de Niono.
Ce drame, comme les précédents, laisse quasiment le chef de l’État sans voix. Il s’est incliné devant la mémoire des victimes avant de prévenir que cette guerre sera longue et coûteuse. Il est, cependant, persuadé que «nous la gagnerons» à condition de gagner également la guerre de la paix des esprits et «celle qui devrait nous faire nous envisager non pas en ennemis irréductibles, mais en frères capables de dialoguer pour avancer».
Ibrahim Boubacar Keïta a alors exhorté à l’union sacrée, convaincu qu’aucun problème n’est hors de portée du Mali dès l’instant que ses filles et fils s’unissent dernière le projet Mali. Pour lui, aucune colère ne devrait amener à rejeter l’ensemble et souhaiter au pays un chaos, dont nul ne sait la fin.
S’agissant de la Covid-19, le président Keïta a répété que cette pandémie n’est pas crue au niveau où elle devrait l’être. Et pourtant, elle est réelle et elle tue à tour de bras. «Si jusqu’à présent le nombre de décès est considéré comme relativement faible par rapport à ce qu’on a connu ailleurs, c’est la faiblesse peut-être de nos moyens de testing qui est en cause», a-t-il estimé. Et d’instruire, par conséquent, le Premier ministre d’envisager des moyens pour permettre à notre pays d’effectuer des tests à grande échelle, de manière à avoir une situation réelle de prévalence de la pandémie.
Le chef de l’État envisage également l’organisation d’une conférence sociale, où « nous mettrions les choses à plat, toutes les dérives de la Nation malienne» et qu’ensemble les fils du pays discutent de ce qui est raisonnable d’attendre de l’État et ce que celui-ci devra concéder à chacun, selon son dû. Et par ailleurs, il a informé le public des efforts en cours pour la libération du député Soumaïla Cissé. Le chef de file de l’opposition, élu à Niafunké, est en vie et «sera de retour parmi nous dans les meilleurs délais», a assuré le chef de l’État.
Ces annonces ont réconforté les forces vives de la Nation. «Les préoccupations sont prises en charge à hauteur de 50%», s’est réjoui Mohamed Macky Bah, président de l’Union des jeunes musulmans du Mali. Pour lui, la situation de l’école est la plus préoccupante. Même sentiment exprimé par le Cardinal Jean Zerbo qui a fait des bénédictions pour que ces «promesses faites par le président de la République se concrétisent au grand bonheur de tous les Maliens».
Issa DEMBÉLÉ